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tiellement par la monnaie .de papier. Le privilège d'émission doit être une sorte de prime d'encouragement donnée à la Banque coloniale, lorsque celle-ci a bien rempli son rôle d'éducatrice, lorsqu'elle a initié la population aux bienfaits d'une bonne monnaie. C'est pourquoi il ne faut pas se hâter de pourvoir d'un établissement d'émission les pays neufs, que nous commençons à coloniser; ce qu'il faut partout, au Dahomey, au Congo, à Madagascar, c'est une Banque de commerce, surveillée au besoin par l'État, ayant des relations avec la métropole, en sorte que les capitaux cherchant un emploi rémunérateur, et qui ne craignent pas les risques des entreprises coloniales, parviennent à la colonie indiquée en toute sécurité.

Ainsi sera organisé le crédit commercial dans toutes nos possessions, même les plus lointaines.

Mais il ne faut pas s'arrêter là: c'est maintenant presque un lieu commun de dire que les nouvelles colonies ont besoin, pour prendre un réel développement, de mettre en valeur la terre, d'exploiter les productions naturelles, de s'adonner aux cultures coloniales (sucre, café, cacao, riz, coton, etc.): en un mot, l'âge de l'agriculture est la première étape que doivent franchir les pays neufs. Or, ce serait une très grave erreur que de mêler directement à cette œuvre les Banques de commerce ou Banques d'émission : le crédit nécessaire pour la mise en valeur de la terre s'appelle le Crédit foncier; il exige des capitaux considérables, qui sont immobilisés pendant fort ongtemps, et se reconstituent très lentement: vouloir charger une seule Banque de distribuer à la fois le Crédit foncier et le Crédit commercial, ce serait aller au-devant de catastrophes qui nuiraient à l'expansion coloniale.

Jusqu'ici, les essais de Crédit foncier appliqué aux colonies n'ont pas été heureux, parce qu'on a voulu porter au loin les méthodes adoptées en France: aux Antilles et à la Réunion, la société de Crédit foncier colonial a échoué, en tant que société de crédit chargée de prêter aux planteurs les fonds nécessaires à la mise en culture des terres; et, si elle subsiste encore, c'est parce qu'à la Réunion elle est devenue propriétaire des terres qui lui avaient été données en gage; elle s'est par suite transformée en société foncière.

C'est, d'ailleurs, la seule forme sous laquelle, à l'heure actuelle, le Crédit foncier semble pouvoir exister, dans les colonies d'exploitation tout au moins, les seules qui aient besoin de gros capitaux. C'est le procédé qui vient d'être employé pour le Congo Français, partagé en un certain nombre de vastes territoires : les concessionnaires de ces immenses régions devront, s'ils veulent faire œuvre durable, consacrer la majeure partie de leurs ressources à la mise en culture des terres et s'adresser à leurs actionnaires, qui courront les risques très gros de cette entreprise. Il ne semble donc pas qu'on ait lieu de se préoc

cuper, avant un grand nombre d'années, du Crédit foncier colonial: ce crédit naîtra naturellement le jour où les sociétés foncières, celles du moins qui auront réussi, donné de bons résultats, se trouveront posséder par elles-mêmes un crédit commercial indépendant de leur concession territoriale: ce jour-là, elles pourront faire appel à des capitaux d'emprunt, et il y aura lieu de voir dans quelles conditions ceux-ci pourront être mis à leur disposition.

Enfin, je ne puis passer sous silence une forme de crédit colonial qui en est à ses débuts, mais qui vraisemblablement ne tardera pas à prendre une place prédominante sur le marché des capitaux de la métropole : je veux parler du crédit public.

Il y a peu d'années encore, il était admis partout que les colonies ne devaient pas avoir de personnalité propre, qu'elles étaient une sorte de prolongement de la France (témoin la division de l'Algérie en trois départements, organisés administrativement comme nos departements français), qu'elles ne pouvaient par suite avoir de crédit personnel,emprunter pour leurs propres besoins sans être soumises à toutes les formalités dont sont entourés les emprunts publics en France. En présence de tant de difficutés, il fallait renoncer à faire un emprunt pour les besoins de la colonie, pour son outillage économique et industriel. La théorie admise était diamétralement opposée à celle qui existait chez nos voisins d'outre-Manche; mais, par un phénomène assez singulier, à mesure que se développait l'impérialisme britannique, que se resserraient les liens unissant l'Angleterre à ses différentes possessions, en France l'autonomie coloniale trouvait chaque jour des partisans plus nombreux. C'est ainsi que les différentes colonies, avec une louable émulation, se mettent à l'œuvre pour créer des routes, des chemins de fer, des ports, voire même pour assurer leur défense en cas de guerre. Elles sollicitent non plus des crédits budgétaires auprès du Parlement, mais l'autorisation d'emprunter en donnant comme gages leurs propres ressources, sans même réclamer une garantie subsidiaire de l'État français. Cette tendance doit être encouragée, pour les motifs suivants :

1o Le Parlement métropolitain autorise plus facilement les demandes d'emprunt qui n'engagent pas les finances publiques.

2o Ces emprunts étant faits d'ordinaire à un taux plus élevé que les emprunts de l'État français, attirent dans les colonies les capilaux trop timorés pour s'aventurer dans des entreprises privées, mais qui, en présence d'une rémunération élevée, préfèrent ce genre de placement à ceux qui leur sont offerts par des États étrangers plus ou moins solvables.

3o Enfin, dans le cas où une guerre malheureuse viendrait à séparer la colonie de la France, la puissance conquérante éprouverait plus de difficultés à renier une dette contractée spécialement par

a colonie qu'à rejeter le fardeau d'emprunts faits au nom de la métropole. Le récent exemple de la dette cubaine, garantie par l'Espagne et repoussée par les Etats-Unis après la conquête, doit nous préserver d'une faute semblable.

En définitive, le crédit public colonial, qui vient seulement d'être fondé, semble devoir se développer rapidement, en présence des grands projets de travaux publics qui sont à l'ordre du jour, et, dans quelques années, le marché des fonds publics coloniaux, qui à l'heure actuelle comprend seulement l'emprunt indo-chinois des chemins de fer, donnera sans doute un aliment sérieux aux affaires de bourse qui se traitent à Paris : il nous suffira de rappeler que les seuls fonds indiens traités à la Bourse de Londres représentent un capital de 7 à 8 milliards, pour montrer toute l'importance que peuvent prendre de semblables affaires dans notre pays qui, au milieu de ses vicissitudes et de ses erreurs, a conservé une force considérable, qui lui assure encore maintenant la prépondérance économique sur bien des points, à savoir la puissance de l'épargne. Après avoir prêté aux pays étrangers, que la France prête à ses propres colonies ce sera là un véritable placement de père de famille.

J. FRANCONIE.

QUEST. DIP. et Col.

T. IX.

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LA POLITIQUE NAVALE DE LA FRANCE

Les questions maritimes, qui touchent de si près aux questions diplomatiques et coloniales, préoccupent à juste titre, en ce moment, l'opinion publique. Les gens du métier professent, sur la composition de notre flotte et le rôle de notre marine de guerre, des théories assez diverses. Pour éclairer nos lecteurs sur ce grand débat, nous avons fait appel à deux hommes d'une compétence reconnue; c'est d'abord M. Émile Duboc, le héros de Sher-poo et le digne lieutenaut de l'amiral Courbet : il est l'avocat, sinon de la jeune marine (il repousse ce titre qui n'a pourtant rien d'outrageant), du moins de la guerre de course opposée à la guerre d'escadre. L'écrivain militaire très distingué qui se cache sous le pseudonyme de O'Cabé est plus éclectique. A nos lecteurs d'apprécier et de décider.

Il me paraît superflu de démontrer l'existence du péril anglais. Je ne m'attarderai pas non plus à rechercher les causes de l'hostilité sourde que nous ont témoignée nos voisins au fur et à mesure que nous développions notre empire colonial. En dépit de l'« Entente cordiale », si souvent proclamée, et à laquelle les faits n'ont cessé de donner un perpétuel démenti, la haine séculaire de nos alliés de 1835 a éclaté tout à coup avec une violence inouïe, pour arriver à son paroxysme au moment où l'insolent ultimatum de Fachoda fut signifié à notre gouvernement.

Les avertissements n'avaient pourtant pas manqué aux ministres qui se sont succédé rue Royale et au quai d'Orsay; mais il était de bon ton de n'en tenir aucun comple. Ces avertissements ne venaient-ils pas en effet, le plus souvent, d'écrivains de la « Jeune École », disciples de l'amiral Aube, de ce ministre de la Marine qui, rompant avec la tradition, avait eu l'audace de déclarer qu'il était temps de réaliser un programme naval en vue d'une guerre maritime avec l'Angleterre. Traité de visionnaire, accablé de sarcasmes par la réaction triomphante, l'amiral Aube mourut, dit-on, en proie à de sombres pressentiments; mais sa grande figure se dresse aujourd'hui pour dire au gouvernement qui n'a su que capituler devant l'insulte : « Qu'avez-vous fait des centaines de millions votés par le Parlement depuis quatorze ans? Vous avez fermé volontairement les yeux devant le péril anglais, vous avez négligé de préparer la guerre de course et la défense de nos Colonies, menacées aujourd'hui de subir le sort de celles de l'Espagne. Vous n'avez eu en vue que la guerre d'escadre contre la triple alliance, et vous voilà dans l'obligation de subir sans combat les exigences de vos prétendus amis, qui se réjouissent de l'impuissance et de l'humiliation du pays! >>

N'ayant jamais été inféodé à la Jeune École, ni à aucune coterie, je puis me permettre de parler de l'amiral Aube que je n'ai pas connu personnellement, en toute indépendance, et j'ai le droit d'affirmer ma conviction, que si nous avions suivi son programme de reconstitution de la flotte, la honte de Fachoda nous eût été épargnée. Il nous fallait des croiseurs : ce sont des cuirassés qu'on a construits. Il fallait nous mettre en mesure de courir sus au commerce anglais, et nous avons péniblement rassemblé des escadres cuirassées, trop inférieures en nombre à celles de l'Angleterre pour pouvoir accepter la lutte, comme cela était facile à prévoir; de sorte que les budgets accumulés de la Marine se sont trouvés épuisés en pure perte, pour confesser finalement notre lamentable impuissance à relever le défi et les provocations du Foreign Office.

L'incident s'est terminé pacifiquement, mais il n'est pas vidé. La facile conquête des colonies espagnoles par les États-Unis a éveillé de l'autre côté de la Manche bien des convoitises, non encore satisfaites par la blessure faite à notre orgueil national et l'amoindrissement de notre prestige dans le monde. Il est vrai que, par un juste retour des choses d'ici-bas, le prestige militaire anglais subit à cette heure, dans le Transvaal, une rude atteinle; mais on le dit bien haut à qui veut l'entendre, à Londres et dans les arsenaux anglais : « La flotte britannique, encore intacte, et parvenue à un degré de puissance qui lui assure une suprématie incontestée, se chargera de renouveler, aux dépens des colonies françaises, les exploits des escadres américaines, et une fois de plus, nous aurons prouvé au monde, pour le plus grand bien de l'humanité et de la civilisation, la supériorité des Anglo-Saxons sur les races latines. »

Tels sont les projets ouvertement élaborés par le gouvernement anglais, et dont il faut nous émouvoir. N'imitons pas l'Espagne, qui, bercée par je ne sais quelles chimères et quels espoirs cruellement déçus, refusa jusqu'au dernier moment de croire à la guerre avec les États-Unis, ne prépara rien pour la faire, et s'endormit dans une trompeuse sécurité, pour ne se réveiller qu'au coup de tonnerre de Cavite !

PROGRAMME DE LA FLOTTE

C'est au lendemain de la pénible épreuve de Fachoda que l'on vient proposer au Parlement un programme consistant à enrichir notre flotte de :

6 cuirassés d'escadre de 15.000 tonnes

5 croiscurs cuirassés

28 contre-torpilleurs

112 torpilleurs

26 sous-marins

destinés aux mers d'Europe.

Dans cette liste qui représente une dépense de 712 millions et

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