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la côte occidentale d'Afrique et par le Congo, nous nous sommes avancés peu à peu jusqu'au cœur du continent africain, le Tchad a, plus d'une fois, exercé parmi nous une sorte de fascination. Attraction instinctive de géographes, à qui la contemplation de la carte finit par donner la nostalgie de lointains rivages, entraînement irrésistible d'explorateurs épris de la distance et de l'inconnu, ambition d'hommes politiques qui, dans leur zèle à reculer les limites du territoire français, perdent inévitablement la notion de l'étendue, la séduction mystérieuse du Tchad s'expliquait à l'origine par ces tendances et ces sentiments divers. Elle s'est fortifiée bientôt d'une observation moins superficielle et d'un intérêt mieux raisonné. A mesure que se sont agrandies nos possessions du Soudan et du Congo, c'est par le Tchad que leur jonction future a semblé devoir s'accomplir; le Tchad est apparu dès lors comme l'étendue d'eau vraisemblablement navigable, presque comme la mer intérieure, qui mettrait un jour en relations les deux grandes fractions de notre empire africain,

Pour que cette jonction pût s'opérer, il importait qu'un accès nous fût assuré sur la rive nord et sur la rive sud du Tchad, et c'est pour atteindre ce double but que s'ouvrit, dès 1889, une série d'audacieuses explorations. La tâche était rude, et, en présence des obstacles accumulés sur la route, l'œuvre entreprise ne put être accomplie du premier coup. A l'ouest et au nord du Tchad, le commandant Monteil, en 1893, reconnaît les rives du lac, mais s'en écarte bientôt pour poursuivre son voyage jusqu'au littoral méditerranéen. Au sud, Crampel, que son héroïsme aveugle entraîne le premier « à la con« quête du Tchad », meurt assassiné sans avoir vu se réaliser son rêve; à leur tour, Mizon et Maistre, entre les bassins du Niger et de la Bénoué et le bassin du Congo, pénètrent dans des territoires qui pourraient les relier au grand lac, mais doivent également renoncer à s'approcher de ses rives. Il faut attendre les efforts persévérants de M. Gentil, l'opiniâtreté qu'il met, de 1895 à 1897, à transporter sur le Chari son vapeur le Léon-Blot, pour qu'une mission française ait accès au sud du Tchad et pour qu'un navire français parvienne à naviguer dans ses eaux. Avant même ce succès final, tant d'ardeur déployée ne demeure pas inutile; elle nous acquiert des titres, elle nous confère des droits à devenir les riverains du Tchad, droits que durent reconnaître la convention du 15 mars 1894 'avec l'Allemagne et celle du 14 juin 1898 avec l'Angleterre.

Quelle était exactement, au lendemain de cette dernière convention, la situation de la France dans le voisinage du lac Tchad? La rive française s'étendait depuis l'intersection de la frontière francoanglaise près de Barroua, au nord, jusqu'à l'intersection de la frontière franco-allemande, à l'embouchure du Chari, au sud. L'Angle

terre, le 14 juin 1898, avait reconnu les droits de la France sur cette rive, sur la ligne idéale qui la déterminait, mais non sur les territoires s'y rattachant. En d'autres termes, il n'était pas spécifié jusqu'où s'étendrait notre domination sur les pays faisant suite à la rive française du Tchad, la prolongeant dans l'intérieur du continent. C'était un droit purement théorique qui nous était acquis vis-àvis du gouvernement britannique, un droit qui prendrait un intérêt vraiment pratique seulement le jour où, dans les régions s'étendant entre la frontière franco-anglaise et la frontière franco-allemande, nous aurions, par une prise de possession effective, établi notre domination. De son côté, l'Allemagne, par la convention du 15 mars 1894, avait pris l'engagement de n'exercer aucune action dans les territoires situés à l'est de la frontière, c'est-à-dire au sud du Tchad; mais au nord de cette frontière, sur l'autre rive du lac, là même où notre droit demeurait idéal, loin de se trouver liée envers nous, elle conservait, pour les manifestations de sa politique, la plus entière indépendance. En somme, pour affirmer nos droits sur une partie de la rive du Tchad el pour détourner l'Allemagne de toute extension vers le Nord, il importait que la France y fit acte d'occupation. La déclaration du 21 mars 1899, qui vint, après Fachoda, compléter la convention du 14 juin 1898, a depuis lors, il est vrai, en reculant la frontière franco-anglaise au delà du Tibesti, du Kanem et du Ouadaï, déterminé l'étendue de nos droits au nord et à l'est du Tchad. Mais cet accord complémentaire, sans parler des revendications tardives et fragiles qu'il a suscitées de la part de la Turquie, n'a pas à l'égard de l'Allemagne modifié notre situation; il a laissé subsister pour nous l'intérêt d'une prise de possession définitive.

La situation internationale des territoires voisins du Tchad était loin, du reste, d'être aussi nettement précisée lorsque s'organisèrent les missions que nous voyons aujourd'hui, isolées, presque perdues au centre du continent africain, poursuivre dans ces régions leur action aventureuse. Celles-ci sont actuellement au nombre de trois: ce sont la mission Foureau-Lamy, la mission Voulet-Chanoine, devenue, hélas! depuis les tristes événements présents à toutes les mémoires, la mission Joalland; enfin, la mission Gentil. Quels résultats ces missions ont-elles obtenus jusqu'à ce jour ? qu'ont-elles fait et que leur reste-t-il à faire ? C'est ce qu'il sera possible d'apprécier, en examinant pour chacune d'elles le chemin déjà parcouru, autant du moins que permettent de le connaître les nouvelles incomplètes et parfois contradictoires qui nous parviennent à leur sujet.

II

Celle de ces trois missions dont le projet est le plus ancien, celle aussi peut-être dont le programme faisait la part la plus grande au danger et à l'inconnu, c'est la mission dont MM. Foureau et le commandant Lamy arrêtaient le plan général dès les derniers mois de l'année 1897. Il ne s'agissait à l'origine que de pénétrer le plus loin. possible dans le Sahara et d'assurer enfin la prépondérance française en pays touareg, mais les expériences du passé suffisaient à montrer ce qu'une telle entreprise, même ainsi limitée, offrait de périlleux. Ce qu'on envisageait, c'était, selon le titre que lui donnaient les auteurs du projet, une mission exclusivement « transsaharienne ». Si rien n'arrêtait leur marche, les explorateurs devaient tenter de s'avancer jusque dans l'Aïr, pour atteindre ensuite le Niger et nos possessions du Soudan. Ils ne songeaient pas alors, dans leurs premiers préparatifs, à poursuivre leur expédition jusqu'au Tchad, encore moins à traverser dans sa plus grande étendue, pour achever leur voyage, le territoire du Congo français; tout au plus prévoyaient-ils, comme une éventualité pouvant se produire, la rencontre d'autres missions françaises et l'assistance à leur prêter. Sans s'arrêter autrement à cette dernière hypothèse, ils n'avaient en vue qu'un long séjour dans le Sahara et s'équipaient avant tout pour parcourir le désert, mais la tâche qu'ils assumaient avec ce programme primitif était néanmoins assez considérable pour que leurs moyens d'action dussent être très sérieux. La composition prévue de la mission comportait un état-major de neuf personnes, deux civils et sept officiers dont un lieutenant indigène, des sous-officiers européens et indigènes, des spahis, des cavaliers à méhari, en tout un personnel de deux cent quarante-deux Européens et indigènes. La dépense devait être couvertė par une subvention de la Société de géographie de Paris, et par des allocations de crédit obtenues de divers ministères, ceux de l'Instruction publique, de la Guerre, de l'Intérieur et des Colonies.

Il fallut plusieurs mois pour mener à bien cette organisation et c'est seulement dans le courant de l'année 1898 que la mission fût prête à s'éloigner de l'Algérie. La mission' se dirige tout d'abord vers Temassinin et Tebalbalet, puis il devient difficile de suivre ses traces, et, tandis que la présence d'une force française imposante dans le Sahara sème l'émotion parmi les Touareg Hoggar, les nouvelles contradictoires et dénaturées que les caravanes apportent en Tripolitaine et à Tombouctou commencent à répandre l'inquiétude. Des bruits

1 Voir L. KRYSZANOWSKI, La pénétration du Sahara par l'Algérie (Quest. Diplom. et Colon., 1899, t. VII, p. 129-145).

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de désastre circulent, mais heureusement la mission, par les
courriers qu'elle adresse, se charge d'infirmer elle-même ces infor-
mations. En réalité, sa marche, dans les premiers mois qui sui-
vent son départ, se poursuit normalement, sans obstacle. L'ex-
pédition est à Rinmali le 14 décembre 1898, à Inazaou le 11 février
suivant, et, fidèle à son programme, continue sa route vers l'Aïr.
C'est alors que commencent pour elle les premières difficultés; atta-
quée par un parti de plusieurs centaines de Touareg, elle perd un

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grand nombre de ses chameaux. Elle arrive néanmoins dans l'Aïr vers
le 15 avril et se fortifie quelque temps à Ghezer, où elle construit un
bordj. Pour recruter de nouveau, elle s'avance vers le sud jusqu'à
Agadès, non sans avoir avec les Touareg de nouveaux engagements.
Elle quitte Agadès vers la fin de juillet 1899, se dirigeant vers Ingal,
puis vers Zinder. Enfin un télégramme, qu'un de ses courriers fait
adresser de Lokodja le 20 décembre par les autorités anglaises du

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Niger, annonce son heureuse arrivée à Zinder, où elle retrouve les débris de l'ancienne mission Voulet-Chanoine.

Ce n'était pas à Zinder, c'était plus au nord, à Taghelel, que primitivement les deux missions devaient se réunir. Elles avaient à cette fin, dès le mois de mars 1899, reçu l'une et l'autre des instructions A cette époque, on prévoyait déjà le succès de la mission « transsaharienne », et l'on croyait pouvoir, sans influer sur son itinéraire de retour, lui donner la faculté d'étendre un peu son programme et de se diriger vers le Tchad en alliant ses efforts à ceux de la mission Voulet. Celle-ci, comme à son départ au mois de juillet 1898, était encore entourée du crédit qui s'attache toujours en France à une expédition audacieuse. On ignorait ses actes, ses procédés; on ne considérait que la rapidité de sa marche et l'on ne doutait pas qu'elle ne pût atteindre le double but qui lui était assigné: reconnaître les territoires situés entre le Niger et le Tchad, au nord de la nouvelle frontière franco-anglaise; se relier ensuite par les rives nord et est du Tchad au Congo français. Il semblait qu'elle dût accomplir plus facilement encore cette tâche si les forces de la mission Foureau-Lamy venaient s'ajouter à celles dont elle disposait par ellemême, savoir, sous la direction d'un cadre de 6 officiers et de 3 sousofficiers européens, 50 tirailleurs réguliers, 200 auxiliaires, 20 spahis et 3 interprètes. Cette fusion des deux missions, MM. Foureau et Lamy demeuraient maîtres de s'y décider, s'ils ne préféraient, au lieu de poursuivre leur marche vers l'est, se rapprocher le plus tôt possible de nos possession du Soudan.

Telle était la situation dans les premiers mois de l'année 1899, mais bientôt allaient surgir les événements les plus inattendus. On sait comment le gouvernement, devant les récits qui lui parviennent de violences et de massacres, prescrit une enquête sur les actes de la mission Voulet et confie cette tâche pénible au lieutenantcolonel Klobb, éventuellement investi du commandement de l'expédition. On sait aussi dans quelles dramatiques circonstances, au mois de juillet suivant, le malheureux colonel allait trouver la mort, et comment les deux officiers rebelles devaient succomber à leur tour. Qu'allait-il advenir du reste de la mission, désemparé, démoralisé, imparfaitement rallié sous la direction de nouveaux chefs? Le gouvernement pensa que plus que jamais, dans ces conjonctures, il pouvait y avoir avantage à réunir la mission Voulet à la mission Foureau, en plaçant tout le personnel militaire des deux expéditions sous les ordres de l'officier le plus élevé en grade, le commandant Lamy. Des instructions furent adressées dans ce sens, et c'est avec l'intention de s'y conformer que la mission Foureau, après avoir traversé tout le Sahara, arrivait à Zinder, où elle devait retrouver une partie de la mission Voulet.

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