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DIPLOMATIQUES ET COLONIALES

L'OCCUPATION D'IN-SALAH

L'année 1899 est une date heureuse dans l'histoire de la pénétration saharienne; les questions pendantes depuis 1890, voire même depuis 1864, se sont trouvées résolues en quelques mois : c'est qu'une méthode nouvelle et vraiment rationnelle a été employée pour arriver à leur solution. La mission Foureau-Lamy, la mission FlamandPein ont prouvé la justesse de vue de ceux qui avaient toujours affirmé qu'une petite colonne de troupes françaises, bien organisée et placée sous le commandement d'officiers ayant pratiqué le désert, pourrait s'avancer au Sahara sans danger et imposer partout sa volonté.

L'occupation d'In-Salah est donc, à tous égards, un événement d'une très longue portée pour la sécurité et l'expansion de notre domination dans le Nord et dans l'Ouest de l'Afrique.

Aussi est-il juste d'exprimer ici, au moins rapidement, les sentiments de reconnaissance que tout bon Français éprouvera, en cette occasion, pour M. Laferrière le glorieux succès de la mission Flamand-Pein lui fait le plus grand honneur.

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Dès ses débuts au gouvernement de l'Algérie, M. Laferrière s'est signalé par une politique équitable, ferme et avisée, et en même temps, par des réformes judicieuses et fécondes; à ces bienfaits précieux il vient d'ajouter, par l'occupation d'In-Salah, un bienfait nouveau et d'ordre supérieur : il a ainsi dès à présent inscrit son nom parmi les noms des meilleurs serviteurs de la France.

Il faut, suivant les régions où doit s'étendre notre influence et notre domination, employer, pour la pénétration, les moyens les mieux appropriés : nous sommes pleins d'admiration pour un de Brazza ou un Binger soumettant, par la douceur et sans tirer un coup de fusil, de grands royaumes nègres; mais les explorateurs qui vont à une mort inutile et certaine, sorte de suicide involontaire, ne rendent aucun service, ni à leur pays, ni à la science. M. Foureau et M. Flamand l'ont compris; l'exploration polaire de M. Nansen fut QUEST. DIPL. ET COL. — T. IX. 5. 15 JANVIER 1900.

plus utile que celle d'Andrée, la mission Rolland plus fructueuse que la mission Flatters. Les résistances que nous rencontrons au Sahara ne peuvent être brisées que par la force; mais il suffit d'efforts très minimes, car, selon le mot de M. Schirmer: Touareg et Ksouriens ne sont forts que de notre apparente faiblesse.

La mission Flamand, organisée, comme la mission Foureau-Lamy, par le ministère de l'instruction publique, avait pour objet l'étude géologique des plateaux du Tadmaït et du Mouidir, ainsi que la dépression de l'Oued Massin et du Tidikelt qui les sépare.

M. Flamand, professeur à l'école des sciences d'Alger, s'est fait une place éminente dans les études de géologie saharienne; rien de ce qui intéresse la connaissance scientifique de l'Extrême Sud, productions. minérales, extension des goumiers, inscriptions rupestres, ne le laissent indifférent. C'est en 1892 qu'il a commencé à voyager dans l'Atlas saharien et les régions limitrophes; en 1896, chargé d'une mission par M. J. Cambon, il accomplit un voyage dans l'Oued Meguiden dont les résultats scientifiques ont été des plus importants, et pour lequel la Société de géographie de Paris lui a décerné le prix Duveyrier. Dans son exploration de 1899, M. Flamand était accompagné de M. Joly, professeur à la medersa d'Alger, que ses séjours prolongés dans le Sud et surtout sa connaissance de la langue arabe rendaient précieux.

La mission était escortée d'un goum de 100 cavaliers chaâmba, montés à méhara, et d'une vingtaine d'indigènes accompagnant le naïb des Khadria d'Ouargla que M. Cambon avait déjà précédemment envoyé à In-Salah. Cette petite escorte était placée sous les ordres du capitaine Pein. Le nom que porte le capitaine Pein a déjà été illustré dans le Sahara algérien; son père, premier Commandant supérieur de Bou-Saada, officier énergique et audacieux, savait manier la plume aussi bien que l'épée, ainsi qu'en témoignent ses Lettres familières sur l'Algérie.

Chef du poste d'Ouargla, le capitaine Pein s'est distingué à la poursuite d'un rezzou dans la région de Ghadamès; c'est à lui qu'échut la difficile mission de ravitailler, dans un pays inconnu, la mission Foureau-Lamy. Il accomplit cette tâche avec un succès qui lui fait le plus grand honneur, et M. Foureau, dans ses lettres, a rendu hommage, à plusieurs reprises, aux services considérables rendus par le capitaine Pein; à ces titres vient s'ajouter maintenant celui d'être le premier Français qui soit entré dans In-Salah avec le même goum qui l'avait déjà accompagné à la suite de la mission Foureau-Lamy, et de s'y être héroïquement maintenu.

La mission Flamand, partie d'Ouargla le 28 novembre, remonta d'abord l'Oued Mia et l'Oued Insokki; elle arriva le 9 décembre à Hassi Inifel et, le 15 décembre, à Hassi Insokki d'où elle repartit

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le 18; contournant alors le Tadmaït, elle atteignit le 26 Foggaret ed Doua, premier ksar du Tidikelt dont les habitants, qui sont inféodés aux Oulad Sidi Cheikh et attendent notre venue depuis longtemps, la reçurent fort bien.

A Iguesten, l'attitude fut au contraire très hostile; après avoir un instant hésité à camper près du ksar, la mission se disposait à remonter vers le nord, lorsque le lendemain, à l'aube, elle fut attaquée par environ 1.200 hommes, venus d'In-Salah et des ksour voisins, ayant a leur tête les chefs du Sof antifrançais des Badjouda.

Les Badjouda descendent, comme tous les Oulad Ba Hammou, de la tribu Hilal, une des hordes arabes qui envahirent l'Afrique du Nord au onzième siècle : bandits mercenaires, leurs ancêtres se sont loués à tous les princes berbères qui s'y déchiraient.

Le combat dura jusqu'à dix heures du matin; le capitaine Pein, malgré le faible effectif dont il disposait, repoussa les agresseurs qui eurent 50 tués ou blessés et laissèrent plus de 60 prisonniers, parmi lesquels El Hadj El Mahdi Badjouda, très grièvement blessé. Les spahis sahariens, au nombre d'une centaine, qui, d'après les ordres qu'ils avaient reçus, devaient appuyer de loin la mission, arrivèrent à deux heures de l'après-midi; le capitaine Pein, se trouvant alors délivré du souci de la mission, put partir en avant avec son goum et poursuivre les agresseurs; il arriva ainsi jusqu'au Ksar el Kebir,. principal centre du district d'In-Salah, dont il trouva les portes ouvertes et les habitants affolés, qui vinrent implorer sa pitié ; il fut alors rejoint par les spahis du capitaine Germain et par la mission; tous une fois réunis se retranchèrent dans une vieille kasba, située à proximité du ksar, sans doute la grande maison crénelée où résidait Badjouda.

Le 5 janvier 1900, les débris des assaillants d'Iguesten, auxquels s'étaient joints quelques bandes venues de Sali et de l'Aoulef, se rassemblaient à proximité d'In-Salah et venaient attaquer une seconde fois les forces réunies des capitaines Pein et Germain, sorties à leur rencontre; après une lutte acharnée, dans laquelle les assaillants perdirent 150 tués, 200 blessés et eurent 14 prisonniers, la résistance fut brisée.

La description d'In-Salah et des oasis du Touat a été faite trop souvent pour qu'il soit utile de la recommencer; on sait aussi que le Touat est un des centres de population sédentaire les plus importants que renferme le Sahara; c'est un véritable carrefour et un lieu de ravitaillement: (une retraite protégée et une table ouverte pour les Touareg. Depuis longtemps la nécessité s'imposait de nettoyer ce foyer de dangereuses intrigues, où fut résolu le massacre de la mission Flatters, où tous les fanatiques et les mécontents trouvaient asile et qui était véritablement l'âme de la résistance à l'action fran

çaise dans le Sahara: «Tournez bride, capitaine, écrivait Masqueray, dans la brillante description qu'il a donnée de l'oasis, maintenant que vous avez vu de loin les têtes des palmiers de la bourgade maudite, reprenez la route du nord, on n'entre pas encore, on entre moins que jamais à In-Salah. >>

Le capitaine Pein n'a pas tourné bride, il est entré à In-Salah: décidé à tenir jusqu'au bout, et l'on sait que le maintien de notre occupation a été décidé; puis, à la suite de l'affaire du 5 janvier, on a résolu d'envoyer à In-Salah la colonne en formation à El-Goléa.

C'est un grand et brillant succès; comme l'a dit M. Cambon, ce qui a été commencé à Tombouctou doit être achevé à In-Salah tenons maintenant les deux clefs du Sahara occidental.

; nous

Le grand mérite de ce fait d'armes est qu'il a été accompli avec des moyens réellement proportionnés à leur objet. Le Sahara ne vaut ni beaucoup de sang, ni beaucoup d'or, et s'il avait fallu, comme il en a été plusieurs fois question, une armée de dix mille hommes pour s'emparer de cette misérable bourgade d'In-Salah, on aurait eu le droit d'hésiter; mais il n'était plus nécessaire, comme l'expérience l'a démontré, comme le savaient depuis longtemps tous ceux qui sont au courant des choses du Sahara, de prendre un pareil pavé pour écraser cette mouche venimeuse.

Un autre fait à retenir, c'est que l'occupation d'In-Salah, qu'on le veuille ou non, entraîne forcément, et à bref délai, celle de tout le groupe des oasis du sud-ouest : « L'Algérie n'est pas achevée, a écrit Rohlfs, il est absolument nécessaire que le système de l'Oued Saoura, et par suite, le Gourara, le Touat et In-Salah soient attirés dans la sphère d'action de la France; il est tout à fait étonnant qu'on ne l'ait pas reconnu après le massacre de la mission Flatters. » Désormais, grâce à la prise d'In-Salah par le capitaine Pein, l'Algérie est achevée ou le sera dans quelques mois, sans efforts démesurés, sans grandes dépenses d'hommes ni d'argent; le vain fantôme qui nous faisait reculer s'est évanoui devant l'épée de ce brave : c'est si bien taillé qu'il est impossible de mal recoudre.

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