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tionnaire aussi peu important que celui de Sooi-Kaï, et la remise d'une indemnité peuvent même avoir de funestes conséquences; des milliers de taels ne sont pas difficiles à réunir; il suffira d'augmenter les droits de likin de quelques routes fréquentées par les commerçants qui se dirigent vers nos possessions. Non seulement les coupables ne pâtiront point, mais les mandarins auront soin d'avertir les marchands que notre voisinage est la seule cause de ce droit supplémentaire, et les Anglais se réjouiront de ce nouvel obstacle au commerce qui tend à s'établir avec nous. Déjà bafoués, nous n'en serons que plus détestés par les Chinois. Le châtiment promis n'atteindra qu'un fonctionnaire de médiocre importance; sa dégradation ne sera qu'un leurre ; un poste lucratif le récompensera d'avoir su tenir tête aux étrangers et soutenu la révolte. D'aucune façon le résultat visé ne sera atteint, au contraire.

Il fallait exiger la tête des coupables et celle du mandarin qui les commandait; il fallait aussi demander l'érection, aux frais du viceroi, d'un monument expiatoire; une inscription eût rappelé le crime et la punition. Timbré des deux idéogrammes qui l'eussent mis sous la protection du Fils du Ciel, il eût imposé le respect, et sa conservation eût été assurée.

Il faut surtout refuser énergiquement toute offre d'indemnités, celles-ci ne devant jamais compenser que des dommages matériels. Leur acceptation est déplorable, non seulement au point de vue de la justice, puisque le coupable et les puissants n'en souffrent aucunement, mais encore et sur ce point tous les étrangers, quelque divisés qu'ils soient par des rivalités internationales, sont d'accord, car il s'agit de leur existence parce que c'est un pas de plus dans la voie qui conduit à tarifer le meurtre de tout Européen. La nomination de Li-Hung-Chang, comme vice-roi des deux. Kouang, ne peut encore être appréciée de façon précise. Peut-être est-ce une nouvelle disgrâce, et faut-il voir là le succès d'une manœuvre du parti mandchou, heureux d'éloigner un dangereux adversaire et de le mettre aux prises avec une situation difficile. Il n'est pas aisé de pénétrer les intrigues de palais; mais s'il est vrai que son renvoi du Tsong-li-Yamen, en septembre 1898, donna lieu à une démonstration de sympathie de la part des ministres de France, de Russie et d'Allemagne, il ne faut pas oublier que Li fut accusé, par quelques-uns, d'avoir été de connivence avec le parti jeune-cantonnais; or, celui-ci faisait ouvertement le jeu de l'Angleterre. En tout cas, il est certain que le vieux mandarin sera vivement sollicité de deux côtés différents : son hésitation devrait se terminer en notre faveur. Un nouveau champ s'ouvre à l'habileté de M. Pichon et de M. Doumer. Nous croyons qu'elle pourra s'employer utilement, s'ils sont en mesure de proposer quelques avantages très matériels que l'ancien vice

CARTE DE LA BAIE DE KOUANG-TCHEOU

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Délimitation indiquée par le Temps. ✦✦✦✦✦✦✦. id. qu'il faut exiger.

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roi du Petchili, aussi bien que l'inspectenr du cours du Hoang-Ho, jamais paru mépriser. D'ailleurs, on peut être sûr que la cavalerie de Saint-Georges ne restera pas inactive.

Le gouvernement français a aussi demandé — et obtenu — la concession d'une voie ferrée de Kouang-tchéou à Oui-pou, et le droit d'exploiter les mines de Kao-tchéou et de Lei-tchéou; de nouveaux débouchés s'offrent ainsi à nos capitaux qui, depuis peu, semblent montrer plus d'initiative que par le passé. Mais il faut veiller : si l'on n'y prend garde, le Tonkin sera bientôt bloqué; les promesses consenties par la Chine n'auront plus aucune valeur, et nous devrons abandonner toute idée d'exploitation du Yunnan ou de liaison avec le Selchouen. Déjà nos rivaux ont obtenu de faire la police de la rivière de l'Ouest, et leurs canonnières remontent au delà de Canton. Déjà, ils ont construit à Ou-tchéou-fou un consulat fortifié. Cette hardiesse contraste étrangement avec notre abstention systématique pendant près d'un an.

Faut-il rappeler que l'occupation des points concédés aux diverses puissances donna lieu partout à des difficultés analogues aux nôtres. Si nous citons nos rivaux en exemple, l'idée qui nous guide n'est pas le désir d'une imitation irréfléchie; mais la différence de politique a produit des résultats différents. Les nôtres ne sont pas à notre honneur et jugent notre système. Les Russes en Mandchourie, les Allemands à Kiao-tchéou, les Anglais à Kaulong se heurtèrent à la même animosité. On en parla moins, car les premiers actes d'hostilités furent aussitôt réprimés, parfois non sans cruauté; l'hostilité fit place au respect. Il faudrait comprendre enfin que l'entente cordiale est impossible avec les Chinois, et que ceux-ci ne respectent que la force. Pendant assez longtemps, nous avons fait preuve de faiblesse. Cette politique si jamais c'en fut une

a porté ses fruits. Les plus acharnés à la suivre, en dépit des avertissements, doivent être convaincus de leur erreur. Il est temps de n'y plus persévérer.

Il y a quelques mois, à l'autre extrémité du Tonkin, un consulat français sur la frontière du Yunnan fut attaqué, pillé et incendié. Bien que promise à nouveau, nous attendons encore la réparation de l'outrage que notre pavillon subit à Mongtse. A l'époque de cette provocation, M. Doumer voulut y répondre par l'envoi d'une expédition de 4.000 hommes; il se faisait fort, avec ces troupes, et sans demander un centime à la France, d'occuper sans coup férir la capitale du Yunnan. Un consul fit tout avorter, et le quai d'Orsay défendit d'exécuter ce projet qui nous eût permis de régler, à notre profit, la question des débouchés de l'arrière-Tonkin. Cette défaillance a eu son contrecoup. Désormais, les Chinois furent assurés qu'ils pouvaient tout oser. Quelques mois après, des troupes régulières atta

quaient un détachement (9 octobre: 2 tués, 6 blessés), et le 12 novembre assassinaient deux officiers. Le 16 et le 22 novembre, après la signature de la convention de délimitation, de nouveaux combats nous coûtaient encore 2 tués et 12 blessés.

En résumé, si notre gouvernement peut, sur d'autres points, réclamer à bon droit le bénéfice et l'honneur d'opportunes résolutions, il y a lieu de craindre qu'en Extrême-Orient il ne laisse péricliter nos intérêts: prestige moral et situation matérielle. La réparation de l'attentat commis, le 12 novembre, à Kouang-tchéou, n'est pas proportionnée au crime. La délimitation de notre nouvelle baie ne prévoit qu'un territoire absolument insuffisant pour assurer la consolidation de la situation militaire et le développement de nos intérêts commerciaux. Nous voulons espérer qu'une ratification trop hâtive ne nous a pas enlevé l'espoir de modifier ce tracé défectueux; en tout cas, s'il en est ainsi, les compensations qui nous ont été accordées pour l'assassinat de deux officiers doivent être complétées par une extension continentale qui ne peut rencontrer plus de difficultés que celle des Anglais à Kaulong.

Pour l'instant, nous avons hâte d'apprendre que deux officiers français, lâchement assaillis et assassinés, ont été dignement vengés, et, saluant respectueusement ceux qui sont morts en faisant leur devoir, nous répétons, comme on le fait là-bas, chaque soir, à bord du Descartes :

<< Gourlaouen et Koun, enseignes de vaisseau du poste de Montao, morts à l'ennemi. »

***

AUSUJET D'UN ESSAI SUR LES BIENS HABOUS"

EN ALGÉRIE ET EN TUNISIE

Nulle institution musulmane ne semble plus étrangère à nos conceptions juridiques que celle du habous ou wakf. Cet acte, dont le seul fondement légal est une idée religieuse, n'a aucun équivalent dans notre législation. Chez nous, la loi civile et la loi religieuse sont profondément distinctes; en Islam, elles se confondent absolument et leurs prescriptions sont obligatoires au même titre : cette confusion est le trait distinctif qui sépare le droit musulman de nos législations européennes. Il importe de bien s'en pénétrer pour saisir le génie de la race arabe; et nulle étude ne peut être plus favorable à cet effet que celle des règles gouvernant le wakf. D'autre part, cette modification de la propriété, si étrange à nos yeux d'Européens, présente une importance capitale dans la législation foncière de l'Islam, dans l'histoire et l'économie de tous les pays musulmans. Aussi faut-il féliciter M. Jean Terras de nous avoir donné une Étude sur les biens habous en Algérie et en Tunisie', constituant, à notre avis, l'exposé le plus intéressant et le plus lucide qui ait encore été fait de cette difficile question.

L'auteur étudie d'abord, dans la première partie de son ouvrage, les règles juridiques qui gouvernent le habous dans le droit musul

man.

Cet acte consiste essentiellement dans l'attribution des revenus d'un immeuble à la réalisation d'une œuvre pieuse, agréable à Dieu, œuvre qui peut être, selon les cas, soit l'entretien des pauvres, et notamment ceux des deux villes saintes de l'Islam, la Mecque et Médine, soit les secours aux voyageurs, soit la conservation des édifices religieux, mosquées, marabouts, des cimetières, etc... Pour assurer la réalisation et la perpétuité de l'œuvre pieuse, l'immeuble wakf est placé complètement hors du commerce; il ne peut plus être vendu, donné, légué, engagé, compris dans un partage de succession : la propriété du fonds est à Dieu; l'usufruit seul peut en être donné aux hommes 2. La jouissance des habous est donc

1 Essai sur les biens habous en Algérie el en Tunisie. Étude de législation coloniale, par JEAN TERRAS, avocat à la Cour d'appel de Lyon. Lyon, imprimerie du Salut public, 1899.

2 C'est un bien de mainmorte. Cette idée est parfaitement exprimée par la signi. fication des deux mots habous et wakf. Habous signifie emprisonné; wakf (prononcez ouakof), arrêté, immobilisé; c'est-à-dire soustrait aux transactions, placé hors de la circulation.

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