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elle espéroit qu'il deviendroit son protecteur auprès du saint Siége, et son espoir ne fut pas trompé.

Tandis que César travailloit avec un zèle admirable à la sanctification des ames, Dieu le visita par une des peines les plus sensibles que l'homme puisse souffrir ici-bas, et qui est pour la vertu une des épreuves les plus difficiles à soutenir. Pendant son séjour à Cavaillon il avoit eu souvent les yeux malades. Après son arrivée à Avignon il s'aperçut que sa vue s'obscurcissoit, et il souffroit en même temps des douleurs aussi vives qu'elles étoient continuelles. Cet état devint si pénible que l'on craignoit pour ses jours. Mais la violence du mal ne servit qu'à faire éclater la patience du saint prêtre. Repassant dans son esprit les égaremens de sa jeunesse, il répétoit souvent ces paroles de David: « Vous êtes juste, » Seigneur, et vos jugemens sont équitables. Une privation pour lui bien grande étoit de ne pouvoir plus offrir le saint sacrifice; il y suppléoit par la communion. Au bout de neuf mois il prit l'habitude d'en approcher très-fréquemment, et cette divine nourriture lui rendit bientôt la santé

du corps. Mais pour exercer sans doute sa patience, Dieu permit qu'il restât aveugle, et il eut à endurer cette infirmité l'espace de treize ou quatorze ans.

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César, que la foi élevoit au-dessus des sens ne regarda point comme un grand malheur la perte qu'il avoit faite de la vue. Il n'en travailla pas avec moins d'ardeur au salut des ames dans le tribunal de la pénitence, et par la prédication. Etant un jour monté en chaire, le peuple qui vit l'état d'infirmité dans lequel le saint prêtre se trouvoit, en témoigna sa peine assez haut dans

l'église par des soupirs et des paroles de compassion. César l'ayant compris, dit à son auditoire : « Ne pleurez point sur moi, mais sur vous » et sur vos enfans. J'ai perdu mes deux plus > grands ennemis, et vous avez encore les vôtres.

» Oh ! que le sage a eu bien raison de dire que » de toutes les créatures, il n'y en a point de > plus méchantes que les yeux. »

D

Un médecin arabe que son talent avoit rendu célèbre, passant à Avignon, fut prié d'aller visiter César. Il examina ses yeux et ne jugea pas sa cécité incurable. Il offrit d'en prendre soin et promit avec assez d'assurance de le guérir. César n'y consentit pas. Le médecin, mortifié de ce refus et pensant qu'il étoit pris pour un charlatan, se fit connoître au saint prêtre, en lui en témoignant sa peine; celui-ci lui répondit qu'il se gardoit bien de juger mal le prochain et qu'il honoroit les médecins; Mais je fais, lui dit-il, si » peu de cas de mes yeux que je ne les crois dignes ni d'un simple désir de ma part, ni de » la moindre application de la vôtre.»

D

César sentoit néanmoins cette privation, et elle l'affligeoit à cause de trois choses: parce qu'il ne pouvoit plus par ses regards attirer les pécheurs, parce qu'il étoit obligé de renoncer au petit catéchisme, et enfin parce qu'il n'avoit plus la consolation de célébrer la messe ; mais il trouvoit aussi dans sa cécité un moyen de pénitence pour sa vie mondaine et une facilité plus grande pour se recueillir en Dieu. Il satisfaisoit chaque jour avec un peu d'aide à l'obligation de l'office divin; il récitoit l'office de la sainte Vierge, ainsi qu'un grand nombre d'autres prières, et il annonçoit la parole de Dieu. Plus tard, il remplit avec un rare talent la charge si difficile de supérieur de sa

nouvelle société. Il prouva par son exemple que la piété remplace avec succès les avantages que les infirmités physiques ont fait perdre.

L'année 1598 fut pour la congrégation de la Doctrine chrétienne une époque remarquable. L'archevêque d'Avignon, vice- légat du saint Siége, donna des bulles pour approuver de nouveau l'institut dont le but, y disoit-il, étoit d'enseigner le catéchisme et de s'opposer par ce moyen à la corruption des mœurs, ainsi qu'aux progrès des nouvelles hérésies. Ces bulles permettoient de faire des établissemens dans les provinces du midi de la France. Elles ordonnoient que pers onne ne seroit admis dans la congrégation sans avoir donné des marques assurées de sa piété; que les laïques qui voudroient s'engager à vivre dans la continence n'en seroient point exclus, pourvu qu'ils pussent par leur travail pourvoir à leur subsistance et même aider à celle des ouvriers évangéliques; que tout ce qu'on recueilleroit des revenus des bénéfices, des biens patrimoniaux ou du travail des mains, seroit mis en commun ; qu'on éliroit un supérieur à qui chacun seroit obligé d'obéir; que l'exercice de la doctrine chrétienne ne seroit pas l'unique occupation des prêtres; mais qu'ils pourroient encore, sans sortir de l'esprit de leur institut, prêcher la parole de Dieu dans la chaire de vérité et réconcilier les pécheurs dans le tribunal de la pénitence. Le nombre des membres qui composoient alors la société, et qui sont nommés dans les bulles étoit égal à celui des apôtres : ils étoient douze parmi lesquels se trouvoient cinq prêtres.

Tandis que le nouvel archevêque d'Avignon Bordini, qui, étant évêque de Cavaillon, avoit déjà approuvé la congrégation, l'affermissoit en

core par l'autorité dont il étoit revêtu, son prédécesseur Taurugio, devenu cardinal, s'employoit à Rome avec zèle en faveur de cette même société. Il obtint du pape Clément VIII un bref qui fait les plus grands éloges de l'institut de la Doctrine chrétienne, qui le confirme de nouveau, qui autorise à en former partout des établissemens, et qui accorde de grandes grâces spirituelles tant aux sujets de la congrégation qu'à ceux qui viendront entendre leurs instructions. Le saint Père ne se borna pas à cette seule marque de bienveillance; comme il étoit souverain d'Avignon, il assigna dans cette ville à César et à ses disciples une église et un monastère pour être la première maison de la congrégation, et la mère de toutes les autres. Ce fut le couvent de Saint-Jean dit le Vieux, qui a été la demeure des pères de la Doctrine chrétienne jusqu'à l'époque de la révolution.

Avant que la congrégation eût été confirmée par l'autorité apostolique, elle n'avoit point de supérieur fixe. On y commandoit tour à tour et par semaine. C'étoit une invention de l'humilité de César pour éviter la supériorité; mais la bulle de confirmation ordonnant expressément d'en élire un, on ne put éviter de se soumettre à cette disposition. Le choix ne fut pas difficile à faire. César avoit tant de titres à cette dignité, que tous ses frères l'y élevèrent avec un applaudissement universel. Il eut beau prétexter sa cécité, elle ne parut pas à ses disciples une raison suffisante pour se dispenser de le placer à leur tête. Sa conduite leur prouva bientôt qu'ils avoient été dans leur choix guidés par l'esprit de Dieu.

César se proposa pour modèle de son gouvernement la manière d'agir de Jésus-Christ envers

ses apôtres. Il étoit le serviteur de tous; évitant de parler à ses frères d'un ton d'autorité, il les traitoit en amis. Quand il se présentoit quelques sujets, il regardoit bien moins à la naissance et à la fortune qu'à la solidité de la vocation, et il préféroit un pauvre qui pratiquoit le dégagement intérieur, à tous les riches qui conservoient encore quelque attache à leurs richesses. Aussi n'admettoit-il pas indistinctement dans sa congrégation tous ceux qui se présentoient; mais il les édifioit tellement, qu'ils conservoient le souvenir des vertus dont il leur avoit donné l'exemple.

Père tendre et plein de compassion, César savoit le secret d'exciter le zèle de ses enfans et de les soutenir dans les peines qu'ils éprouvoient. Il fortifioit les foibles par sa fermeté, et par sa prudence; il modéroit ceux qu'un caractère trop ardent auroit emporté au-delà des justes bornes. Aussi tous se trouvoient heureux de l'avoir pour chef, et malgré les efforts qu'il fit à plusieurs reprises pour se démettre de sa supériorité, surtout en 1606, il n'y pouvoit réussir. « Vous êtes

notre père, lui disoient alors ses disciples, » soyez aussi notre guide. C'est par vous que Dieu » nous a fait entrer dans ses voies, que ce soit D aussi par vous qu'il y règle tous nos pas. >> Gésar se laissa fléchir par les prières réitérées qu'on lui faisoit. Dieu vouloit qu'il souffrît les peines attachées à la supériorité, il ne tarda pas à les éprouver.

Les bulles qui avoient constitué la société de la Doctrine chrétienne en congrégation ecclésiastique, n'avoient point donné en détail les obligations et les pratiques auxquelles devoient être soumis les membres qui la composoient. César

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