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en diverses villes, et au bout de quelque temps toutes les provinces du midi de la France purent profiter du zèle de ces pieuses filles pour l'instruction de la jeunesse. Mais, comme César, elles eurent d'abord à souffrir des persécutions. On se déchaîna contre elles, sous prétexte qu'il n'appartenoit pas aux femmes d'enseigner; on détournoit les sujets qui songeoient à se fixer parmi elles; on regardoit et l'on annonçoit leur ruine comme prochaine, parce qu'elles ne s'étoient pas astreintes à la clôture; enfin l'on avançoit que ce nouvel institut étoit opposé à l'intention et aux règles de l'Eglise. César défendit son ouvrage avec zèle; il parla aux supérieurs ecclésiastiques en faveur des Ursulines et les justifia pleinement. Ainsi, l'on peut le regarder avec raison, non-seulement comme le fondateur de cette pieuse et utile société, mais aussi comme le promoteur de tout le bien qui se fait auprès des jeunes personnes du sexe par tant de congrégations de femmes qui sont établies aujourd'hui, et qui toutes suivent la route que César a le premier tracée.

La réputation du saint prêtre n'étoit pas renfermée dans les murs d'Avignon ; elle s'étendoit au loin, et on le regardoit comme un oracle que l'on pouvoit consulter avec assurance. Telle fut l'idée qu'en eut le pieux et célèbre cardinal de Bérulle, fondateur de la congrégation de l'Oratoire en France. Il avoit été, dès son enfance, appelé à la perfection d'une manière particulière; mais il avoit d'autant plus d'obstacles pour y parvenir, que tout sembloit l'en éloigner; la vivacité de son esprit, l'étendue et la profondeur de son savoir, sa naissance distinguée lui promettoient un sort brillant dans le monde. Bérulle, tout

jeune, eut le bonheur d'échapper aux dangers du siècle; il joignit àla pratique de la chasteté celle de la mortification et une humilité profonde qui lui fit plusieurs fois refuser l'épiscopat. Cependant, malgré tout son courage, il avoit besoin de conseils; il vint en chercher auprès de César, qui unissoit alors dans sa personne une sainteté parfaite et une expérience consommée. Bérulle lui ouvrit son cœur et lui communiqua le dessein qu'il avoit dès lors formé, et qu'il exécuta depuis, d'établir une congrégation d'ecclésiastiques séculiers, dont le but seroit de porter ceux qui en deviendroient membres à tendre sans cesse à la perfection sacerdotale, et de l'inspirer aux jeunes clercs, de l'éducation desquels on se chargeroit dans les séminaires. César applaudit de bon cœur à ce projet. L'idée d'une congrégation dévouée à Jésus-Christ d'une manière spéciale, toute occupée du souvenir de ses grandeurs, de l'amour de ses perfections, et empressée d'imiter ses divines vertus, lui plaisoit extrêmement; il regarda le dessein de Bérulle comme une inspiration du ciel; il lui dit qu'il le trouvoit si plein de sagesse et si saint, qu'il n'y avoit plus rien à souhaiter, sinon qu'il fût promptement exécuté. Bérulle répondit avec beaucoup d'humilité, que cette congrégation manquoit d'un chef; que plusieurs personnages de piéte, entre autres le saint évêque de Genève, François de Sales, avoit refusé cette charge, et qu'il falloit quelqu'un pour la gouverner. César, touché de tant de modestie, lui dit alors que ce seroit lui-même, et non un autre, qui établiroit la nouvelle congrégation, et il l'engagea à mettre sans tarder la main à l'œuvre. I fit ensuite connoître à Bérulle l'esprit et le but de la société de la Doctrine chrétienne; enfin

ils se quittèrent réciproquement édifiés et satisfaits.

Le saint prêtre étoit accablé d'infirmités, et il sembloit que Dieu ne lui prolongeoit la vie que pour lui donner le moyen d'acquérir par ses souffrances de nouveaux mérites pour le ciel. Devenu hydropiqne, il éprouvoit tous les maux que cause cette cruelle maladie, et loin de chercher des adoucissemens à ses douleurs, il pratiquoit encore cette mortification sévère à laquelle il s'étoit depuis long-temps soumis. Le démon redoubloit ses efforts pour le tourmenter rudement; enfin César devenoit de plus en plus conforme à son divin modèle, Jésus-Christ crucifié. Il passa un an dans cet état, parfaitement soumis à la volonté de Dieu et s'estimant heureux de pouvoir expier ainsi les péchés de sa jeunesse. Cependant ses forces diminuoient, il s'en apercevoit lui - même, et il prédit le jour de sa mort quinze jours avant qu'elle arrivât; ayant demandé le sacrement d'extrême - onction, il le reçut avec les sentimens de la componction la plus vive et de la dévotion la plus ardente. La communauté le pria alors de donner à la congrégation sa dernière bénédiction; il se rendit à ses désirs, et répéta jusqu'à cinq fois ces paroles: Faites cas de l'obéissance, sans elle n'es> pérez point de faire jamais rien de bon. » Il voulut lui-même donner un exemple de cette vertu; ayant obligé ses frères à élire un nouveau supérieur, qui fut le P. Antoine Sizoine, il se soumit en tout à sa volonté, exécutoit ses ordres avec la simplicité d'un enfant. Il alla plus loin encore, et joignant l'esprit de pauvreté à celui de l'obéissance, il fit emporter de sa chambre tout ce qui pouvoit rappeler son ancien rang, et il ne

fut satisfait que quand il la vit dans une nudité complète.

Les enfans 'de César désiroient beaucoup apprendre les particularités de la vie de leur saint père, et connoître les faveurs extraordinaires que Dieu lui avoit accordées. Un jeune profès, nommé le P. Larme, qui étoit son infirmier, et qui, , par son bon naturel et sa grande piété, avoit gagné toute son affection, étoit souvent occupé de cette pensée; il avoit même, à ce sujet, fait plusieurs fois des questions à César; mais celuici, rempli d'humilité, se regardoit comme un trop grand pécheur pour vouloir que son souvenir fût conservé dans la mémoire des hommes. Le P. Larme le pressant un jour sur ce point, il lui répondit : « Vous m'êtes un satan; il n'y a > rien dans ma vie qui mérite d'être écrit; et › quand j'aurois vécu saintement, ce qui n'est » pas, sait-on quelle sera ma fin? C'est ainsi que César répondoit aux sollicitations de son jeune infirmier, qui ne pouvoit vaincre sur ce point la résistance du saint prêtre.

Le P. Larme, voyant tous ses efforts inutiles, alla trouver le supérieur de la congrégation, et lui dit qu'il n'y avoit plus d'autre moyen de faire parler le P. César,que de l'y contraindre par obéissance. Le supérieur y répugna d'abord, et avant d'en venir à ce point, il assembla son conseil. Les uns étoient d'avis que l'on n'obligeât point le malade à s'expliquer, et soutenoient leur sentiment par plusieurs raisons plausibles; d'autres, au contraire, prétendoient qu'il falloit connoître les grâces que le Seigneur avoit faites à son serviteur, pour la gloire de Dieu et l'édification de l'Eglise; que le P. César étoit à l'épreuve de tout, et que son obéissance étoit si grande, que le plai

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sir qu'il auroit à la pratiquer adouciroit la peine qu'il pourroit d'ailleurs en éprouver.

Le supérieur suivit ce dernier sentiment, et, accompagné de quelques-uns des prêtres de la communauté, il pria le saint malade, au nom de Dieu et de la congrégation, de leur faire un petit récit de sa vie.

L'embarras de César fut grand et se manifesta par la rougeur de son visage. Le sentiment de l'humilité et celui de l'obéissance se combattoient en lui et le tinrent quelque temps en suspens. S'étant ensuite remis, il dit, en général, qu'il avoit commis beaucoup de péchés; qu'il auroit pu en commettre un plus grand nombre encore s'il n'avoit reçu un secours puissant de la miséricorde de Dieu; que ses infirmités étoient aussi, sans doute, des dons de cette miséricorde divine, et qu'il en remercioit le Seigneur. Cette réponse vague ne suffisoit pas ; le supérieur insista sur les détails. Ce fut alors que la peine de César redoubla. Cependant, rempli de soumission, il fit ce que l'on exigeoit de lui; il dit donc que la plus grande grâce qu'il eût reçue, après son baptême et son éducation dans le sein de l'Eglise, étoit la dévotion tendre et respectueuse qu'il avoit toujours eue envers la Mère de Dieu. Il parla des jeunes qu'il faisoit étant écolier, de l'attrait qu'il avoit eu pour l'état ecclésiastique dès son bas âge, et de la manière dont il avoit été converti par le zèle d'Antoinette.

Il n'oublia pas le flambeau qu'il avoit porté devant le Saint Sacrement, ni la rude tentation qu'il avoit si long-temps éprouvée, non plus que les austérités qui l'en avoient rendu victorieux. Il parla encore de quelques grandes conversions pour lesquelles Dieu s'étoit servi de lui, de ses

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