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l'Europe, ne connut réellement de bons écrivains que depuis que le parlement, chargé de décider les grands intérêts de cet État, si sujet aux convulsions politiques, eut vu naître dans son sein des orateurs qui fixèrent enfin une langue riche de toutes les bonnes expressions usitées dans l'Europe, et quine put que se perfectionner infiniment, dès que les lettres furent en honneur. La grande charte de la liberté peut être regardée comme l'époque de la belle littérature de ces insulaires.

Toujours ouverte aux étrangers, l'Angleterre accueillit de tout temps nos François ; les nouveautés en matière de religion y firent passer, ainsi que dans tout le Nord, plusieurs illustres proscrits, qui, y trouvant la liberté du culte, durent à la munificence de la nation, à l'empressement que témoignoient quelques particuliers, de concourir à la publication de bons ouvrages, le loisir de cultiver les lettres et de produire des écrits faits pour le disputer à ce que l'intérieur de la France publioit de plus accompli. Saint-Evremont, victime de quelque intrigue de cour, trouva dans les Anglois un peuple enthousiasmé de la beauté de sa diction. Si, rappelé dans une patrie dont il avoit toujours gémi d'être éloigné, ses infirmités lui ravirent la consolation de terminer ses jours près du tombeau de ses pères, il eut au-moins la

gloire d'être enseveli dans le temple destiné à la sépulture des héros et des grands hommes. Voltaire, Delille trouvèrent en Angleterre des admirateurs éclairés de leurs talens. Ils auroient pu y recueillir des trésors, comme ils y recurent les plus honorables encouragemens. Un autre mobile, la liberté religieuse et politique de la presse, y multiplia ces ouvrages nombreux, souvent incendiaires, rarement sans scandale, interdits en France par l'inflexibilité des censeurs et des gardiens des loix.

Quels progrès ne devoit pas avoir faits en Angleterre une langue, qui étoit celle de SaintÉvremont, de la duchesse de Nivernois, de ces illustres bannis de la cour de Louis XIV, où les charmes de l'esprit ne servoient point de sauve-garde à la corruption des mœurs *, de ces nombreux disgraciés que l'intrigue relégua dans ce pays hospitalier, et en même-temps toujours si jaloux de devenir, par la protection accordée aux mécontens, le foyer de nos dissensions domestiques! Hommage à la nation dont les individus, sensibles aux maux de l'humanité, pensent ne pouvoir faire un plus noble usage de leur fortune, qu'en ouvrant de généreuses souscriptions, pour tenir sans cesse des secours prêts

* HÉNAULT, Abrégé chron., année 1682.

à adoucir l'infortune, même envers des voisins en guerre ouverte avec eux, sans être retenus par les principes politiques ou religieux que ceux-ci professent ! Honte au gouvernement, si, par la plus abominable de toutes les politiques, il cherche, au moyen de secours insidieux, à séduire des coeurs flétris, pour leur confier le poignard meurtrier, et servir leur fureur!

Ce qui fait honneur à notre langue, c'est que le meilleur des ouvrages philosophiques composés dans la Grande - Bretagne, l'Essai de Locke, y fut traduit sous les yeux de l'auteur, el y trouva, sous cette nouvelle forme, des applaudissemens qui le mirent fort au-dessus de l'original. C'est aussi des presses de Londres que sont sorties, dans toute la beauté typographique possible, les meilleures éditions de nos premiers écrivains. Si l'orgueil national y proscrit notre langue des cercles et des assemblées

• Les François n'oublieront jamais la générosité avec laquelle toutes les classes des citoyens de l'Angleterre se sont empressées de venir au secours des nombreux prêtres déportés, et des émigrés réfugiés dans cette fle. Le moindre de ces secours étoit d'une guinée par mois à quiconque y abordoit. Mais on sait combien de fois l'Angleterre a revomi, sur le sol de la France, armés de fer et d'un or corrupteur, les traîtres et les scélérats qu'elle prenoit à sa solde.

b C'est, dit le pire Lamy, que notre langue est plus propre qu'aucune autre à traiter des sciences; elle le fait avec une admirable clarté. La traduction parut en 1691.

pou

publiques, u'est-il pas glorieux pour elle de voir dire qu'il n'y a aucun Anglois instruit, aucune femme au-dessus du commun, qui ne sache notre langue, qui ne lise avec goût, avec fruit, nos livres les plus délicatement écrits?

La révocation de l'édit de Nantes acheva, dans le Nord, ce que la prééminence des talens avoit commencé d'établir. L'on vit des colonies françoises se former de toutes parts, les villes de la Hollande se remplir de réfugiés; le Palatinat, la Prusse, la Saxe, devenir la retraite des savans; les lumières, jusqu'alors concentrées dans quelques villes, telles que Moutauban, Saumur et Sédan, s'épanouir et se répandre sur des contrées entières, et dès ce moment la littérature françoise y marcher d'un pas égal, et le disputer avantageusement à celle du pays; je puis même ajouter, l'éclairer, la perfectionner.

La langue françoise devint alors celle de la capitale du Brandebourg, celle de l'Académie de Berlin. Cette compagnie, fondée en 1700 sous le nom d'Académie des Sciences, fut renouvelée et installée le 23 janvier 1744, sous le nom d'Académie des Sciences et Belles-Lettres. Dès 1746, la langue françoise fut substituée à la langue latine dans la rédaction des Mémoires, pour rendre l'usage de ces Mémoires plus étendu, dit Formey, leur rédacteur. « Car les limites du

pays latin se resserrent à vue d'œil, au-lieu que la langue françoise est à-peu-près dans le cas de la langue grecque, du temps de Cicéron. On l'apprend par-tout, on recherche avec soin les livres écrits en françois; il semble que cette langue soit la seule qui donne aux choses cette netteté et ce tour, qui captivent l'attention et qui flattent le goût ». La langue françoise fut préférée par le grand Leibnitz, pour la rédaction de ses OEuvres philosophiques; par Frédéric, ce roi guerrier, philosophe et poëte, qui accueillit Voltaire, Maupertuis, Desprades, et qui attiroit à sa cour tout ce que la France avoit d'écrivains illustres. Il joignit aux lauriers de Mars ceux qu'Apollon distribue à ses favoris; ses vers, sa prose françoise ont été reçus avec applaudissement. La flatterie eut peu de part à l'accueil que le public fit au poëte ceint du diadême. L'auteur des Mémoires du Brandebourg avoit assuré sa gloire avant de penser à des conquêtes, avant de porter la couronne. Le parallèle qu'il fait du Grand-Électeur et de Louis XIV, est un chef-d'oeuvre de finesse, qui passera toujours pour un des plus beaux ornemens de notre langue. Socrate sur le trône, César à la tête des armées, il fut tour-à-tour poëte, historien, philosophe, législateur et héros.

C'est cette langue que Pétersbourg, fondé

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