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ture, faite par un académicien de Florence: « Ces débris de la langue chantée dans la lan» gue parlée font un effet malheureux. Les » Italiens et les partisans de leur langage igno» rent sans doute que c'est à l'ame seule, sui»vant les sentimens qu'elle veut exprimer, à » moduler la parole, à la noter ». Toutes ces inflexions artificielles repoussent celles de la nature, empêchent sur-tout de les reconnoître; elles ne leur laissent aucune place; la parole ne

langue françoise, plusieurs de nos linguistes ont pensé autrement. << On prétend communément, dit le Journal des Savans (novembre 1757), que la langue italienne est plus douce que la nôtre, et l'une des raisons qu'on en donne est que la rencontre des consonnes y est plus rare; mais disons avec l'auteur des Remarques diverses sur la Prononciation, que cette raison ne tourne pas à l'avantage de la langue italienne, autant qu'on pourroit le penser; et, quoiqu'il ne soit pas si ordinaire d'y trouver une suite de plusieurs consonnes, il ne faut pas absolument conclure que les articulations composées, qui nuisent en effet à la douceur d'une langue, soient moins fréquentes dans l'italien que dans le francois. On voit dans nos livres, sur-tout dans les anciens, une infinité de consonnes qui ne se prononcent pas, et qui, par conséquent, ne servent point à former des articulations composées. Les Italiens, au contraire, prononcent toutes leurs consonnes, et d'ailleurs ils expriment plusieurs consonnes simples par des articulations doubles (Cicerone, tchitcherone). Il faut encore remarquer que l'n ne sert souvent parmi nous qu'à rendre nasale la voyelle dont elle est précédée, au-lieu que les Italiens, qui n'ont point de son nasal, articulent toujours cette consonne. L'auteur ajoute que, comme le fréquent retour des articulations composées rend la prononciation moins coulante, on ne doit point approuver la déclamation qui affecte de prononcer les consonnes finales.

Tome II.

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naît alors que sur les lèvres; elle ne part que de là. Voilà l'accent naturel, l'accent oratoire, employé par-tout, et sans lequel il n'y auroit pas plus d'éloquence que de poésie.

Mais le discours préparé, la poésie, qui toujours suppose une certaine solennité, par laquelle elle se distingue du ton de la conversation, la poésie outre le mètre, dont font usage les autres nations, exige encore une proportion de syllabes plus ou moins longues ; et cet accent prosodique n'est pas dans les affections, il est dans la nature même des syllabes, quoiqu'il ne s'y montre jamais par des caractères.

Ce n'est pas qu'il soit impossible de marquer les longues et les brèves. « Il n'y a guère, dit d'Olivet, que les langues encore récentes, celles qui n'ont cours que parmi un peuple grossier, dont on puisse dire que chez elle les principes de la prosodie soient arbitraires; ils doivent être fixes dans celles qui ont une certaine ancienneté, et qui sont dans la bouche d'un peuple poli». C'est sous le règne de François Ier que nous trouvons les premiers vestiges de notre prosodie, ou plutôt de nos vers mesurés. L'on peut même dire que nos anciens poëtes étoient parfaitement décidés sur la quantité de nos sylJabes; et les monumens qui nous en restent, font supposer qu'ils tenoient leurs règles d'une

ancienne tradition, qui nous est inconnue. On trouve un distique, composé par Jodelle en 1553. Ces sortes de vers n'avoient pas un nombre déterminé de syllabes, ni des pieds continus de deux syllabes, comme les nôtres, mais ils répondoient au mètre des Grecs et des Latins dans leurs diverses espèces de strophes et dans leurs distiques. Voici celui de Jodelle :

Phoebus Amour Cypris veut sauver nourrir et | förmer]
Ton vers cœur et chef d'ombre de (flammě dě fleurs.

« Ces vers rapportés, dit Pasquier, sont vraî»ment un petit chef-d'oeuvre » (Guéret ne pense pas de même de Jodelle dans sa Guerre des Auteurs *). On voit combien alors la construction étoit éloignée de la nôtre dans la poésie, si celle du distique a mérité de si grands éloges. « Ces deux vers, ajoute-t-il, couroient » par les bouches de plusieurs personnages » d'honneur. Nicolas Déniso fit des endéca

* Il lui fait dire par ironie: Nous étions maîtres du goût de la Cour; on ne se formalisoit point de voir, dans nos vers, des épithètes obscures et fabuleuses, des cacophonies, ni des hiatus; et ce que nous appelons licence entre nous, passoit pour beauté dans le public. Nous faisions de la langue ce qu'il nous plaisoit; nous l'assujettissions à tous nos besoins; et, quand la nécessité nous obligeoit de la violer dans ses termes, personne n'y trouvoit à redire; on croyoit, au contraire, que nous avions droit d'en user ainsi.

» syllabes vers le même temps. Mousset les avoit » précédés ». Pasquier, à la prière de Ramus, tenta d'imiter ces écrivains; il fit vingt-huit vers mesurés à la façon des Grecs et des Latins. » Ramus, devisant avec moi sur ces vers du » distique, me somma d'en faire un autre essai » de plus longue haleine. Pour lui complaire, » je fis, en l'an 1556, cette élégie en vers hexa» mètres et pentamètres :

Riens ne me plaît, si non de te chanter, servir et orner.
Riens ne te plaît, mon bien, riens ne te plait que ma mort.
Plus je requiers, et plus je me tiens sur d'être refusé,
Et ce refus pourtant point ne me semble refus.
O trompeurs attraits, desir ardent, prompte volonté,
Espoir non espoir, ains misérable pipeur,
Discours mensongers, trahistreux œil, aspre cruauté,
Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur,
Pourquoi tant de faveurs t'ont les cieux mis à l'abandon!
Ou pourquoi dans moi si violente fureur?

Si vaine est ma fureur, si vain est tout ce que des cieux
Tu tiens, s'en toi gist cette cruelle rigueur,
Dieux! patrons de l'amour, banissez d'elle la beauté,
Ou bien l'accouplez d'une amiable pitié.

Ou si dans le miel vous mêlez un venimeux fiel,

Veuillez, Dieux, que l'amour rentre dedans le chaos. Commandez que le froid, l'eau, l'été, l'humide, l'ardeur, Brief que ce tout partout rentre à l'abisme de tous; Pour finir ma douleur, pour finir cette cruauté, Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur.

Non hélas! que ce rond soit tout un sans se rechanger
Mais que ma sourde se change ou de face ou de façons,
Mais que ma sourde se change, et plus douce écoute les voix,
Voix que je sème criant, voix que je sème riant:
Et que le froid au feu desormais puisse triompher,
Et que le froid au feu perde sa lente vigueur.
Ainsi s'assopira mon torment, et la cruauté

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur.

» Cette manière de vers, continue-t-il, reprit » cours; mais, après en avoir fait part à Ra» mus, je me contentai de les mettre entre les » autres joyaux de mon étude, et les monstrer » de fois à autres à mes amis.

» Neuf ou dix ans après Mousset*, Baïf fit » vœu de ne faire de là en avant que des vers » mesurez; mais il fut si mauvais parrein, qu'il » ne fut suivi d'aucun; au contraire, descou» ragea un chascun de s'y employer ». Bientôt on voulut ajouter la rime au mètre. Pasquier en rapporte encore des échantillons. Le premier, qui en montra l'exemple, fut Claude Butet:

* Ce Mousset composa en vers l'Iliade d'Homère et l'Odyssée vers 1530. Agrippa d'Aubigné en cite les premiers vers:

Chante Déesse la Cour furieuse et l'ire d'Achille

-Pernicieux qui fut, etc.

D'Aubigné fit aussi des pseaumes, cantiques et prières, en vess

mesurés.

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