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C'est parce que tous ces Noms propres sont employés figu: rément. Les Corneilles pour de grands poètes, les Davids, les Pharaons pour de grands rois; les Nathans, les Josephs pour des ministres intègres, éclairés; les Pelletiers pour de mauvais poètes, etc., etc., et qu'alors ces Noms propres, ainsi employés pour des dénominations communes ou appellatives qui sont susceptibles d'être mises au pluriel, ont dû en pren= dre la marque caractéristique.

Ainsi, à l'exception du cas où l'on fait usage de la figure appelée antonomase, tant qu'un nom reste Nom propre, il ne peut, comme nous l'avons déjà dit, prendre la marque du pluriel, quand bien même il désigneroit plusieurs personnes portant le même nom; mais s'il n'est pas permis de donner au Nom propre la marque du pluriel, l'usage est de la donner à tout ce qui y a rapport. On écrira donc :

Les deux CORNEILLE se sont DISTINGUÉS dans la république des lettres; les CICERON ne se sont pas également ILLUSTRÉS.

Cette phrase, qui est de Beauzée, se trouve ainsi orthographiée dans l'Encyclop. méthodique; et MM. Boinvilliers, Maugard, Caminade, Chapsal, Jacquemard, Laveaux, Roussel de Berville, Domairon et d'autres Gramm. modernes, l'out citée à l'appui de leur opinion sur la manière d'écrire les noms propres au pluriel.

Vous avez pour vous les vœux des trois GUILLAUME.

(L. de G. Budée à Erasme, rapportée dans l'hist. de François Ier.) M. l'abbé Le Bonf a distingue deux ALAIN, l'un évêque d'Auxerre; l'autre religieux de Citeaux.

(Gaillard, Histoire de François I, t. V, p. 20.)

L'Espagne s'honore d'avoir produit les deux SENÈQUE, Lucain, Pomponius, Columelle, Martial, Silius Italicus, Hygin, etc.

(M. Raynouard, Origine et formation de la langue Romane.)

Jamais les deux CATON n'ont autrement voyagé, ni seuls ni avec leurs armées.

(J.-J. Rousseau, Lettre à d'Alembert sur son article Genève, page 152, édit. de Didot, 1817.)

Rodr. Orgognès conseilla à Almagro de faire mourir les DEUX PIZARRE qu'il avoit entre les mains.

(Suard, Hist. d'Amér. I. VI, p. 391.)

Hélas! c'est pour juger de quelques nouveaux airs,
Ou des deux Poinsinet lequel fait mieux les vers.

Des deux Richelieu sur la terre
Les exploits seront admirés.

(Rulhières.)

(Volt., Ép. au duc de Richelieu.)

(101) Les VISCONTI ducs de Milan portoient une givre dans leurs armes. (L'Académie, au mot givre.)

Parce qu'aucun des noms propres n'est, dans ces phrases, employé figurément; que chacun d'eux rappelle l'idée de plusieurs personnes, mais de plusieurs personnes portant le même nom, et qu'enfin, chacun de ces noms restant Nom propre, on n'a pas dû en changer la forme.

Il arrive quelquefois que les poètes et les orateurs font précéder de l'article les, les Noms propres qui ne désignent

(101) M. Lemare (page 17 de son Cours théor., etc.) voudroit que l'on écrivît, avec la lettre caractéristique du pluriel, les deux Tarquins, les deux Catons, les deux Racines, les deux Corneilles, les Montmorencis, parce que, selon lui, les mots Tarquins, Catons, etc., servent à désigner plusieurs individus d'une même famille, du même nom, et que par con= séquent ce ne sont pas véritablement des Noms propres.

Mais il nous semble que cette opinion n'est pas fondée; dans ces phrases, le nom ne doit pas prendre le s, marque caractéristique du pluriel, parce qué ce nom n'y est employé, ni par emphase, ni figurément; et alors il ne cesse pas d'être Nom propre. C'est un nom de famille qu'on ne peut pas défigurer: Tarquin et Tarquins, Caton et Catons ne sont pas les mêmes noms, ne sont pas les noms d'une même famille; consé quemment, quoiqu'on parle de plusieurs Tarquin, de plusieurs Caton, on doit écrire : les deux Tarquin, les deux Caton, etc., sans le signe du pluriel.

Cette opinion, au surplus, est conforme à celle de Beauzée, de Wailly, ie M. Jacquemard, de M. Boniface, de plusieurs autres Grammairiens; et, comme on l'a vu, à celle de Voltaire, de M. Raynouard, de J.-J. Rousseau, de Marmontel, etc., etc.

qu'un seul individu. C'est une irrégularité ou du moins une licence qui a besoin, pour être tolérée, d'un mouvement oratoire, où le génie de l'écrivain, pour ainsi dire hors de lui-même, croit s'exprimer avec plus de force, en employant le signe du pluriel, lors même qu'il ne s'agit que d'une seule personne, comme dans cette phrase de Voltaire aux auteurs des neuvaines du Parnasse :

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Il manque à CAMPISTRON, d'ailleurs judicieux et tendre, ces beautés de détail, ces expressions heureuses qui font l'ame de la poésie et le mérite des HOMÈRE, des VIRGILE, des TASSE, des MILTON, des POPE, des COBNEILLE, des RA= des BOILEAU.

CINE,

Un défaut qui fait naître une beauté se pardonne aisé

ment.

Mais l'abbé Collin mérite d'être repris, quand il dit, en parlant des oraisons funèbres de Fléchier:

La brillent d'un éclat immortel les vertus politiques, morales et chrétiennes DES Le Tellier, DES Lamoignon et DES Montausier.

Il a bien fait de ne pas mettre la lettre s aux Noms propres, puisqu'ils ne représentent qu'un seul individu; mais il a eu tort de ne pas s'être servi de cette simple énonciation:

Là brillent d'un éclat immortel les vertus politiques, morales et chrétiennes DE Le Tellier, DE Lamoignon et DE Montausier;

Parce que, l'écrivain n'éprouvant aucune de ces émotions qui rendent le style figuré, sa manière de s'exprimer n'est pas en harmonie avec sa pensée.

On trouve la même faute dans la phrase suivante:

Nous n'avons point parmi nos auteurs modernes de plus beaux génies que LES Racine et Les Boileau.

que Racine et Boileau.

Il faut dire

À l'égard des noms substantifs qui sont communs ou ap= pellatifs, ou bien qui sont mis dans cette classe, il sembleroit que, par leur nature, ils dussent tous être employés aux deux nombres; il en est cependant plusieurs qui ne s'em=

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ploient qu'au singulier, et d'autres dont on ne se sert qu'au pluriel.

Substantifs qui n'ont pas de pluriel.

1o. Les Noms de métaux considérés en eux-mêmes: or, argent, plomb, étain, fer, cuivre, vif-argent, bismuth, zinc, antimoine, etc. (102).

2o. Les aromates: le baume, la myrrhe, le storax, l'encens, l'absinthe, le genièvre, etc.

3o. Les noms de vertus et de vices, et quelques noms relatifs à l'homme physique et à l'homme moral : l'adoles= cence, l'amertume (103), l'ardeur (104), la bile, la beau=

(102) OBSERVATION. Si les noms de métaux et d'aromates ne s'emploient point au pluriel, c'est parce qu'ils signifient, chacun, une seule substance, composée de plusieurs parties; ou, si l'on veut, parce qu'ils désignent comme individuelle, la masse de chacun de ces métaux et de ces aromates; leur nom est, à la vérité, le nom d'une espèce, mais d'une espèce considérée individuellement, et qui ne renferme point d'individus distincts.

En effet, quand on les considère comme mis en œuvre, divisés en plusieurs parties, et qu'on y distingue des qualités qui permettent de les ranger dans différentes classes, alors ils prennent un pluriel, et le nom devient un nom commun ou appellatif: des ors de couleur, des fers aigres, les plombs d'un batiment.

En aucune langue, dit Voltaire, les métaux, les minéraux, les aro mates, n'ont jamais de pluriel. Ainsi, chez toutes les nations, on offre de l'or, de l'encens, de la myrrhe, et non des ors, des encens, des myrrhes. (Rem, sur Corneille.)

(103) AMERTUME. Ce mot a cependant un plur. mais c'est seulement au figuré : et alors il signifie sentiments pénibles et douloureux.

Dieu nous détache des trompeuses douceurs du monde par les salutaires AMERTUMES qu'il y mêle. ( Le P. Thom. ) (L'Académie, Féraud, Gattel, Laveaux, etc.)

(104) ARDEUR. L'Académie dit : les grandes ardeurs de la canı cule, et Trévoux : les ardeurs du soleil sous la ligne sont tempérées par les vents frais de la nuit. Ce sont les seuls cas où l'on puisse, dans le sens propre, employer le mot ardeur au pluriel.

té (105), la bonté (106), la bienséance (107), le bonheur (108),

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Les poètes qui se servent de ce mot au sing. et au plur. pour amour consultent principalement les besoins de la mesure ou de la rime': Il n'est plus temps: il sait mes ardeurs insensées. ( Racine, Phèdre, III, 1.) Penses-tu que, sensible à l'honneur de Thésée,

11 lui cache l'ardeur dont je suis embrasée? (Le méme, Phèdre, act: III, sc. I.)

Je ne prétends point blâmer ce grand écrivain, mais je crois qu'on ne doit pas l'imiter dans la prose, où la même gêne n'existe pas.

(105) BEAUTÉ. Autrefois on employoit indifféremment le mot beauté au pluriel et au singulier, lorsqu'on vouloit parler des qualités ou de la réunion des qualités d'une personne qui excite en nous de l'admiration et du plaisir mais aujourd'hui on ne le met plus en ce sens qu'au singulier. Voulant parler des détails qui concourent à former la beauté d'un tout, ou des parties d'une chose qui sont belles, quoique les autres ne le soient pas, le mot beauté se met au pluriel : il est bien difficile de décrire toutes les BEAUTÉs qu'ily a dans cette ville. (L'Acad.) Cependant, quoiqu'on dise les beautés d'un ouvrage, on ne peut le dire d'un auteur. On dira : les beautés de l'Énéide, mais on ne dira point les beautés de Virgile.

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Beauté se dit aussi quelquefois au pluriel dans un sens indéfini : il y a des beautés de tous les temps et de toutes les nations.'

C'est aux gens mal tournés, c'est aux amants vulgaires,

A brûler constamment pour des beautés sévères. (Molière.)

(106) BONTÉ. On l'emploie quelquefois au pluriel, mais alors il ne signifie plus simplement la qualité appelée bonté, mais ses effets, ses témoignages : J'ai recours à vos BONTÉS. Je rends grace à vos BONTÉS. a eu mille BONTÉs pour moi. (Le Dictionnaire critique de Féraud.)

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(107) BIENSÉANCE. Quand on veut parler d'une chose que l'on trouve utile et commode, d'une chose dont on s'arrangeroit, le mot bienséance n'a pas de pluriel.

Mais lorsqu'il est question de la convenance de ce qui se dit, de ce qui se fait, par rapport aux personnes, à l'âge, au sexe, au temps, au lieu, ce mot s'emploie souvent au pluriel : les BIENSÉANCES sont d'une étendue infinie, le sexe, l'âge, le caractère imposent des devoirs différents. (Bellegarde.)

· Le Tasse ne garde pas aussi exactement que Virgile toutes les BIENSÉANCES des mœurs, mais il ne s'égare pas comme l'Arioste.

(Bouhours.)

que

(108) Bonheur. L'Académie (p. 526 de ses observ.) · décide ce mot s'emploie ordinairement au singulier; cela est vrai; mais

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