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tout le fyftême chrétien fous prétexte qu'il a été mal défendu.

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Au refte, faint Evremont était incapable de ces recherches favantes. C'était un efprit agréable & affez jufte; mais il avait peu de fcience, nul génie, & fon goût était peu sûr fes difcours fur les Romains lui firent une réputation dont il abusa pour faire les plus plates comédies, & les plus mauvais vers dont on ait jamais fatigué les lecteurs, qui n'en font plus fatigués aujourd'hui puifqu'ils ne les lifent plus. On peut le mettre au rang des hommes aimables & pleins d'efprit qui ont fleuri dans les tems brillans de Louis XIV; mais non pas au rang des hommes fuperieurs. Au rcfte ceux qui l'ont appellé atheiste, font d'infames calomniateurs.

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Bernard de Fontenelle, depuis fecretaire de l'académie des fciences, eut une fecouffe plus vive à foutenir. I fit inférer en 1636, dans la république des lettres de Bayle, une relation de l'ifle de Borneo fort ingénieufe; c'était une allégorie fur Rome & Genève; elles étaient défignées fous le nom de deux fœurs, Mero & Enegu. Mero était une magicienne tyrannique; elle exigeait que fes fujets vinffent lui déclarer leurs plus fecretes pensées, & qu'enfuite ils lui apportaffent tout leur argent. Il fallait avant de venir lui baifer les pieds, adorer des os de morts; & fouvent, quand on voulait dejeûner, elle faifait difparaître le pain. Enfin fes fortilèges & fes fureurs foulevèrent un grand parti contr'elle ; & fa fœur Enegu lui enleva la moitié de fon royaume.

Bayle n'entendit pas d'abord la plaifanterie; mais l'abbé Terfon l'ayant commentée, elle fit beaucoup de bruit. C'était dans le tems de la révocation de l'édit de

Nantes. Fontenelle courait rifque d'être enfermé à la Baftille. Il eut la baffeffe de faire d'affez mauvais vers à l'honneur de cette révocation, & à celui des jefuites; on les inféra dans un mauvais recueil intitulé le triomphe de la religion fous Louis le grand, imprimé à Paris chez l'Anglois en 1687.

Mais ayant depuis rédigé en français avec un grand fuccès la favante hiftoire des oracles de Vandale, les jéfuites le perfécutèrent. Le Tellier confeffeur de Louis XIV, rappellant l'allégorie de Mero & d'Enegu, aurait voulu le traiter comme le jéfuite Voifin avait traité Théophile. Il follicita une lettre de cachet contre lui. Le célèbre garde-des-fceaux d'Argenfon, alors lieutenant de police, fauva Fontenelle de la fureur de le Tellier. S'il avait fallu choifir un athéifte entre Fontenelle & le Tellier, c'était fur le calomniateur le Tellier que devait tomber le soupçon.

Cette anecdote eft plus importante que toutes les bagatelles littéraires dont l'abbé Trublet a fait un gros volume concernant Fontenelle, Elle apprend combien la philofophie eft dangereuse quand un fanatique ou un fripon, ou un moine qui eft l'un & l'autre, a malheureufement l'oreille du prince. C'eft un danger auquel bien des gens de mérite ont été exposés.

DE L'AB B É DE ST.

PIERRE,

L'allégorie du mahométisme par l'abbé de St. Pierre, fut beaucoup plus frappante que celle de Mero. Tous les ouvrages de cet abbé, dont plufieurs paffent pour des rêveries, font d'un homme de bien & d'un citoyen zélé; mais tout s'y reffent d'un pur théifme. Cependant, il ne fut point perfécuté, c'eft qu'il écrivait d'une manière à ne rendre perfonne jaloux; fon ftyle n'a aucun agrément, il était peu lu, il ne prétendait rien : ceux qui le lifaient se moquaient de lui, & le traitaient de

bon homme. S'il eût écrit comme Fontenelle, il était perdu, furtout quand les jéfuites régnaient encor.

DE BARBEIRA C.

Barbeirac eft le feul commentateur dont on faffe plus de cas que de fon auteur. Il traduifit & commenta le fatras de Puffendorf; mais il l'enrichit d'une préface qui fit feule débiter le livre. Il remonte, dans cette préface, aux fources de la morale, & il a la candeur hardie de faire voir que les pères de l'église n'ont pas toujours connu cette morale pure, qu'ils l'ont défigurée par d'étranges allégories, comme lorfqu'ils difent que le lambeau de drap rouge expofé à la fenêtre par la cabaretière Rahab, eft vifiblement le fang de JESUSCHRIST; que Moyfe étendant les bras pendant la bataille contre les Amalécites, eft la croix fur laquelle JESUS expire; que les baifers de la Sunamite font le mariage de JESUS-CHRIST avec fon églife; que la grande porte de l'arche de Noé défigne le corps humain, & la petite porte défigne l'anus, &c. &c.

Barbeirac ne peut fouffrir, en fait de morale qu'Auguftin devienne perfécuteur après avoir prêché la tolérance. I condamne hautement les injures groffières que Jérôme vomit contre fes adversaires, & furtout contre Rufin & contre Vigilantius. Il relève les contradictions qu'il remarque dans la morale des pères, & il s'indigne qu'ils aient quelquefois inspiré la haine de la patrie, comme Tertullien qui défend pofitivement aux chrétiens de porter les armes pour le falut de l'empire.

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Barbeirac eut de violens adverfaires qui l'accusèrent de vouloir détruire la religion chrétienne en rendant ridicules ceux qui l'avaient foutenue par des travaux infatigables. 11 fe défendit : mais il laiffa paraître dans fa défenfe un fi profond mépris pour les

pères de l'églife; il témoigne tant de dédain pour leur fauffe éloquence & pour leur dialectique; il leur préfère fi hautement Confucius, Socrate, Zaleucus, Ciceron, l'empereur Antonia, Epictete, qu'on voit bien que Barbeirac eft plutôt le zélé partifan de la juftice éternelle & de la loi naturelle donnée de DIEU aux hommes, que l'adorateur des faints myftères du chriftianifme. S'il s'eft trompé en penfant que DIEU eft le père de tous les hommes, s'il a eu le malheur de ne pas voir que DIEU ne peut aimer que les chrétiens foumis de cœur & d'efprit, fon erreur eft du moins d'une belle ame; & puifqu'il aimait les hommes, n'eft pas aux hommes à l'infulter; c'eft à DIEU de le juger. Certainement il ne doit pas être mis au nombre des athéiftes.

DE FRÉRET.

ce

L'illuftre & profond Fréret était fecretaire perpétuel de l'académie des belles-lettres de Paris. Il avait fait dans les langues orientales, & dans les ténèbres de l'antiquité, autant de progrès qu'on en peut faire. En rendant juftice à fon immenfe érudition, & à fa probité, je ne prétends point excufer fon hétérodoxie. Non-feulement il était perfuadé avec fiint Irenée que JESUS était âgé de plus de cinquante ans, quand il fouffrit le dernier fupplice; mais il croyait avec le Tar gum que JESUS n'était point né du tems d'Hérode, & qu'il faut rapporter fa naiffance au tems du petit roi Jannée fils d'Hircan. Les Juifs font les feuls qui aient eu cette opinion fingulière; M. Fréret tâchait de l'appuyer, en prétendant que nos évangiles n'ont été écrits que plus de quarante ans après l'année où nous plaçons la mort de JESUS, qu'ils n'ont été faits qu'en des langues étrangères & dans des villes très-éloignées de Jérufalem, comme Alexandrie, Corinthe, Ephèfe,

Antioche, Ancire, Theffalonique, toutes villes d'un grand commerce, remplies de thérapeutes, de difciples de Jean, de judaïtes, des galiléens divifés en plufieurs fectes. Delà vient, dit-il, qu'il y eut un très-grand nombre d'évangiles tout différens les uns des autres chaque fociété particulière & cacl.ée voulant avoir le fien. Fréret prérend que les quatre qui font reflés canoniques ont été crits les derniers. Il croit en rapporter des preuves inconteftables; c'est que les premiers pères de l'églife citent très-fouvent des paroles qui ne fe trouvent que dans l'évangile des Egyptiens, ou dans celui des Nazaréens, ou dans celui de faint Jacques, & que Juftin eft le premier qui cite expreffément les évangiles recus.

Si ce dangereux fyftême était accrédité, il s'enfuivrait évidemment que les livres intitulés de Matthieu, de Jean, de Marc, & de Luc, n'ont été écrits que vers le tems de l'enfance de Juftin, environ cent ans après notre ère vulgaire. Cela feul renverferait de fond en comble notre religion. Les mahométans qui virent leur faux prophête débiter les feuilles de fon koran, & qui les virent après la mort rédigées folemnellement par le calife Abubeker, triompheraient de nous; ils nous diraient: Nons n'avons qu'un alcoran, & vous avez eu cinquante évangiles : nous avons précieusement confervé l'original, & vous avez choifi au bout de quelques fiècles quatre évangiles dont vous n'avez jamais connu les dates. Vous avez fait votre religion piéce-à-piéce, la nôtre a été faite d'un feul trait, comme la création. Vous avez cent fois varié, & nous n'avons changé jamais.

Graces au ciel, nous ne fommes pas réduits à ces

termes funeftes. Où en ferions-nous, fi ce que Fréret

avance était vrai? Nous avons affez de preuves de l'antiquité des quatre évangiles: faint Irenée dit expreffément qu'il n'en faut que quatre.

J'avoue que Fréret réduit en poudre les pitoyables

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