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guerres de religion Magdebourg & tous fes habitans furent réduits en cendre. C'est ce 14 Mai, à quatre heures & demie du foir, que Henri IV. fut affaffiné pour cette feule raifon qu'il n'était pas affez foumis au pape; c'est à tel jour qu'on a commis dans votre ville telle abominable cruauté fous le nom de juftice. Ces avertiffemens continuels feraient fort utiles. Mais il faudrait crier à plus haute voix les jugemens rendus en faveur de l'innocence contre les perfécuteurs. Par exemple, je propofe que chaque année les deux plus forts gofiers qu'on puiffe trouver à Paris & à Toulouse, prononcent dans tous les carrefours ces paroles : « C'est à pareil jour que cinquante maî>> tres des requêtes rétablirent la mémoire de Jean » Calas d'une voix unanime, & obtinrent pour la >> famille des libéralités du roi même, au nom duquel » Jean Calas avait été injustement condamné au plus » horrible fupplice. »

Il ne ferait pas mal qu'à la porte de tous les miniftres il y eût un autre crieur, qui dit à tous ceux qui viennent demander des lettres de cachet pour s'emparer des biens de leurs parens & alliés, ou dépendans :

<< Meffieurs, craignez de féduire le ministre par de >> faux expofés, & d'abuser du nom du roi. Il est » dangereux de le prendre en vain. Il y a dans le » monde un maître Gerbier qui défend la caufe de » la veuve & de l'orphelin opprimés fous le poids » d'un nom facré. C'est celui-là même qui a obtenu >> au barreau du parlement de Paris l'aboliffement de » la fociété de JESUS. Ecoutez attentivement la leçon » qu'il a donnée à la fociété de St. Bernard, conjoin»tement avec maître Loifeau autre protecteur des

>> veuves. >>

Il faut d'abord que vous fachiez que les révérends pères bernardins de Clervaux pofsèdent dix- ept mille

arpens de bois, fept groffes forges, quatorze groffes métairies, quantité de fiefs, de bénéfices, & même des droits dans les pays étrangers. Le revenu du couvent va jufqu'à deux cent mille livres de rentes. Le tréfor est immense; le palais abbatial est celui d'un prince; rien n'eft plus jufte; c'eft un faible prix des grands fervices que les bernardins rendent continuelle ment à l'état.

Il arriva qu'un jeune homme de dix-sept ans, nommé Caftille, dont le nom de baptême était Bernard, crut par cette raifon qu'il devait fe faire bernardin; c'eft ainfi qu'on raifonne à dix-fept ans, & quelquefois à trente il alla faire fon noviciat en Lorraine dans l'abbaye d'Orval. Quand il fallut prononcer fes vœux, la grace lui manqua; il ne les figna point s'en alla & redevint homme. Il s'établit à Paris, & au bout de trente ans , ayant fait une petite fortune,

il fe maria & eut des enfans.

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Le révérend père procureur de Clervaux nommé Mayeur, digne procureur, frère de l'abbé, ayant appris à Paris d'une fille de joie que ce Caftille avait été autrefois bernardin, complote de le revendiquer en qualité de déferteur, quoi qu'il ne fût point réellement engagé, de faire paffer fa femme pour une concubine & de placer fes enfans à l'hôpital en qualité de bâtards. Il s'affocie avec un autre fripon pour partager les dépouilles. Tous deux vont au bureau des lettres de cachet, expofent leurs griefs au nom de St. Bernard, obtiennent la lettre, viennent faifir Bernard Caftille, fa femme & leurs enfans, s'emparent de tout le bien, & vont le manger où vous favez.

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Bernard Caftille eft enfermé à Orval dans un cachot, où il meurt au bout de fix mois, de peur qu'il ne demande juftice. Sa femme eft conduite dans un autre cachot à Ste. Pélagie, maison de force des filles débordées. De trois enfans l'un meurt à l'hôpital.

Les chofes reftent dans cet état pendant trois ans. Au bout de ce tems la dame Caftille obtient fon élargiffement. DIEU eft jufte. Il donne un fecond mari à cette veuve. Ce mari nommé Launai, fe trouve un homme de tête qui développe toutes les fraudes, toutes les horreurs, toutes les fcélérateffes employées contre fa femme. Ils intentent tous deux un procès aux moines. (a) Il eft vrai que frère Mayeur qu'on appelle dom Mayeur, n'a pas été pendu; mais le couvent de Clervaux en a été pour quarante mille écus. Et il n'y a point de couvent qui n'aime mieux voir pendre fon procureur, que de perdre fon argent.

Que cette hiftoire vous apprenne, meffieurs, à ufer de beaucoup de fobriété en fait de lettres de cachet. Sachez que maître Elie de Beaumont, (b) ce célèbre défenfeur de la mémoire de Calas, & maître Target cet autre protecteur de l'innocence opprimée, ont fait payer vingt mille francs d'amende à celui qui avait arraché par fes intrigues une lettre de cachet pour faire enlever la comteffe de Lancize mourante la traîner hors du fein de fa famille, & lui dérober tous fes titres.

Quand les tribunaux rendent de tels arrêts, on entend des battemens de mains du fond de la grandchambre aux portes de Paris. Prenez garde à vous, meffieurs, ne demandez pas légérement des lettres de cachet.

Un Anglais, en lifant cet article, a démandé, qu'estce qu'une lettre de cachet? on n'a jamais pu le lui faire comprendre.

(a) L'arrêt eft de 1764. (b) L'arrêt eft de 1770. II y à d'autres arrêts pareils pro

noncés par les parelmens des provinces.

ART

ART DRAMATIQUE,

OUVRAGES DRAMATIQUES,

TRAGÉDIE,

COMÉDIE,

OPERA.

PANEM & circenfes eft la devife de tous les peuples,

Au lieu de tuer tous les Caraïbes, il fallait peut-être les féduidre par des fpectacles, par des funambules, des tours de gibecière, & de la mufique. On les eût aifément fubjugués. Il y a des spectacles pour toutes les conditions humaines, la populace veut qu'on parle à fes yeux; & beaucoup d'hommes d'un rang fupérieur font peuple. Les ames cultivées & fenfibles veulent des tragédies, & des comédies.

Cet art commença en tout pays par les charrettes des Thefpis, enfuite on eut fes Elchyles, & l'on fe flatta bientôt d'avoir fes Sophocles & fes Euripides; après quoi tout dégénéra: c'eft la marche de l'efprit humain.

Je ne parlerai point ici du théatre des Grecs. On a fait dans 1 Europe moderne plus de commentaires fur ce théatre, qu'Euripide, Sophocle, Efchyle, Ménandre & Ariftophane n'ont fait d'œuvres dramatiques; je viens d'abord à la tragédie moderne.

C'est aux Italiens qu'on la doit, comme on leur doit la renaiffance de tous les autres arts. il eft vrai qu ils commencèrent dès le treizième siècle, & peut-être auparavant, par des farces malheureufement tirées de l'ancien, & du nouveau teftament; indigne abus qui passa bientôt en Espagne, & en France; c'était une imitation vicieufe des effais, que St. Grégoire de Nazianze avait faits en ce genre, pour oppofer un théatre chrétien au théatre payen de Sophocle & d'Euripide. St. Grégoire de Queft. fur l'Encycl. Tom. II.

C

Nazianze mit quelque éloquence, & quelque dignité dans ces piéces, les Italiens & leurs imitateurs n'y mirent que des platitudes, & des bouffonneries.

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Enfin, vers l'an 1514, le prélat Triffino, auteur du poëme épique intitulé l'Italia liberata da' gothi donna fa tragédie de Sophonisbe, la première qu'on eût vue en italie, & cependant régulière. Il y obferva les trois unités, de licu, de tems, & d'action. Il y introduifit les choeurs des anciens. Rien n'y manquait que le génie. C'étoit une longue déclamation. Mais pour le tems où elle fut faite, on peut la regarder comme un prodige. Cette piéce fut représentée à Vicence, & la ville conftruifit exprès un théatre magnifique. Tous les littérateurs de ce beau fiècle accoururent aux repréfentations, & prodiguèrent les applaudiffemens que méritait cette entreprise estimable.

En 1516, le pape Léon X. honora de sa présence la Rozemonde du Rucellai: toutes les tragédies qu'on fit alors à l'envi, furent régulières, écrites avec pureté, & naturellement; mais, ce qui eft étrange, prefque toutes furent un peu froides tant le dialogue en vers eft difficile, tant l'art de fe rendre maître du cœur est donné à peu de génies; le Torifmond même du Taffe fut encor plus infipide que les autres.

On ne connut que dans le Paftor fido du Guarini ces fcènes attendriffantes, qui font verfer des larmes, qu'on retient par cœur malgré foi; & voilà pourquoi nous disons, retenir par ceur; car ce qui touche le cœur grave dans la mémoire.

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Le cardinal Bibiena avait long-tems auparavant rétabli la vraie comédie; comme Triffino rendit la vraie tragédie aux Italiens.

Dès l'an 1480, (a) quand toutes les autres nations

(a) N. B. Non en 1520, comme dit le fils du grand Racine dans fon traité de la poésie.

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