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digieusément d'idées, de vues, d'observations, bien plus sans doute que dans le même nombre de pages de Quintilien ou de Longin; mais il y a aussi du bel-esprit. Je serais assez embarrassé peut-être de le dénoncer du doigt dans un endroit précis, mais il est répandu partout dans l'ensemble. Le titre seul de certains chapitres est déjà une épigramme; ces chapitres, commencés avec gravité, finissent souvent en pointe. Il suffirait d'y ajouter un certain accent, pour avoir positivement du persiflage. Il y a, en tout cas, un cliquetis de rapprochements. Voilà comment, avec des parties hautes, sérieuses, éloquentes, M. Saint-Marc Girardin est lui-même essentiellement moderne.

Là où il me paraît tout à fait à l'aise et dans le milieu 'qui lui est propre, sans effort, avec une bonne grâce et une mesure de ton tout à fait naturelle, c'est quand il parle de la comédie, surtout de la comédie moyenne. Il a de la gaieté dans l'esprit, il a du léger et du plaisant; il sait toutes les finesses du cœur et les nuances de la société. Il a écrit, à propos d'une comédie de Collé et de la Métromanie de Piron, des pages charmantes, délicates, que je prise bien plus comme témoignage vrai de son talent que d'autres plus saillantes et où il élève la voix. Ce sont de petits chefs-d'œuvre de critique modérée. Il a aussi, dans l'ordre de critique morale, de. fort belles pages, comme quand il commente la parabole de l'Enfant prodigue, en la rapprochant des pères de Térence. M. Saint-Marc Girardin aime à tirer de l'Écriture des exemples ou des maximes de morale, et il en assaisonne à ravir son enseignement. Je n'ai vu personne entendre si bien saint Paul parmi ceux qui goûtent si bien Collé.

L'influence de M. Saint-Marc Girardin sur la jeunesse a été réelle, et elle mérite d'être notée. Ennemi de l'en

flure et des grands airs, il a aidé à désabuser de bien des déclamations en vogue; il a crevé à coups d'épingle bien des ballons. Mais surtout il est de ceux qui ont le plus contribué à guérir les jeunes générations de la maladie de René. Qu'est-ce que cette maladie? M, SaintMarc Girardin l'a définie mainte fois et combattue sous toutes les formes; il l'a rencontrée et décrite particulièrement avec une expression frappante dans un jeune homme à qui saint Jean Chrysostome en son temps adressait des conseils et qui passait pour possédé du démon, dans le jeune Stagyre, premier type reconnaissable de cette famille des René et des Werther. M. SaintMarc Girardin a comme découvert ce Stagyre, et il lui adresse à son tour beaucoup de vérités que la politesse l'empêchait alors de dire en face à René lui-même. Le démon de Stagyre, ou, ce qui revient au même, le mal de René, c'est le dégoût de la vie, l'inaction et l'abus du rêve, un sentiment orgueilleux d'isolement, de se croire méconnu, de mépriser le monde et les voies tracées, de les juger indignes de soi, de s'estimer le plus désolé des hommes, et à la fois d'aimer sa tristesse; le dernier terme de ce mal serait le suicide. Peu de gens de nos jours se sont tués, eu égard à tous ceux qui ont songé à le faire. Mais tous, à une certaine heure, nous avons été plus ou moins atteints du mal de René, M. Saint-Marc Girardin, qui en fut toujours exempt, en a saisi les effets désastreux et les ridicules; il n'a rien épargné pour en dégoûter la jeunesse, il y a réussi. Il n'a cessé de lui redire sur tous les tons, sur le ton de la raillerie, comme aussi sur celui de l'affection : « Ne vous croyez pas supérieur aux autres; acceptez la vie commune; ne faites pas fi de la petite morale, elle est la seule bonne. Le démon de Stagyre, c'est la tristesse ou plutôt le défaut d'énergie et de ressort, c'est le néant de

l'âme. Pour en sortir, préférez à tous les plaisirs des mœurs régulières et simples, des devoirs et des intérêts de tous les jours. Prenez un état, mariez-vous, ayez des enfants. Il n'est pas de démon, en effet, fût-ce même celui de la tristesse, qui ose affronter le voisinage des petits enfants. » C'est en ces termes, et bien mieux encore (car je suis forcé d'abréger), que M. Saint-Marc Girardin, depuis tantôt dix-huit ans, a prêché à la jeunesse le mariage, la régularité dans les voies tracées, l'amour des grandes routes : « Les grandes routes, s'écriait-il un jour, je n'en veux pas médire, je les adore. » J'ai dit qu'il a réussi en effet, trop réussi. La jeunesse, une partie de la jeunesse, est devenue positive; elle ne rêve plus; elle pense, dès seize ans, à une carrière et à tout ce qui peut l'y conduire; elle ne fait rien d'inutile. La manie et la gageure de tous les René, de tous les Chatterton de notre temps, c'était d'être grand poëte ou de mourir. Le rêve des jeunes prudents aujourd'hui, c'est de vivre, d'être préfet à vingt-cinq ans, ou représentant, ou ministre. Le mal n'a fait que changer et se déplacer. C'est ce qui arrive de presque toutes les maladies de l'esprit humain qu'on se flatte d'avoir guéries. On les répercute seulement, comme on dit en médecine, et on leur en substitue d'autres. M. Saint-Marc Girardin, qui connaît si bien la nature humaine, le sait mieux que

nous.

Lundi 8 octobre 1849.

LES CONFIDENCES

PAR

M. DE LAMARTINE.

(1 vol. in-80).

Et pourquoi donc n'en parlerais-je pas? Je sais les difficultés d'en parler convenablement le temps des illusions et des complaisances est passé; il faut absolument dire des vérités, et cela peut sembler cruel, tant le moment est bien choisi. Pourtant, parce qu'un homme tel que M. de Lamartine a trouvé convenable de ne pas clore l'année 1848 sans donner au public ses confessions de jeunesse et sans couronner sa politique par des idylles, faut-il que la critique hésite à le suivre et à dire ce qu'elle pense de son livre, faisant preuve d'une discrétion et d'une pudeur dont personne (et l'auteur moins que personne) ne se soucie? Je prendrai donc le livre en lui-même; je l'isolerai tant que je pourrai de la politique; en oubliant le Lamartine de ces dernières années, je tâcherai de ne me souvenir que de celui d'avant les Girondins. En effet, littérairement parlant, ce volume des Confidences vient bien après Jocelyn, la Chute d'un Ange, les Recueillements poétiques, et il continue, sans trop de décadence, cette série de publications dans lesquelles les défauts de l'auteur vont s'exagérant de plus en plus, sans que ses qualités pour cela disparaissent.

Le livre commence par une préface sous forme de

lettre adressée à un ami; cette préface apologétique a pour objet d'excuser l'auteur, qui sent, malgré tout, l'inconvenance d'une publication romanesque dans les circonstances graves où il s'est placé et où il a tout fait pour placer son pays. Le poëte a le don des larmes; il en verse quelques-unes pour essayer de nous attendrir. Il s'agissait pour lui de vendre Milly, sa terre natale, la terre des tombeaux de famille, ou de vendre son manuscrit des Confidences. Au dernier moment, et par respect, dit-il, pour l'ombre de sa mère, de son père, de ses sœurs, il n'a pas hésité: « L'acte était sur la table. D'un mot j'allais aliéner pour jamais cette part de mes yeux (Milly). La main me tremblait, mon regard se troublait, le cœur me manqua... Je pesai d'un côté la tristesse de voir des yeux indifférents parcourir les fibres palpitantes de mon cœur à nu sous des regards sans indulgence; de l'autre le déchirement de ce cœur dont l'acte allait détacher un morceau par ma propre main. Il fallait faire un sacrifice d'amour-propre ou un sacrifice de sentiment. Je mis la main sur mes yeux, et je fis le choix avec mon cœur... » Je ne connais rien de plus triste que cette prodigalité de cœur qui est répandue sur toute cette préface, sous prétexte d'y couvrir ce que l'auteur ne fait par là qu'étaler. Puisqu'il fallait qu'il se décidât à un parti pénible, une préface brève, nette et simple, aurait bien mieux convenu, et elle nous aurait convaincus plus réellement de la violence qu'il se faisait à lui-même.

L'auteur vient de nous dire qu'en publiant les Confidences il sacrifiait l'amour-propre au sentiment. En parlant ainsi, il s'exagère un peu le sacrifice; son amour-propre, en effet, on va le voir, n'est pas le moins du monde en souffrance dans tout le livre. « Mon Dieu! s'écrie-t-il en commençant, j'ai souvent regretté d'être né; j'ai sou

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