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Lundi 4 mars 1850.

ÉLOGES ACADÉMIQUES

DE

M. PARISET,

PUBLIES PAR M. DUBOIS (D'AMIENS).

(2 vol.-1850.)

En sa qualité de Secrétaire perpétuel de l'Académie de médecine, M. Pariset eut à prononcer, soit dans les séances publiques, soit dans les cérémonies funèbres, les Éloges des principaux médecins qui étaient membres de cette Académie et qui moururent de 1820 à 1847. C'est le recueil de ces divers Discours ou Éloges que publie en ce moment son honorable successeur, M. Dubois (d'Amiens), et il y a joint comme introduction un remarquable Éloge de M. Pariset lui-même. Je dirai, à cette occasion, quelques mots et du genre et de ceux qui l'ont mis en honneur parmi nous. J'entends ici le genre de l'Éloge académique en tant qu'il s'applique uniquement aux sciences et aux savants.

C'est Fontenelle qui en donna le premier l'exemple et le modèle, un modèle inimitable. Les soixante-dix Éloges qu'il prononça dans l'espace de quarante ans forment le recueil le plus riche et le plus piquant qui se puisse imaginer. La manière n'est qu'à lui, et ce serait manquer de goût que de prétendre lui en rien dérober. Cette

manière est aussi académique par la politesse, qu'elle l'est peu par le reste des qualités ou même des légers défauts qui la composent. L'Éloge ne s'y monte jamais au ton oratoire, et y affecte constamment celui d'une Notice nette et simple. Mais la simplicité de Fontenelle, dans sa rare distinction, ne ressemble à nulle autre : c'est une simplicité tout exquise, à laquelle on revient à force d'esprit et presque de raffinement. L'expression, chez lui, est juste, d'une propriété extrême, toujours exacte à la réflexion, spirituelle, quelquefois jolie, volontiers épigrammatique, même dans le sérieux. Ce qui frappe surtout, c'est le contraste de cette expression, bien souvent un peu mince, avec la grandeur de l'esprit qui embrasse et parcourt les plus hauts sujets. Il en résulte une sorte de disproportion qui déconcerte bien un peu, mais avec laquelle on se raccommode quand on est fait à l'air et aux façons de ce guide supérieur. Fontenelle voulut et sut préserver tout d'abord les Éloges des savants de l'inconvénient presque inhérent au panégyrique littéraire, je veux dire l'emphase et l'exagération. Il avait pour principe qu'il ne faut donner dans le sublime qu'à la dernière extrémité et à son corps défendant.

Condorcet, dans ses Éloges, se préserva également de la pompe littéraire, mais pas toujours de la déclamation philosophique. Esprit supérieur lui-même et ami de la vérité, mais ami ambitieux, et bien moins à l'abri que Fontenelle des intempéries et des contagions de son temps, Condorcet a ses propres idées qu'il ramène trop complaisamment à travers l'exposé qu'il fait de celles des autres. Il traite ses sujets plus à fond, c'est là son mérite; mais aussi il intervient, il raisonne, il discute trop souvent. Tandis que Fontenelle donnait l'explication naturelle de bien des choses insensiblement et sans.

en avoir l'air, Condorcet ne perd pas une occasion de poser, en passant, ses principes, ses solutions, et il en a sur tout sujet. Il se flatte d'avoir fait un pas en progrès au delà de Fontenelle et même de d'Alembert: là où ceuxci croyaient sage de douter, Condorcet ne doute plus, et il nous en fait part. Même quand cela ne nuit pas à l'impartialité, ce n'est pas la marque d'un goût sévère, chez un biographe, que de faire de ces sorties fréquentes. Sans refuser enfin à son style toute espèce de qualité littéraire, il est impossible de n'y pas sentir des longueurs et des pesanteurs de phrases, des portions qui y sont comme opaques, et qui empêchent d'y pénétrer la lumière et l'agrément.

Un contemporain de Condorcet, Vicq-d'Azyr, est le premier qui ait eu à traiter plus particulièrement les Éloges des médecins, et il l'a fait avec beaucoup d'éclat à son moment. Vicq-d'Azyr était Secrétaire perpétuel de la Société de médecine fondée en 1776, et il mérita d'être reçu à l'Académie française en 1788, à la place de Buffon. On a dit de lui qu'il était le Buffon de la médecine, et cet éloge, en le réduisant comme il convient, exprime assez bien ses qualités et ses défauts. Savant médecin et anatomiste, Vicq-d'Azyr possédait, de plus, un riche et flexible talent d'écrivain et de peintre, qu'il appliquait non-seulement aux sujets à proprement parler littéraires et académiques, mais même aux descriptions purement scientifiques; c'est dire que, de sa part, il y avait quelque abus. Ses Éloges durent plaire singulièrement en leur temps; car, à les lire sans prévention, ils nous paraissent encore aujourd'hui très-remarquables, et les parties qui nous choquent ou nous font sourire sont précisément celles qu'alors sans doute on applaudissait le plus. Par exemple, dans l'Eloge du grand physicien Duhamel, en annonçant qu'il va le con

sidérer d'abord comme agriculteur, l'orateur biographe nous dira que « les premières fleurs qu'il jettera sur le tombeau de M. Duhamel doivent être cueillies dans les champs qu'il a cultivés. » A propos des expériences de ce savant sur la greffe : « On apprend dans son ouvrage, dit-il, que deux séves destinées à circuler ensemble doivent avoir entre elles une analogie déterminée, et que l'on rapprocherait en vain des rameaux que la nature n'a pas formés l'un pour l'autre. Ainsi, deux personnes que l'on a la barbarie de joindre malgré la disproportion de leur age ou de leur penchant, ne sont jamais véritablement unies, et il s'établit entre elles un combat qui ne finit qu'avec leurs jours. » N'entendez-vous pas d'ici les murmures flatteurs qui durent accueillir ce passage contre les unions mal assorties? Ne voyez-vous pas les plus jolies mains se hâter, par leurs applaudissements, de protester contre les chaînes dont elles se croyaient chargées? Plus loin, si Duhamel découvre qu'une certaine maladie des grains provient d'un tout petit insecte qui s'y cache, Vicq-d'Azyr nous montrera l'homme de bien ainsi en proie à des ennemis obscurs comme à un insecte caché. Si Duhamel invente un appareil pour le desséchement des grains, et s'il place cet appareil dans une tour qu'il surmonte d'ailes toutes semblables à celles d'un moulin à vent, Vicq-d'Azyr y verrą « un monument élevé par le patriotisme, vraiment digne de décorer la maison d'un philosophe, et bien différent de ces tours antiques... » Suit une petite sortie contre les tours gothiques et féodales. C'est là une veine de mauvais goût chez Vicq-d'Azyr, et qui compromet l'intérêt très-réel, le mérite solide et orné de l'ensemble. On retrouverait plus ou moins de cette veine dans tous ses Éloges. Dans celui qu'il fit de Haller, un des morceaux les plus admirés était l'endroit où il montrait Hal

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ler et son ami le poëte Gessner herborisant ensemble dans les hautes montagnes, et Gessner, épuisé de fatigue, se couchant à terre et succombant au sommeil au milieu d'une atmosphère glacée : « M. de Haller, disaitil, vit avec inquiétude son ami livré à un sommeil que le froid aurait pu rendre funeste. Il chercha comment il pourrait le dérober à ce danger; bientôt ce moyen se présenta à sa pensée ou plutôt à son cœur. Il se dépouilla de ses vêtements, il en couvrit Gessner; et, le regardant avec complaisance, il jouit de ce spectacle sans se permettre aucun mouvement, dans la crainte d'en interrompre la durée. Que ceux qui connaissent les charmes de l'amitié se peignent le réveil de Gessner, sa surprise, et leurs embrassements; que l'on se représente enfin, au milieu d'un désert, cette scène touchante et si digne d'avoir des admirateurs! » Et moi je demande comment il est possible de savoir si bien ce qui se passa sur le visage de Haller regardant son ami avec complaisance, dans une scène qui n'eut pas de témoin, puisque Gessner d'abord n'y figurait qu'endormi; et Haller était sans doute trop occupé de son ami pour songer à sa propre attitude. Nous surprenons là chez Vicq-d'Azyr ce que j'appellerai le goût ou le genre Louis XVI en littérature, et qui n'est déjà plus celui de Louis XV. Le genre Louis XVI, qui régna jusqu'en 91, est essentiellement honnête, fleuri et riant; il s'inspire d'un sentimentalisme vertueux. Bienfaisance, réforme, espérance, l'amour du bien, un optimisme brillant et assez aimable, ce sont les caractères moraux qui le distinguent, et le tout se traduit volontiers dans un style élégant, un peu mou et trop adouci. Bernardin de Saint-Pierre, en certains tableaux, nous en offre l'idéal. Plus ordinairement il s'y glisse du Florian, du Gessner, et même du Berquin. Il y en a un peu dans cette scène des Alpes entre les

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