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cet instinct dont la force nous domine, nous entraîne avec une force irrésistible vers un perfectionnement qui quelquefois étonne par la rapidité de son mouvement et l'étendue de ses progrès. A ses yeux la plus grande puissance ici bas est l'intelligence, et son faible est de faire abstraction, dans ses systèmes, de l'inertie de la matière et des résistances morales, de la nécessité de secours étrangers et du besoin de forces physiques. Toujours tourné vers l'avenir, il ne médira pas des générations passées; il est prêt à leur rendre une justice insigne ; mais, peut-être sans les avoir observées et sans les connaître, il leur préfère la génération présente, et espère encore beaucoup plus des générations futures. Admirer, favoriser la marche de son siècle, est son vœu et sa passion, et si quelquefois il paraît avoir en vue son avantage personnel, en s'efforçant de tirer de la terre des produits et plus beaux et plus abondants que par le passé, toutefois il se sacrifie souvent pour le bien public, quelquefois même il abandonne généreusement tout intérêt positif et présent, ou même l'intérêt de toutes les générations existantes, dans l'espérance de quelque grand bien que d'arrières-neveux pourraient recevoir en réversion.

Malgré une pente bien prononcée de notre siècle qui porte à favoriser et estimer la science et toute espèce de science, il est encore certaines personnes qui croient faire preuve d'une grande indépendance d'opinion, et d'une exemption parfaite de préjugés, en soutenant valeureusement que le praticien le plus commun nourrirait plutôt sa famille et obtiendrait plutôt de son champ une récolte utile à lui-même et à l'état, que ne pourrait jamais le faire le plus sublime théoricien. Peut-on espérer d'être compris et senti en faisant observer à ces personnes que la routine actuelle du plus simple praticien de notre temps a réellement, sans

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toutefois s'en douter, des obligations essentielles à la science des hommes qui ne sont plus? Le cultivateur qui paraît le plus éloigné des lumières de son siècle. est véritablement entouré de toutes celles qui ont éclairé les siècles passés; il est véritablement le légataire de toutes les théories découvertes avant nous. Il n'a rien de lui-même; ce qui est pure pratique chez lui était véritablement art chez ses devanciers; ils avaient de l'intelligence, ou au moins l'instinct de l'imitation. Luimême, quoiqu'à nos yeux, et peut-être aussi dans le sentiment de son amour-propre, il paraisse stationnaire, lui-même avance sans s'en apercevoir: il ne peut se défendre d'un certain mouvement général qui se communique jusqu'aux points les plus éloignés et les plus isolés. On se plaint, il est vrai, de sa marche tardive, de la difficulté qu'on éprouve à lui faire adopter des méthodes savantes et perfectionnées ces plaintes se sont fait entendre il y a déjà des siècles, et probablement elles se feront toujours entendre; cependant, malgré cette résistance d'inertie, les méthodes améliorées, sinon la théorie scientifique elle-même, pénètrent insensiblement dans les campagnes, et là elles se communiquent de proche en proche. Comparons la pratique la plus commune, la moins savante des cultivateurs, même ceux de nos provinces éloignées, avec la pratique reçue autrefois, el naguère peut-être dans les mêmes lieux, et nous y trouverons des améliorations qui sont bien sensibles. D'ailleurs, quoique souvent le savant ait lieu de regretter en général la lenteur de ces hommes sobres qui ont trop de poids pour se laisser diriger par tout vent d'opinion, cependant il reconnaîtra avec nous que dans l'ensemble de cette machine sociale si vaste, si compliquée, et dont les différentes parties sont si artificiellement, quoique si incompréhensiblement liées, il est nécessaire, il est indispensable qu'il y ait sur quel

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ques points du moins, des poids suffisants pour en modérer le mouvement et le régulariser. Dans quel état verrions-nous bientôt nos belles campagnes, si le cultivaleur était prompt à écouter et à suivre tout système qui est recommandé même par des autorités respectables? Il est bon que le théoricien ait du feu, de l'enthousiasme, qu'il se presse, qu'il vole, car c'est à lui à imprimer le mouvement; mais il est bon aussi que le praticien oppose son inertie et sa lenteur pour empêcher un mouvement trop fort et trop irrégulier. Alors tout est bien, tout est en harmonie; ce qui paraissait un défaut dans la considération des détails devient, dans une vue de tout l'ensemble, une vraie perfection.

Il nous faut nécessairement nous hâter dans notre rapprochement de la théorie et de la pratique en agriculture, et nous sommes obligés de faire le sacrifice de beaucoup de développements pour ne pas abuser des moments que vous consentez à nous accorder. Sans la théorie, point de pratique perfectionnée, sans la pratique, point de certitude dans la théorie, quelle qu'elle soit. Si l'une précède l'autre, sa priorité est seulement une priorité de raison; elle la précède comme l'existence d'un corps lumineux précède l'existence de la lumière que ce corps. répand. La pratique ne peut avancer d'un pas sans le secours de la théorie, et la théorie ne peut en faire un seul sans que la pratique n'ait préalablement rendu sûrs tous ceux qui sont déjà faits; il faut que la pratique consolide pour ainsi dire le terrein qui servira de point d'appui à la théorie pour un nouvel effort.

La pratique est comme l'instrument ou la main qui -exécute, la théorie est la science ou l'intelligence qui dirige l'une et l'autre sont indispensables. La main et l'intelligence sont pareillement nécessaires pour élever un palais, construire un vaisseau, tisser la laine de nos vêlements; et maintenant, puisque nous savons que

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l'une et l'autre sont toujours nécessaires, que voulonsnous savoir davantage? L'homme étant un composé d'ame et de corps, d'intelligence et d'organes matériels, tout ce qui a un rapport avec l'homme, avec ses besoins, avec ses aisances, peut-être même avec ses jouissances les plus intellectuelles, se ressent de cette double nature. Tout autour de lui suit des lois mixtes, tout est le résultat de la pensée et de l'action, de la réflexion et d'un certain mécanisme. Comme l'ame agit sur le corps et le corps sur l'ame, de même une influence naturelle, nécessaire et mutuelle s'exerce entre la théorie et la pratique; nous ne devons rien à l'une que nous n'ayons contracté en même temps quelque dette envers l'autre.

Le cultivateur qui ne cherche qu'à se maintenir dans l'état où il est né, qui ne songe qu'à vivre au jour le jour, peut se contenter de prendre la pratique telle qu'il l'a trouvée; l'expérience de ses pères et la sienne propre lui suffisent; mais s'il veut améliorer sa condition, obtenir de l'estime et de la considération parmi les siens, il faut alors qu'il joigne au travail manuel des connaissances théoriques. S'il désire acquérir de l'honneur et de la gloire, il faut donc qu'il invente, qu'il montre des voies nouvelles, qu'il avance avec le flambeau de la théorie à la main; il faut qu'il éclaire la pratique, et qu'il la conduise sur un terrein jusque là

inconnu.

Le praticien le moins instruit peut suffire à lui-même et à son pays quand la société est dans un état de stagnation, quand la population est stationnaire, quand le siècle est en repos; mais le théoricien devient nécessaire quand tout est en mouvement, quand la population augmente avec rapidité, quand les sciences, les arts, l'industrie, le commerce, avancent à grands pas chacun dans sa carrière. Aussi, de nos jours, et

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principalement dans les environs des différents centres d'instruction, la capitale et les grandes villes, il n'est point de praticien qui soit étranger aux théories scientifiques, comme il est peu de théoristes qui n'aient quelque expérience pratique; et chacun ainsi remplit plus parfaitement sa tâche.

Grands sont nos devoirs, Messieurs, car nos obligations sont grandes. Ce que nous devons à notre pays, à la France, nous le devons, non plus seulement comme appartenant au grand corps social, à la nation française, nais encore comme membres d'une Société particulière cultivant l'art qui, de tous le plus utile, est souvent l'objet d'attentions distinguées et d'un honneur spécial. Le Roi, qui dans sa sollicitude universelle n'oublie rien de ce qui peut contribuer au bien-être de ses sujets, s'empresse en toute occasion de témoigner sa prédilection envers l'agriculture, et par cela même excite le zèle du gouvernement à seconder des vues providentielles et généreuses. Aussi, outre une allocation dont notre Société est, chaque année, depuis son rétablissement, redevable à la munificence du conseil général, elle vient de recevoir de la libéralité de cette assemblée une dotation nouvelle, qui, affectée à un prix extraordinaire, paraît aussi devoir être annuelle. Les chefs éclairés de l'administration, soit départementale, soit municipale, avec ceux qu'ils s'adjoignent pour partager le fardeau des affaires, ne se contentent pas de venir, comme pour la forme et pour bon exemple, honorer nos réunions extraordinaires et nos séances publiques, mais, dans les circonstances mêmes les moins éclatantes, ils montrent un vif intérêt à nos travaux, ils les stimulent par leurs exemples, les secondent par leurs avis, les récompensent et les couronnent par le témoignage de leur approbation.

Aussi l'agriculture fleurit dans ces belles contrées, où

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