Images de page
PDF
ePub

POUR LE

XXIVE DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.

SUR LE JUGEMENT DE DIEU.

Et videbunt Filium hominis venientem in nubibus cœli cum virtute multâ et majestate.

Ils verront le Fils de l'homme, venir sur les nues, avec une grande puissance et dans une grande majesté. En saint Matthieu, chap. 20.

Ce n'est pas sans dessein que l'Eglise, dans l'ordre et la distribution de son année évangélique, commence et finit par la peinture du jugement de Dieu. Elle veut nous faire entendre que de toutes les pensées dont nous avons à nous occuper, il n'en est point qui nous doive être plus familière que celle de ce celle de ce jugement redoutable, parce qu'il n'en est point qui nous soit plus salutaire. C'est par cette grande vue que tant de libertins ont été touchés et convertis à Dieu; que tant de justes ont été affermis, et soutenus dans les voies de la piété chrétienne : et c'est par là même, mes chers auditeurs, que je puis me promettre, avec le secours de la grâce, ou de vous retirer de vos égaremens, si vous vous êtes laissé malheureusement séduire et entraîner par la passion; ou de vous établir dans une sainte persévérance, et de vous attacher plus fortement que jamais aux devoirs d'une vie pieuse et réglée, si vous avez eu jusqu'à présent le bonheur de l'embrasser et de la suivre. Et il est vrai qu'entre les motifs qui nous détachent du péché et qui nous portent à Dieu, le plus efficace est la crainte des jugemens éternels, quoique ce ne soit pas

le plus pur et le plus relevé. Car étant aussi dominés que nous le sommes par l'intérêt propre, quelle impression doit faire sur nos cœurs le souvenir d'un juge qui, par son arrêt irrévocable, doit décider de notre destinée bienheureuse, ou malheureuse pour l'éternité toute entière? Plût au ciel, chrétiens, que je fusse en état un jour de prendre votre défense auprès de ce juge toutpuissant, et de vous rendre son jugement favorable! Mais puis-je mieux vous disposer à y paroître avec assurance, qu'en vous apprenant à le craindre de bonne heure et utilement? C'est ce que je me propose dans ce discours; et pour cela nous avons besoin de l'assistance du Saint-Esprit. Demandons-la par l'intercession de la Vierge que nous honorons comme l'espérance et le refuge des pécheurs, et disons-lui: Ave, Maria.

Comme il n'y a que Dieu qui soit absolument ce qu'il est, et qui sans prendre d'autres qualités ni d'autres titres, se distingue de tous les êtres, en s'appelant l'Etre par excellence, Ego sum qui sum: aussi n'y at-il que le jugement de Dieu, je dis ce jugement où tous les hommes doivent comparoître devant le tribunal de Dieu, qui dans le langage de l'Ecriture, et même dans la manière commune de nous exprimer, s'appelle singulièrement et à proprement parler, jugement. Concevez bien la raison qu'en apporte saint Chrysostôme, et qui va faire tout le partage de cet entretien. C'est qu'il n'y a, dit ce Père, que le jugement de Dieu qui soit parfait. Tous les autres jugemens sont des jugemens défectueux, c'est-à-dire, ou faux, ou incertains, ou lâches et capables d'être affoiblis par la passion : ce qui faisoit dire à saint Paul, qu'il lui importoit peu d'être jugé par les hommes: Mihi autem pro minimo est ut

à vobis judicer (1); ajoutant que quelque soin qu'il eût d'examiner toute sa vie, il n'osoit pas se juger soimême : Sed neque meipsum judico (2), parce que les jugemens qu'il pouvoit faire de soi, ou que les hommes en faisoient, n'étoient que des jugemens trompeurs ; et qu'être jugé de la sorte, c'étoit ne pas l'être. C'est donc Dieu seul qui juge, poursuivoit ce grand apôtre : Qui autem judicat me, Dominus est (3); parce qu'il n'y a que Dieu dont le jugement soit accompagné de ces deux qualités qui font les jugemens certains et irréprochables, savoir, d'une vérité infaillible et d'une équité inflexible. D'une vérité infaillible, en sorte que Dieu, comme souverain juge, ne peut être trompé; et d'une équité inflexible, qui, dans l'exercice de cette fonction de juge le rend incapable d'être gagné. Or, voilà, chrétiens, ce qui nous doit inspirer une sainte horreur du jugement de Dieu. Tout le reste en comparaison, quelqu'affreux d'ailleurs qu'il puisse être, n'est rien: mais d'avoir à soutenir le jugement d'un Dieu essentiellement véritable et inviolablement équitable, ou plutôt d'un Dieu qui est la vérité et l'équité même, c'est ce que je ne puis jamais assez craindre, parce que je ne puis jamais assez le comprendre. Telle est néanmoins l'idée que j'entreprends aujourd'hui d'imprimer fortement dans vos esprits : et parce qu'un contraire ne paroît jamais mieux que lorsqu'il est opposé à son contraire, je veux, pour l'édification de vos ames, vous représenter le jugement que Dieu fera de nous, par opposition à celui que nous faisons maintenant de nousmêmes, ou que nous donnons sujet aux autres d'en faire. Ainsi la vérité infaillible du jugement de Dieu opposée à nos erreurs et à nos hypocrisies, ce sera la première partie. L'équité inflexible du jugement de Dieu oppo

(1) 1. Cor. 4. — (2) Ibid. — (3) Ibid.

sée à nos sentimens et à nos relâchemens, ce sera la seconde partie. La conséquence infinie de l'une et de l'autre demande toute votre attention.

PREMIÈRE PARTIE.

Ilest de la Providence, chrétiens, que nous paroissions un jour ce que nous sommes, et que nous cessions enfin de paroître ce que nous ne sommes pas : et j'ose dire que Dieu manqueroit au premier de tous les devoirs dont il se tient comme responsable à soi-même, s'il souffroit que la vérité demeurât éternellement obscurcie, cachée, déguisée. Il faut qu'il lui rende une fois justice, et qu'après s'être lassé, pour ainsi dire, de la voir dans les ténèbres de l'aveuglement et du mensonge où les hommes la retiennent, il l'en fasse sortir avec éclat, suivant cette admirable parole de Tertullien : Exurge, veritas, et quasi de patientiá erumpe (1). Or, c'est pour cela que le jugement de Dieu est établi. Nous l'outrageons cette vérité, et s'il m'est permis de m'exprimer de la sorte, nous lui faisons violence en deux manières. Car, au lieu d'user avec fidélité des lumières qu'elle nous présente, nous la corrompons au-dedans de nous par des erreurs criminelles, et nous la falsifions au dehors par des hypocrisies affectées; c'est-à-dire, que nous ne voulons, ni nous connoître, ni être connus; qu'un de nos soins est de nous tromper, et l'autre de tromper le public. Voilà l'état de notre désordre; et Dieu, par une conduite toute opposée et par le zèle de la vérité, entreprendra de nous détromper de nos erreurs, et de lever pour jamais le masque à nos hypocrisies; d'effacer les fausses idées que nous aurons données aux autres de nous, et de détruire dans nous celles que nous aurons conçues de nous-mêmes; de dissiper malgré nous ces nuages par où la passion nous aura ôté (1) Tertul.

[ocr errors]

la vue salutaire de ce que nous étions, et de répandre dans tous les esprits une évidence plus que sensible de ce que nous aurons été. Voilà ce que Dieu se proposera, et ce qui nous rendra son jugement souverainement redoutable. Ne perdez rien, s'il vous plaît, d'une matière si importante.

:

Nous nous aimons, chrétiens, jusqu'à être idolâtres de nos vices mais ce qui est bien étrange, et ce qui paroîtroit d'abord incroyable, si l'expérience ne le vérifioit, par le même principe que nous nous aimons, nous craignons mortellement et nous évitons de nous connoître : pourquoi? en voici la belle raison que donne saint Augustin: parce que nous savons qu'en nous connoissant, nous serions obligés de nous haïr; et que si nous venions à pénétrer le fond de notre misère, nous ne pourrions plus soutenir l'amour-propre qui nous possède et qui règne dans notre cœur. De là vient que par un instinct secret de cet amour, nous nous éloignons de cette connoissance de nous-mêmes, et que dans la vie il n'est rien pour l'homme de plus fâcheux ni de plus importun que de rentrer en soi-même, de faire réflexion sur soi-même, de s'étudier et de se juger soi-même, parce que tout cela ne peut aboutir qu'à l'humilier, et par conséquent qu'à troubler la possession où il est de se flatter et de se complaire en lui-même. Tout cela néanmoins est de l'ordre; et c'est une chose monstrueuse, dit saint Chrysostôme, qu'une créature intelligente ne se connoisse jamais, et un déréglement énorme que ne se connoissant jamais, elle s'aime toujours injustement.

1

Qu'arrivera-t-il donc ? appliquez-vous, mes chers auditeurs, à comprendre le mystère de la vérité de Dieu. Le premier effet de son jugement sera de nous rappeler à cette connoissance odieuse et mortifiante de nousmêmes, et de nous forcer enfin à convenir avec nous de

сс

« PrécédentContinuer »