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sommes plus capables de l'offenser; pour le mien, parce que dans cet état le monde n'est plus capable de nous corrompre. Et pourquoi Salomon nous apprend-il que le juste a été souvent enlevé du monde dès ses premières années, si ce n'est afin que la malice du siècle perverti ne l'infectât pas de son venin, et qu'il ne fût pas séduit par l'éclat trompeur de la vanité? Raptus est ne malitia mutaret intellectum ejus, aut ne fictio deciperet animam illius (1). Mais après tout, nous ne savons si nous sommes dignes d'amour ou de haine. Vous l'avez voulu de la sorte, ô mon Dieu! pour nous tenir dans une plus grande dépendance de votre grâce; mais du reste, au milieu de cette incertitude, la vue de la mort nous fait trouver tout le repos que nous pouvons avoir en cette vie, puisqu'elle nous fait prendre toutes les mesures nécessaires pour nous maintenir dans l'amour de Dieu. En deux mots, ou nous sommes pécheurs, ou nous sommes justes. Si nous sommes pécheurs, la vue de la mort nous ramène dans les voies de Dieu; et si nous sommes justes, la vue de la mort nous confirme dans les voies de Dieu. Si nous sommes pécheurs, la vue de la mort nous excite à la pénitence; et si nous sommes justes, la vue de la mort nous assure le don de la persévérance. Si nous sommes pécheurs, la vue de la mort nous fait devenir justes ; et si nous sommes justes, la vue de la mort nous empêche de devenir pécheurs. Ainsi nous marcherons sûrement et tranquillement. Nous craindrons la mort sans foiblesse, et nous la désirerons sans présomption., Nous trouverons de quoi bénir Dieu jusque dans les effets de sa justice, et nous nous en ferons un moyen de sanctification en ce monde pour obtenir en l'autre la félicité éternelle, où nous conduise, etc.

(1) Sap. 4.

POUR LE

XVI. DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE.

SUR L'AMBITION.

Dicebat autem et ad invitatos parabolam, intendens quomodò primos accubitus eligerent.

Il adressa ensuite aux conviés une parabole, prenant garde comment ils choisissoient les premières places. En saint Luc, ch. 14.

C'EST ainsi que le Sauveur du monde profitoit de toute occasion, et ne négligeoit rien de tout ce qui s'offroit à ses yeux, pour en tirer de salutaires enseignemens, et pour expliquer sa divine morale. Dans un repas où il avoit été convié, et où se trouvoit avec lui une nombreuse assemblée de pharisiens, il est témoin de leur orgueil, et remarque leur affectation à s'attribuer tous les honneurs et à se placer eux-mêmes aux premiers rangs. Car ce fut toujours l'esprit de ces faux docteurs de la loi, de vouloir partout se distinguer, partout dominer, et d'être souverainement jaloux d'une vaine supériorité dont ils se flattoient, et dont se repaissoit leur ambition. Mais pour rabattre ces hautes idées et cette enflure de cœur, que fait le Fils de Dieu ? Dans un exemple particulier il leur trace une leçon générale; et dans la parabole de ce festin de noces où il veut qu'une modestie humble et retenue leur fasse chercher les dernières places, il comprend tous les états, tous les temps, toutes les conjonctures de la vie, où l'humilité doit réprimer nos désirs ambitieux, et nous inspirer une réserve sage et chrétienne : Cùm invitatus fueris ad nup

tias, recumbe in novissimo loco. Maxime qui ne dut guère être du goût de ces hommes superbes et orgueilleux, que Jésus-Christ se proposoit d'instruire; et maxime qui de nos jours n'est guère mieux suivie dans le christianisme ni mieux pratiquée. Depuis les grands jusqu'aux petits, et depuis le trône jusqu'à la plus vile condition, il n'y a personne ou presque personne, qui plus ou moins, selon son état, n'ait en vue de s'élever, et qui ne dise comme cet ange qui s'évanouit dans ses pensées : Je monterài: Ascendam. Or, qui pourroit exprimer de quels désordres cette damnable passion a été jusqu'à présent le principe, et quels maux elle produit encore tous les jours dans la société humaine? C'est donc ce qui m'engage à la combattre, et c'est pour la déraciner de vos cœurs et la détruire, que je dois employer toute la force de la parole de Dieu. Vierge sainte, vous qui par votre humilité conçûtes dans vos chastes flancs le Verbe même de Dieu, yous m'accorderez votre secours, et j'obtiendrai par votre puissante médiation les grâces qui me sont nécessaires, et que je demande, en vous disant : Ave, Maria.

Pour bien connoître la passion que j'attaque, et pour en concevoir la juste horreur qui lui est due, il en faut considérer les caractères, que je réduis à trois : savoir, l'aveuglement, la présomption, l'envie qu'elle excite ou la haine publique qu'elle nous attire. Trois choses que je trouve marquées dans l'évangile de ce jour, et dont je vais faire d'abord le partage de ce discours. Car cet homme qui dans un festin de noces, sans examiner si quelque autre plus digne et d'un ordre supérieur y a été convié, va se mettre à la première place, nous représente tout à la fois l'aveuglement et la présomption de l'ambitieux et l'affront qu'il reçoit du maître qui le fait retirer, est une image naturelle de l'indignation

:

avec laquelle nous regardons communément l'ambitieux, et de la jalousie dont nous nous sentons intérieurement piqués contre lui. Quoi qu'il en soit, mes cliers auditeurs, et à parler de l'ambition en général, j'y découvre trois grands désordres, selon trois rapports, sous lesquels je l'envisage. Elle est aveugle dans ses recherches, elle est présomptueuse dans ses sentimens , et elle est odieuse dans ses suites. Mais à cela quel remède? point d'autre que cette sainte humilité qui nous est aujourd'hui si fortement recommandée, et qui seule est le correctif des pernicieux effets d'un désir déréglé de paroître et de s'agrandir. Car si l'ambition', par un premier caractère, est aveugle dans ses recherches, c'est l'humilité qui en doit rectifier les vues fausses et trompeuses. Si l'ambition, par un second caractère, est présomptueuse dans ses sentimens, c'est l'humilité qui doit rabaisser cette haute estime de nous-mêmes, et de nos prétendues qualités. Enfin, si l'ambition, par un dernier caractère, est odieuse dans ses suites, c'est l'humilité qui les doit prévenir, et c'est elle, à quelque état que nous soyons élevés, qui nous tiendra toujours unis de cœur avec le prochain. Voilà en trois mots tout le sujet de votre attention.

PREMIÈRE PARTIE.

et

Il n'y a point de passion qui n'aveugle l'homme, qui ne lui fasse voir les choses dans un faux jour où elles lui paroissent tout ce qu'elles ne sont pas, et ne lui paroissent rien de ce qu'elles sont. Mais on peut dire, chrétiens, et il est vrai, que ce caractère convient particulièrement à l'ambition. Comme la science du bien et du mal fut le premier fruit que l'homme rechercha, et qu'il osa se promettre, quand il se laissa emporter à la vanité de ses désirs ; aussi l'ignorance et l'erreur ést la première peine qu'il éprouva, et à quoi Dieu le con

damna, pour punir son orgueil et pour le confondre. Il voulut, en s'élevant au-dessus de lui-même, connoître les choses comme Dieu; Eritis sicut Dii, scientes bonum et malum (1), et Dieu l'humilia en lui ôtant même les connoissances salutaires qu'il avoit comme homme. Livré à son ambition, il devint dans sa prétendue sagesse moins sage qu'un enfant, dépourvu de sens et de conduite, et il sembla que toutes les lumières de sa raison s'étoient éclipsées, dès qu'il conçut le dessein de monter à un degré plus haut que celui où Dieu l'avoit placé. Voilà, mes chers auditeurs, le point de morale que notre religion nous propose comme un point de foi, et qui est si incontestable, que les philosophes païens l'ont reconnu. Quelque ambitieux qu'aient été ces sages du monde, ils ont confessé qu'en cela même ils étoient aveugles; et jamais ils n'ont paru ni plus judicieux, ni plus éloquens, que quand ils se sont appliqués, ainsi que nous le voyons dans leurs ouvrages, à développer les ténèbres sensibles que l'ambition a coutume de répandre dans un esprit. C'étoit le sujet ordinaire où ils triomphoient.

En effet, à considérer la chose en elle-même, et sans examiner ce qu'en a pensé la philosophie humaine, quel aveuglement pour un homme qui dans son origine est la bassesse même, de vouloir à toute force se faire grand; ou dans le désespoir de l'être, de le vouloir au moins paroître et d'en affecter les dehors et la figure? Quel aveuglement de désirer toujours ce qu'il n'a pas, et de ne se contenter jamais de ce qu'il a, de faire consister sa félicité à être ce qu'il n'est pas encore,` et souvent ce qu'il ne sera jamais, et de vivre dans un perpétuel dégoût pour ce qu'il est; de chercher toute sa vie ce qu'il ne trouve point et ce qu'il est incapable de trouver : savoir, le repos et la paix du cœur, puisqu'au

(1) Genes. 3.

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