Images de page
PDF
ePub

Et la fête de Pan, parmi nous si chérie,
Auprès de ce spectacle est une gueuserie.
Mais, puisque sur le fier vous vous tenez si bien,
Je garde ma nouvelle, et ne veux dire rien.

[blocks in formation]

C'est de cette façon que l'on punit les gens,
Quand ils font les benêts et les impertinents.
DAPHNÉ.

Le ciel tienne, pasteur, vos brebis toujours saines!

ÉROXÈNE.

Cérès tienne de grains vos granges toujours pleines!

LYCARSIS.

Et le grand Pan vous donne à chacune un époux
Qui vous aime beaucoup et soit digne de vous!

DAPHNE.

Ah! Lycarsis, nos vœux à même but aspirent.

ÉROXÈNE.

C'est pour le même objet que nos deux cœurs soupirent'.

1 Sous le voile de la fable empruntée à mademoiselle de Scudéry, Mohère développe d'une manière ingénieuse l'histoire de Baron. Le début de cet enfant au théâtre fit révolution. Sa beauté, sa gentillesse, ses graces, charmèrent toutes les actrices. Mademoiselle du Parc, qui avoit repoussé

DAPHNÉ.

Et l'Amour, cet enfant qui cause nos langueurs,
A pris chez vous le trait dont il blesse nos cœurs.

ÉROXÈNE.

Et nous venons ici chercher votre alliance,
Et voir qui de nous deux aura la préférence.

[blocks in formation]

Mais, quand le cœur brûle d'un noble feu, On peut, sans nulle honte, en faire un libre aveu.

les vœux de Molière, et qui depuis sut toucher le cœur de Racine, se mit en frais pour fêter ce bel enfant ; elle alla même, suivant Grimarest*, jusqu'à faire de grands préparatifs pour lui donner à souper. Bref, il étoit au milieu des actrices comme on le voit ici au milieu des bergères; et Molière, qui veilloit sur lui avec une sollicitude toute paternelle, eut assez de peine à le sauver de tant de séductions. La distribution des rôles dans Mélicerte appuieroit au besoin ces observations, car Molière s'étoit réservé celui de père, et il avoit donné à la belle du Parc celui de Mélicerte.

Vie de Molière.

Je...

LYCARSIS.

ÉROXENE.

Cette liberté nous peut être permise,

Et du choix de nos cœurs la beauté l'autorise.

LYCARSIS.

C'est blesser ma pudeur que me flatter ainsi.
ÉROXENE.

Non, non, n'affectez point de modestie ici.

DAPHNÉ.

Enfin, tout notre bien est en votre puissance.

ÉROXÈNE.

C'est de vous que dépend notre unique espérance.

DAPHNÉ.

Trouverons-nous en vous quelques difficultés?

LYCARSIS.

Ah!

ÉROXÈNE.

Nos vœux, dites-moi, seront-ils rejetés?

LYCARSIS.

Non, j'ai reçu du ciel une ame peu cruelle :
Je tiens de feu ma femme; et je me sens, comme elle,
Pour les desirs d'autrui beaucoup d'humanité,
Et je ne suis point homme à garder de fierté'.

DAPHNÉ.

Accordez donc Myrtil à notre amoureux zèle.
ÉROXÈNE.

Et souffrez que son choix règle notre querelle.

1 Voici encore un trait assez plaisant. Je pense, d'ailleurs,"que ce mot sur la femme de Lycarsis, jeté comme en passant, est une espèce de préparation. Le nom de cette femme devoit se reproduire dans la suite de l'ouvrage, lorsqu'on en seroit venu à expliquer comment Myrtil avoit passé jusque-là pour fils de Lycarsis, sans que Lycarsis lui-même fût informé de sa véritable naissance. (A.)

LYCARSIS.

Myrtil!

DAPHNE.

Oui, c'est Myrtil que de vous nous voulons.

ÉROXENE.

De qui pensez-vous donc qu'ici nous vous parlons?

LYCARSIS.

Je ne sais; mais Myrtil n'est guère dans un àge
Qui soit propre à ranger au joug du mariage.
DAPHNÉ.

Son mérite naissant peut frapper d'autres yeux';
Et l'on veut s'engager un bien si précieux,
Prévenir d'autres cœurs, et braver la fortune
Sous les fermes liens d'une chaîne commune.
ÉROXÈNE.

Comme par son esprit et ses autres brillants
Il rompt l'ordre commun, et devance le temps,
Notre flamme pour lui veut en faire de même,
Et régler tous ses vœux sur son mérite extrême.

LYCARSIS.

Il est vrai qu'à son âge il surprend quelquefois;

1 Lorsqu'on se représente l'âge et les graces du jeune Baron, on sent mieux le charme que Molière répand ici sur son sujet. Daphné et Éroxène, animées par l'amour, tracent le portrait de ce bel enfant, et se complaisent dans cette agréable peinture. C'est alors que Molière, sous le nom de Lycarsis, ajoute à ces portraits, tracés par des femmes, un autre portrait où il révèle au public les douces espérances que l'esprit de son élève peut faire naître. Dans son roman, mademoiselle de Scudéry suppose que le jeune Sésostris, caché sous des habits de berger, est initié par Pythagore aux secrets de la philosophie. Molière, qui s'adressoit à des spectateurs très au fait de cette histoire, profite habilement de cette circonstance, et parle du philosophe grec qui instruisit le jeune Myrtil. Voyez aussi avec quel charme et quelle convenance il termine ce délicieux portrait, en ramenant l'esprit des spectateurs sur l'innocence et les graces de son jeune élève.

Et cet Athénien qui fut chez moi vingt mois,
Qui, le trouvant joli, se mit en fantaisie
De lui remplir l'esprit de sa philosophie,
Sur de certains discours l'a rendu si profond,
Que, tout grand que je suis, souvent il me confond.
Mais, avec tout cela, ce n'est encor qu'enfance,
Et son fait est mêlé de beaucoup d'innocence.
DAPHNÉ.

Il n'est point tant enfant, qu'à le voir chaque jour
Je ne le croie atteint déja d'un peu d'amour;
Et plus d'une aventure à mes yeux s'est offerte
Où j'ai connu qu'il suit la jeune Mélicerte.

ÉROXENE.

Ils pourroient bien s'aimer; et je vois....

LYCARSIS.

Franc abus.

Pour elle passe encore, elle a deux ans de plus;

Et deux ans, dans son sexe, est une grande avance'. Mais pour lui, le jeu seul l'occupe tout, je pense,

Et les petits desirs de se voir ajusté

Ainsi que les bergers de haute qualité.

DAPHNÉ.

Enfin, nous desirons par le nœud d'hyménée
Attacher sa fortune à notre destinée.

ÉROXENE.

Nous voulons, l'une et l'autre, avec pareille ardeur, Nous assurer de loin l'empire de son cœur.

1 Dans le roman de mademoiselle de Scudéry, la bergère Timarète est plus jeune que son amant. Molière a été obligé de modifier cette partie de la fable, pour accorder l'âge de l'actrice qui représentoit Mélicerte avec celui de Baron; peut-être aussi s'est-il rappelé que Louis XIV étoit de deux ans plus jeune que mademoiselle Mancini.

« PrécédentContinuer »