Images de page
PDF
ePub
[ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

REVUE MUSICALE

569 cercles et des salons. Son orchestre joli s'abrite derrière un paravent rococo. Sa Muse toute française (dans le sens où le grave Alfred de Vigny se méfiait de ce mot), ne craint ni les rythmes usuels ni les rides gracieuses; elle revêt le cotillon comme elle endosserait le costume tailleur ; elle pose, un peu de travers, sur ses cheveux non poudrés, le toquet noir de la Régence comme elle y planterait l'ironique mélodie du chapeau à plumes: c'est une Parisienne qui lit des romans et qui connaît ses auteurs. Elle est de son temps, car elle se préoccupe de la vérité musicale qui souligne d'un rythme allègre ou d'un timbre alangui la pantomime des acteurs; mais le passé français la retient. Un peu de massenétisme, afin de moderniser gentiment l'émotion! Mais beaucoup de ritournelles et d'ornements pastichés, pour situer l'opérette dans son décor de jadis : si bien que le triangle du Portrait de Manon, que le moderne glockenspiel alternent avec les traits du chant et les enrubannements du quatuor. Une clarinette, une flûte se lamente, mais à fleur de bois ou de métal. L'émotion minaude, à fleur de peau. Rien de Richard Wagner, de Claude Debussy non plus ! L'air ou l'ensemble se dérobe adroitement sous la parure à la mode. Car Lalo disait justement: «Nos musiciens font tous la même musique... » Et la spirituelle Basoche de 1890 reste bien le dernier en date des francs opérascomiques qui manifestaient lestement le courage de leur opinion! Toujours est-il que le genre s'agite, essaie de renaître aux feux modernisés de la rampe... C'est un signe des temps, si pareilles bluettes nous peuvent démontrer quelque chose...

A défaut d'originale musique, la mise en scène et l'interprétation de choix rendent cette Petite Maison digne d'une « feste galante » de Watteau, ce réaliste, dont la sanguine profilait avec une candide malice tous les roués fluets ou tous les démons féminins de son temps. Ce Rubens papillonnant qui possédait la sveltesse de Mozart applaudirait avec nous l'art discret de M. Carré; grâce à lui seul, nous revivons, sous Watteau, pour une heure:

La chose fut exquise et fort bien ordonnée...

Et les interprètes secondent de leur mieux leur directeur artiste : c'est Madame Marguerite Carré, Madame Pichon, dont la beauté n'a que plus de mérite à demeurer dans le droit chemin; c'est Mademoiselle Mastio, que nous revoyons avec plaisir sous la désinvolture de l'actrice Florence; c'est Mademoiselle Tiphaine, une Claudine autoritaire et vive en ménage : toutes trois cantatrices autant que sûres comédiennes. Fugère est Fugère c'est-à-dire l'artiste inimitable, impayable, dont la seule physionomie retrace tout un poème intérieur; ou plutôt, ce n'est plus Fugère, c'est M. Pichon lui-même, comme c'était l'archonte Dicéphile ou le comte Des Grieux... On bisse au chanteur consommé son amusant couplet, genre Falstaff: Entre le Régent et la Parabère... Delvoye se surpasse en Dominique. Et

revoici Clément, ténor de charme et de goût, qui n'a jamais si spirituellement joué que sous l'habit très élégant du chevalier de Fargis. Mesmaecker est plaisant sous le masque noir et muet du pseudo-Régent. De tels interprètes diversifient les physionomies, les caractères, les nuances, embellissant l'ouvrage, de même que l'orchestre conduit par Luigini corrige maintes fois l'argot de telle mélodie trop peu Régence que guettait simplement le promenoir des Folies-Bergère...

De tout cela, que conclure?

A la fin de chaque saison musicale, il nous plaît d'en chercher témérairement la philosophie, de nous aventurer sur le terrain plus élevé d'où les vues d'ensemble sont possibles... La présente année d'art se termine sans favoriser les belles conceptions. Le philosophegéomètre d'Alembert, qui redoutait l'art pour l'art, prétendait que la meilleure façon de suggérer des réflexions au lecteur, c'est d'en faire : avouons que les ouvrages montés ou repris en 1902-1903 paraissent une matière ingrate.

L'Opéra nous a donné le Bacchus, de M. Duvernoy, le Paillasse, de Leoncavallo, et la Statue, toujours méconnue, de Reyer, avant de remonter l'Henry VIII, de Saint-Saëns, ce grand opéra très moderne, de forme indépendante et d'orchestration clairement touffue, que les dangereux éloges de Gounod, dès 1884, avaient risqué de faire méconnaître cet académicien troublant et troublé n'a-t-il failli compromettre Mozart en personne avec son Don Juan?

L'Opéra-Comique a monté la triste Carmélite, la docte Titania, l'inoffensive Muguette et cette Petite Maison dont la luxure n'est qu'un stratagème, en attendant le petit ballet de la Cigale qui sera la Javotte de Massenet; l'Opéra-Comique a repris l'exquise Phryné, de Saint-Saëns, où se distingue Mademoiselle Sauvaget qui fut, dans la Carmélite, une imposante Montespan; puis, le Werther émouvant de Massenet, où l'excellente Mademoiselle Marié de Lisle a pu manifester librement toutes ses rares qualités auxquelles sa modestie seule avait, jusque-là, fait tort ce Werther est l'ouvrage aimé des philosophes; le debussyste et wagnérien Lionel Dauriac le préfère même à Manon, au Portratt de Manon, aux plus irrésistibles inspirations du charmeur; et le charmeur lui-même avoue l'avoir enveloppé de toute l'atmosphère de son âme... Mais Werther, comme Henry VIII, remonte à près de vingt ans; son apparition, comme celle de Phryné, place du Châtelet, date de dix printemps.

Notre goût pour les pronostics ne saurait donc invoquer de telles œuvres. Cette saison, qui va finir, n'aura point opposé, comme la précédente, de suggestive mémoire, la belle fresque antique des Barbares à la singulière tapisserie moyen-âge use de Pelléas et Mélisande ; elle n'autorise pas les beaux rêves esthétiques de la philosophie de l'histoire qui ne s'arrête jamais, pas plus que l'évolution que nous dérobent aujourd'hui de petits ouvrages; elle ne permet pas les discussions réconfortantes ni les conjectures ingénieuses, en mettant aux

prises les Saint-Saënsistes et les Debussystes, le mystère avec la clarté.

Force nous est, à présent, d'ajourner la solution du véritable problème qui se pose ainsi : Comment se fait-il que Debussy, ce Préraphaélite musical, ce musicien de Maeterlinck et de la nuit bleue, qui représente, en somme, un art plutôt d'hier déjà que d'aujourd'hui, trouve la vogue subite à l'heure même où tous nos poètes, redevenus non moins soudainement puristes à la suite d'Anatole France et de Mozart, se déclarent les champions de la santé française à l'encontre du métaphorisme contemporain ?

Les sages poètes de la Foi Nouvelle emploient ce jargon... Et ce n'est pas la saison musicale qui vient apporter une contribution vitale à ce grave, à cet urgent problème que nous livrons aux réflexions des libres esprits, s'il en reste.

L'année musicale n'a point repris Pelléas; elle a laissé le noble Etranger de Vincent d'Indy partir pour l'exil flamand La petite musique a reconquis le pas sur la grande. Une brise d'opéra-comique, voire d'opérette, a glissé parmi les échos wagnériens des tempêtes. C'est un temps d'arrêt dans l'évolution. C'est une Régence, un interrègne, un entr'acte... A l'an prochain les affaires sérieuses, je veux dire les hautes pensées, quand viendront, après l'Etranger et Benvenuto Cellini, les «<< premières» de Camille Erlanger, de Xavier Leroux! Alors, on pourra causer. Aujourd'hui, qu'il nous suffise de nous rabattre, avec l'apaisant émoi du souvenir, sur les belles interprétations des maîtres que nous ont procuré le Quatuor Parent, la Chanterie de Mme Mockel, le troisième printemps de la Société Mozart, la jeune virtuosité de Mile Long, l'admirable toucher de Mme Kleeberg, la délicate puissance ou la délicatesse puissante du maître Risler, infatigable confident du dieu Beethoven ou de ce délicieux Schumann, une déesse, comme Virgile, comme Racine...

Risler nous a vengés des bévues de la Société des Grandes Auditions musicales, qui, pour compenser la réduction de Parsifal au concert, a mis en scène, a mis en pièce...s la Damnation de Faust de notre cher grand Berlioz, et, circonstance aggravante, l'année même de son centenaire, apparemment pour lui rendre hommage...

Erreur n'est pas compte.

Raymond BOUYER.

[ocr errors]

P.-S. N'oublions pas la très-intéressante audition des élèves de Madame Colonne qui a consacré deux artistes, Madame Fritz Froehlich et Mademoiselle Suzanne Richebourg, une future Louise, ni la pure exécution du Requiem païen de Fauré par l'orchestre du Conservatoire sous la direction de Marty: ce Requiem apaise et console...

R. B.

LES LIVRES

PARUS:

COLONEL DE PELACOT: Expédition de Chine 1900 (Henri-Charles Lavauzelle). — ERNEST LAUT: Les Villes décorées (Lavauzelle).— LE THEATRE (Manzi, Joyant et C). L'ART DU THÉATRE (Ch. Schmid). - J. Novicow: L'expansion de la nationalité française (Armand Colin). CLAIRE ALBANE: L'expérience d'aimer (Plon-Nourrit). - Louis-Frédéric SAUVAGE : Sébastien Trùme (E. Fasquelle). A. DE GÉRIOLLES: Fier amour (Calmann-Lévy).

-

ALBERT CIM: Amateurs et voleurs de liores (Daragon). On a prétendn que, de tous les êtres créés par Dieu, le bibliophile est le plus égoïste et le plus féroce. L'histoire anecdotique des Amateurs et coleurs de liores, démontre que cet assertion est fondée. Le libraire assassin Vincente de Barcelone, dont les aventures forment le plus dramatique des romans, l'astucieux Jean Aymon; le trop fameux Libri et son disciple Harmand; maints et maints autres passionnés collectionneurs, parmi lesquels figu rent plusieurs papes, des cardinaux, nombre de dignitaires et de grands seigneurs, défilent dans ce volume, qui intéresse au plus haut degré tous les amis des livres. Emprunts indélicats, vols dans les bibliothèques privées et dans les bibliothèques publiques, vols chez les éditeurs, chez les libraires et les bouquinistes, tous les genres d'escroqueries livresques y sont passés en revue et minutieusement étudiés.

MICHEL PROVINS: Les Arrivistes (éditions de la Revue Littéraire). Dans cette œuvre dramatique, d'un intérêt puissant, M. Michel Provins a fait, avec son impitoyable psychologie, le procès, étincelant d'esprit, de tous les parasites lancés à l'assaut de la société, de ses places, de ses honneurs, de ses richesses, de son pouvoir. C'est de la critique sociale, mordante au point de rendre transparentes certaines généralités, et féconde par les enseignements élevés qu'elle inspire.

L'Année Dramatique et Musicale 1902 (édition de la Revue d'Art dramatique). Ce volume est le second d'une intéressante et précieuse collec

tion; on ytrouvera une analyse de toutes les pièces dramatiques ou lyriques jouées en France et à l'étranger; ce sont des documents uniques qui rendront de grands services à l'histoire du théâtre contemporain. Le monde artiste sera reconnaissant à M. Eugène Morel d'avoir entrepris et mené à bien ce travail.

WILLY: Claudine s'en va (Ollendorff). — Aprês être allée « à l'école » et après s'être mise « en ménage» Claudine nous quitte. Bien des lecteurs la pleureront la fantasque et capricieuse personne, mais hélas! icibas, il faut que tout finisse même les Claudines. Avec les avantures de Claudine et d'Annie, on lira dans ce volume des critiques assurément sévères, mais, peut-être justes d'une représentation lyrique donnée dans les arènes de Béziers. Ces pages mor dantes et ironiques rendent plus attrayants encore les adieux de Claudine.

RENÉE ALLARD: Le Roman d'une Provinciale (Ernest Flammarion). La carrière théâtrale qui séduit tant de jeunes filles et tant de jeunes gens, est cependant aussi pénible, sinon plus pénible que bien d'autres.

L'héroïne du roman de Mademoiselle Renée Allard, Denise Hautemain, malgré sa jolie voix ne peut franchir le cap des débuts. A chaque pas, elle se trouve entourée de menaces à la vertu et comme elle ne veut pas céder, elle doit renoncer au théâtre et rentrer dans sa famille. Ce volume est rempli de fines observations écrites en un style facile et simple qui n'est pas sans attrait.

[ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

JACQUES BALLIEU: Pierline (Simonis Empis). Pierline est dans un cadre d'idylle, parcouru des scènes émouvantes, le plus hardi plaidoyer encore paru en faveur de l'union libre. L'auteur, au travers d'une action passionnante, pousse la théorie jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes et, si sa délicieuse Pierline, irréductible dans sa volonté, parvient à s'unir à l'homme qu'elle aime ainsi qu'elle juge logique de le faire, elle proclame tout le temps, cependant, son absolu désir de demeurer femme par le charme, la grâce, la beauté et même la saine coquetterie qui pare ces attributs. Une très curieuse et, en même temps, très gracieuse couverture de A. Osbert ajoute un nouvel attrait à ce volume déjà si passionnant.

ERNEST LAUT : Les villes décorées (Lavauzelle). Il faut classer le volume que M. E. Laut publie à la librairie Lavauzelle comme une étude aussi bien documentée que parfaitement écrite. Livre qu'on attendait pour connaître exactement l'historique militaire de ces villes qui, en résistant à l'étranger ayant franchi nos frontières, gagnèrent bien la récompense de la Légion d'honneur,

M. Laut est un chercheur patient, un érudit. Et il sait donner aux faits une grande image, ce qui rend infiniment agréable à lire ses récits, qu'ils aient trait aux coutumes de la vieille Flandre, ou à des batailles modernes. Son nouvel ouvrage a été, on le sent, d'abord lentement pensé, puis méthodiquement écrit.

Il rend des hommages dûs à l'héroïsme des Belfortais. des Parisiens, des Lillois défendant leurs remparts; et il évite soigneusement toute exagération dans le récit des sièges soutenus par quatorze villes. Le succès de ce livre se justifie parce que l'auteur a fait une œuvre instructive qu'on placera, comme des annales précieuses, dans les bibliothèques où le peuple va puiser son instruction morale, civique et patriotique ; Patriotique au sens large du mot.

[blocks in formation]

Comme toutes les mises en scène de l'Opéra-Comique, celle de Muguette est des plus jolies. La place du Marché d'Anvers, le jardin de Muguette sont des décors merveilleux.

Une autre mise en scène pittoresque est celle de l'Ambigu pour le Roman de Françoise. Les reconstitutions du champ de courses d'Auteuil et d'un café-concert à Saint-Etienne ont obtenu un gros succès.

Quelques scènes du Système du Docteur Goudron, la pièce terrifiante que M. de Lorde a tirée d'une nouvelle d'Egar Poë rappellent les situations les plus dramatiques.

Dans le supplément, un article de M. Dorchain, une étude documentée de M. de Machiels sur le « Burgtheater de Vienne >> et parmi les planches hors texte, un portrait de Mademoiselle Chavita; la reproduction de l'esquisse de MM. D'Espouy et Calbet pour la décoration du rideau de fer de la Comédie-Française.

LE THEATRE (Manzi, Joyant et C). Le numéro de mai est consacré à la Muguette, le grand succés de l'Opéra-Comique. On y trouve une biographie de Jeanne Rolly avec sept délicieux portraits et un compte-rendu de l'Enfant du Miracle qui ne comporte pas moins de dix-huit gravures.

Dans son second numéro de mars, Le Théâtre donne une biographie complète de Mademoiselle Brandès agré. mentée de ses portraits dans dix de ses créations principales; le détail des scène d'Andromaque, au théâtre Sarah-Bernhardt; de Heureuse, au Vaudeville; des Dernières Cartouches, à l'Ambigu; de la Fiancée de la Mer, au théâtre des Arts, de Rouen, sans parler des ravissants portraits en couleurs de Louise Balthy et de Mademoiselle Lantelme.

JOSEPH TURQUAN: Le Roi Jérôme, ses femmes, sa cour, ses maîtresses, ses dernières années (Librairie Illustrée, Jules Tallandier). — Le roi Jérôme était un singulier personnage: dans la marine, où il fut nommé d'emblée officier parce qu'il avait échoué à son examen d'admission, il se montra ultra fantaisiste, jusqu'à déserter son bord et, une autre fois, à abandonner l'escadre et rentrer en France avec son batiment. Son indiscipline et ses folies, au lieu de le mener en conseil de guerre, lui valurent le grade de général, le com

« PrécédentContinuer »