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Il faut s'arrêter fur le raifonnement de M. Crévier. Il accuse M. de Montefquieu de ne pas aimer fa patrie autant qu'il le doit, parce qu'il a une oppofition décidée pour le defpotime, & parce qu'il aime beaucoup les hommes. Mais, fi ce grand homme étoit moins oppofé au defpotifme, & s'il aimoit moins les hommes, M. Crévier jugeroit donc alors qu'il aimeroit fa patrie autant qu'il la doit aimer. N'ufons pas de repréfailles contre cet écrivain; croyons qu'il n'a pas entendu ce qu'il a voulu dire; & c'eft une juftice qu'il faut fouvent lui rendre.

Mais voyons donc ce que M. de Montefquieu pense effectivement de fa patrie. Il dit, livre XX, chap. XX, à la fin » Si, depuis deux ou trois fiècles, la France a augmenté fans ceffe fa puiffance, il faut attribuer cela à » la bonté de fes loix, non pas à la for»tune, qui n'a pas ces fortes de conf

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Rapprochons, de ce paffage, celui où il exprime fes véritables fentimens fur le gouvernement Anglois, » Ce » n'eft point à moi, dit-il, à examiner

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files Anglois jouiffent actuellement de cette liberté, ou non. Il me fuffit de e dire qu'elle eft établie par leurs loix, «e & je n'en cherche pas davantage. Je ne prétends point par là ravaler les autres gouvernemens, ni dire que cette liberté politique extrême doive mortifier ceux qui n'en ont qu'une modérée.. Comment dirois-je cela, moi qui crois que l'excès même de la raison n'eft pas « toujours defirable, & que les hommes s'accommodent toujours mieux des milieux, que des extrémités ? «

Ces deux paffages ainfi placés dans le point de comparaison font difparoître l'accufation dont M. Crévier a voulu noircir M. de Montefquieu, & ne laiffent que de l'étonnement fur l'atrocité de la calomnie.

Mais il ne faut pas encore fe laffer: de la furprife: l'auteur du libèle a porté l'attentat jufqu'au comble. Si on l'en croit, M. de Montefquieu eft ennemi de la religion; mais il n'eft pas de ces ennemis ordinaires qui, contens de s'affranchir eux-mèmes de fon joug, s'inquiettent peu des fentimens que les autres ont pour elle. Il veut la détrui

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re; &, pour mieux réuffir, il l'attaque par la rufe mais écoutons M. Crévier. Cet ouvrage, dit-il, dans fon avant-propos, prive la vertu de fon motif, & délivre le vice de la terreur la plus capable de le réprimer. Il détruit »les devoirs dans leur fource; &, en ≫ anéantiffant ceux qui fe rapportent à » l'auteur de notre être, quelle force » laiffe-t-il à ceux qui ne regardent que »nos compagnons « ?

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» Et l'auteur continue le libèle, exé~ cute tout cela fourdement, & fans déclarer une guerre ouvertte à l'orthodoxie. Ceux qui l'ont fuivi dans le même plan funefte, devenus plus audacieux par les fuccès de leur précurfeur, „ont levé le mafque. Mais, par leur témérité même, ils font de moins dan gereux ennemis; parce que, .... prenant les armes, ils nous ont avertis de les prendre de notre côté L'au teur de l'Efprit des loix conduit fon entreprise plus adroitement: il ne livre point l'affaut à la religion; il va à la fape, & mine la religion fans bruit.

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... en

M. Crévier entre, à cet égard, dans

quelques détails : ils contiennent la moitié de fon livre. Mais, qui le croiroit! Les prétendues preuves du crime affreux dont il charge fon ennemi, ne font que la répétition des calomnies que le Nouvellifte eccléfiaftique avoit vomies contre l'auteur de l'Esprit des loix, au mois d'octobre 1749. Cet affreux libèle fut foudroyé par M. de Montefquieu lui-même dans fa Défenfe de l'Efprit des loix. Il ne refta à cet écrivain que la honte d'avoir attaqué un grand homme qui ne méritoit que des éloges, & le chagrin d'avoir fourni la matière d'un opufcule qui tranfmettra cette honte à la postérité.

Tout le monde lut, & tous les gens de goût admirèrent cet ouvrage; mais il paroît qu'il eft demeuré inconnu à M. Crévier. Auffi nous dit-il qu'il a travaillé fur l'édition de l'Efprit des loix de 1749. Son ouvrage eft cependant de 1764, poftérieur de fix ans à l'édition de 1758. Elle a été faite d'après les corrections que M. de Montefquieu avoit lui-même remises aux Libraires avant fa mort. S'il eût eu soin de fe la procurer, comme il le devoit

il y auroit trouvé quelques change mens, dont plufieurs tendent à éclaircir certains paffages, fur lefquels le Nouvellifte avoit cru trouver prife; & que M: Crévier a relevés d'après lui, quoiqu'ils ne foient plus tels qu'ils étoient. Il y auroit lu la Défense de l'Esprit des loix, & y auroit appris le refpect qu'il devoit aux talens, aux vues de l'auteur, & à l'ouvrage.

En 1764, parut dans les pays étrangers, un critique de l'Efprit des loix, d'un autre genre. Il a refpecté, comme il le devoit, les qualités du cœur de M. de Montefquieu; la calomnie n'a point fali fes écrits; il a feulement prétendu trouver des erreurs dans l'ouvrage, & il a renfermé les obfervations dans des notes inférées dans une édi tion contrefaite des œuvres de M. de Montefquieu, en Hollande. L'examen d'une ou de deux de ces notes fuffira pour les apprécier toutes; & l'on va choifir entre celles qui font les plus importantes.

M. de Montefquieu, après avoir établi la diftinction qui caractérise les trois genres de gouvernement, fait voir

que,

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