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Ils ont bien raifon de conferver cette: liberté; s'ils venoient à la perdre, ils feroient un des peuples les plus esclaves de la terre.

M. Law, par une ignorance égale de la conftitution républicaine & de la monarchique, fut un des plus grands pro-moteurs du defpotifme que l'on eût encore vu en Europe. Outre lès changemens qu'il fit fi brufques, fi inufités, fi inouis; il vouloit ôter les rangs inter-médiaires, & anéantir les corps politi ques: il diffolvoit (a) la monarchie par fes chimériques rembourfemens, & fembloit vouloir racheter là conftitution même.

Il ne fuffit pas qu'il y ait, dans une monarchie, des rangs intermédiaires; il faut encore un dépôt de loix. Ce dépôt ne peut être que dans les corps politiques, qui annoncent les loix lorfqu'elles font faites, & les rappellent lorf qu'on les oublie. L'ignorance naturelle à la nobleffe, fon inattention, son mépris pour le gouvernement civil, exigent qu'il y ait un corps qui faffe fans ceffe fortir les loix de la pouffière où

(a) Ferdinand, roi d'Arragon, fe fit grand-ma}are des ordres, & cela feul altéra la conftitutione.

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elles feroient enfévelies. Le confeil du prince n'eft pas un dépôt convenable. Il eft, par fa nature, le dépôt de la volonté momentanée du prince qui exé-cute, & non pas le dépôt des loix fondamentales. De plus, le confeil du monarque change fans ceffe ; il n'eft point permanent; il ne fçauroit être nom→ breux; il n'a point à un affez haut dégré la confiance du peuple: il n'eft donc pas en état de l'éclairer dans les temps difficiles, ni de le ramener à l'obéiffance.

Dans les états defpotiques, où il n'y a point de loix fondamentales, il n'y a pas non plus de dépôt de loix. De-là vient que, dans ces pays,la religion a or dinairement tant de force; c'eft qu'elle forme une efpèce de dépôt & de permanence : &, fi ce n'eft pas la religion, ce font les coutumes qu'on y vénère, au lieu des loix.

CHAPITRE

V.

Des loix relatives à la nature de l'état defpotique.

IL réfulte de la nature du pouvoir defpotique, que l'homme feul qui l'exerce, le faffe de même exercer par un feul. Un homme à qui fes cinq fens difent fans ceffe qu'il eft tout, & que les autres ne font rien, eft naturellement. pareffeux, ignorant, voluptueux. Il abandonne donc les affaires. Mais, s'il les confioit à plufieurs, il y auroit des difputes entre eux; on feroit des brigues pour être le premier esclave; le prince feroit obligé de rentrer dans l'administration. Il est donc plus fimple qu'il l'abandonne à un vizir (a), qui aura d'abord la meme puiffance que lui. L'établiffement d'u vizir eft, dans cet état, une loi fondamentale.

*

On dit qu'un pape, à fon élection pénétré de fon incapacité, fit d'abord des difficultés infinies. Il accepta enfin,

(4) Les rois d'Orient ont toujours des vizirs, dis M. Chardin.

& livra à fon neveu toutes les affaires. Il étoit dans l'admiration, & difoit : » Je n'aurois jamais cru que cela eût été « faifé. Il en eft de même des princes d'Orient. Lorfque, de cette prifon où des eunuques leur ont affoibli le cœur & l'efprit, & fouvent leur ont laiffé ignorer leur état même, on les tire pour les placer fur le trône, ils font d'abord étonnés : mais, quand ils ont fait un vizir; & que, dans leur ferrail, ils fe fort livrés aux paffions les plus brutales; lorfqu'au milieu d'une cour abattue, ils ont fuivi leurs caprices les plus ftupides, ils n'auroient jamais cru que cela eût été fi aisé.

Plus l'empire eft étendu, plus le ferrail s'aggrandit; & plus, par conféquent, le prince eft enivré de plaifirs. Ainsi, dans ces états, plus le prince a de peuples à gouverner, moins il penfe au gouvernement; plus les affaires y font grandes, & moins on y délibère fur les affaires.

LIVRE I I I. Des principes des trois gouver

nemens.

CHAPITRE PREMIER.. Différence de la nature du gouvernement & de fon principe.

APRÈS avoir examiné quelles font les loix relatives à la nature de chaque gouvernement, il faut voir celles qui Te font à fon principe.

Il y a cette différence (a) entre la na ture du gouvernement & fon principe que fa nature eft ce qui le fait être tel; & fon principe, ce qui le fait agir. L'une eft fa ftructure particulière, & l'au tre les paffions humaines qui le font mouvoir.

Or, les loix ne doivent pas être moins relatives au principe de chaque gouvernement, qu'à fa nature. Il faut donc chercher quel eft ce principe. C'eft ce que je vais faire dans ce livre-ci.

(a) Cette diftin&tion eft très-importante, & j'en tirerai bien des conféquences; elle eft la clef d'une infinité de loix.

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