Images de page
PDF
ePub

s'il veut sainement juger de l'art architectural des Chinois, doit tout d'abord faire abstraction, en quelque sorte entière, de toutes les idées architectoniques qui lui sont familières : tout ce qu'il peut savoir, en effet, de l'architecture de la Grèce et de Rome, ou de celle des siècles chrétiens du moyen âge, loin de l'aider, ne pourrait que lui nuire dans la juste appréciation qu'il entendrait faire du même art chez les Chinois, car, en vérité, aucune comparaison n'est possible; il vaudrait mieux songer aux vieux monuments de l'Égypte, avec lesquels les édifices de la Chine, dus comme ceux des Pharaons au génie d'une antiquité extrêmement reculée, ne sont pas sans avoir quelque similitude; on retrouve, en effet, dans la structure des uns et des autres un goût prononcé pour la forme pyramidale et l'emploi fréquent de colonnes uniquement destinées à servir de point d'appui : les Grecs seuls ont su les premiers faire de la colonne un des plus beaux ornements de leurs édifices, et combiner dans sa structure toutes les exigences de la solidité avec la justesse des proportions et les plus délicates harmonies du beau et du gracieux. L'architecture n'est-elle pas, du reste, une des multiples manifestations du génie particulier de chaque peuple? Tout autant que le costume national de chacun d'eux, elle indique la différence de leur goût et caractérise l'originalité qui les distingue.

Les Chinois, amis jusqu'à l'excès des traditions de leurs pères, se sont appliqués à suivre, dans l'art de bâtir comme dans tout le reste, les errements

empire et les relient à la capitale, siége de l'autorité souveraine et centre administratif, d'où tout émane et où tout vient aboutir.

Pour peu que l'on considère l'immense étendue de l'empire chinois, le nombre de ses habitants et les soins que réclame l'administration d'une aussi vaste monarchie, on conçoit de suite combien il importait, pour faciliter l'action gouvernementale et donner satisfaction aux intérêts commerciaux des populations, d'y multiplier les moyens de communication; il fallait donc y créer, en quelque sorte partout, des voies nombreuses, indispensables traits d'union des provinces les unes avec les autres, des villes entre elles et des sujets avec le souverain. Or, autant et plus peut-être qu'aucun autre peuple, les Chinois ont reconnu l'avantage de pareils travaux; et il y a bien des siècles déjà qu'ils ont mis la main à l'oeuvre et produit en ce genre des ouvrages qui étonnent.

Les Chinois ont surtout excellé dans l'art difficile d'endiguer les eaux. Cette science, il est vrai, a dû leur étre comme imposée par la configuration même de leur territoire avec un pays plat, où d'immenses fleuves roulent un abondant volume d'eau, que gonflent démesurément, à certaines époques de l'année, des crues considérables et qu'arrête momentanément, à de longues distances dans l'intérieur des terres, le flux même de la mer, les inondations sont fréquentes; leurs ravages sont immenses et causent aux populations riveraines des pertes incalculables; la disette pour l'ordinaire en

faut de leur architecture, ils sont peut-être aussi les seuls, entre tous les peuples, qui aient su allier, par l'abondance des ornements, la variété la plus extraordinaire avec l'uniformité la plus rigoureuse.

"

Ce ne sont pas du reste les seules règles de l'art proprement dit, telles qu'ils les comprennent et les appliquent avec scrupule depuis des siècles, qui ont empêché les Chinois de pouvoir jamais trouver un genre nouveau d'architecture ou d'inventer un style composite » quelconque; plus encore peutêtre que l'antique routine, dont ils sont esclaves, les règles officielles que doivent suivre les architectes du gouvernement dans la construction des édifices publics ont dû contribuer à paralyser toute inspiration de leur génie inventif et arrêter fatalement tout essor vers quelque heureuse innovation.

Nous n'étonnerons pas médiocrement nos lecteurs en leur disant que ces règles sont de véritables lois de l'État, qui déterminent, non-seulement pour les simples édifices publics, mais encore pour les villes elles-mêmes, la forme et les dimensions de leur enceinte selon la classe à laquelle elles appartiennent, le nombre de leurs portes, celui de leurs rues et la direction que celles-ci doivent suivre, la position des temples officiels, des greniers d'abondance qu'on doit y construire, de tous les édifices, en un mot, affectés à chaque service public ou à la résidence des mandarins de là cette incroyable ressemblance de toutes les villes chinoises entre elles, et qui fait qu'il suffit presque d'en avoir visité quelques-unes pour connaître toutes les autres.

Rien n'est donc laissé à l'arbitraire ou à la fantaisie des ingénieurs et des architectes chinois dans l'exécution des travaux qui leur sont confiés par le gouvernement; ils doivent suivre en tous points les plans officiels, uniformément adoptés et faisant loi dans tout l'empire. C'est un des soins principaux du ying-chen-thsing-li-ssé, premier tribunal subalterne de la sixième cour souveraine, de se conformer à ces règlements dans l'exécution des travaux qu'il dirige et de veiller partout à leur rigoureuse application.

Ce même tribunal est, en outre, chargé de l'intendance des manufactures impériales de cristaux, et, conformément à la même loi générale qui réglemente tout en Chine, il doit encore procurer pour le service de toutes les autres manufactures de l'État les modèles ou patrons reproduisant la forme légale, d'après laquelle devront être exécutés les divers objets confiés au travail des ouvriers. Enfin, cette première direction du grand tribunal des travaux publics complète ses attributions par le soin qu 'elle prend de l'aménagement et de la conservation des forêts de l'État.

La seconde direction de la sixième cour souveraine, quoique formant un tribunal distinct dit « des instruments et objets d'art », n'est à bien prendre qu'une division de la précédente direction; ses principales attributions consistent, en effet, à faire confectionner, conformément aux modèles officiels que lui fournit celle-ci, tous les instruments de guerre et les différentes armes en usage dans l'armée chi

sont plus, on voit un même tombeau les réunir fraternellement encore pour dormir l'un avec l'autre leur dernier sommeil.

Le fleuve Jaune est fort large; son cours est rapide, ses eaux, abondantes, mais son lit peu profond en rend la navigation difficile; ses débordements subits et redoutables sont l'effroi des populations et souvent la cause de la ruine entière des contrées qu'il parcourt. Que de fois ne l'a-t-on pas vu ensevelir sous ses eaux furieuses les plus populeuses cités, dévaster les plus riches contrées et porter même en des lieux distants de ses rives la désolation et la mort! Ce fleuve redouté n'est pas le seul à causer de pareils désastres; la Chine abonde en rivières dont les eaux trop souvent ravagent les contrées qu'elles avaient d'abord rendues fertiles.

Conjurer de pareils fléaux semblerait devoir défier toutes les forces humaines; mais lutter contre la nature même, n'est-ce pas, en même temps qu'une nécessité faite à l'homme, une des grandes aptitudes dont Dieu a doté son génie? Les Chinois l'ont possédée à un degré éminent, et dans aucuu temps ils n'ont failli aux durs labeurs que les perturbations du monde physique, si souvent fécondes en désastres, imposent à l'humanité. Nous avons pour monuments de leurs courageux efforts les travaux vraiment gigantesques qu'ils ont exécutés pour endiguer leurs fleuves, contenir leurs lacs, creuser leurs innombrables canaux.

La Chine abonde en travaux de ce genre; et tous en général accusent, au double point de vue

« PrécédentContinuer »