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plutôt lui-même : « Je ne vais à la chasse, dit ce prince dans ses Instructions sublimes, que deux fois l'an. La première fois sur l'eau, pour que mes « gens apprennent à conduire et à gouverner les barques; la seconde en automne, en pleine cam<< pagne, afin qu'ils s'exercent à tirer des flèches, << tant à pied qu'à cheval. De cette manière, je « ne fatigue pas mes gens, et je laisse aux bêtes « fauves le temps de mettre bas et aux oiseaux « celui d'élever leurs nombreux petits. Mes soldats, « par cet exercice, deviennent forts et adroits, et «< apprennent à ne pas se laisser surpasser en « valeur.

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Ce prince était lui-même d'une adresse supérieure à décocher une flèche avec force et à l'envoyer droit au but. Afin de rendre ses troupes tartares plus habiles dans cette partie de l'art de la guerre, il établit parmi elles l'usage de tirer au blanc. Ce genre d'exercice fut goûté des Chinois, qui dès lors y accoutumèrent leurs enfants dès le bas âge. Aussi sont-ils devenus, comme les Tartares, d'excellents tireurs. Ils s'entretiennent l'oeil et la main par de fréquents exercices publics; le désir que chacun a d'être proclamé le tireur le plus adroit les fait rivaliser de vigilance et d'attention. Y a-t-il un heureux vainqueur, il exerce aussitôt sur ses rivaux moins habiles le droit de sa supériorité en leur imposant, comme le veut l'usage, la facile humiliation de vider à sa santé une tasse de vin jamais personne ne s'y refuse.

De la chasse à la pêche il n'y a que la distance de

la plaine ou de la forêt aux bords de l'eau. Il est bon d'observer toutefois que la pêche en Chine est bien plus souvent un moyen de commerce et d'industrie qu'un amusement; mais c'est une raison de plus pour les Chinois de s'y livrer avec toute l'ardeur que, à défaut du plaisir, leur inspirent le désir du gain ou les nécessités de la vie. Dans les grandes pêches, ils font usage de filets et d'une foule d'engins d'une invention tout ingénieuse; ils réservent pour les pêches récréatives l'arc, la flèche, le harpon, voire même cet instrument d'une simplicité toute primitive que la malignité gauloise a trouvé le moyen de définir si plaisamment, en disant de lui qu'il commence et finit par deux créatures du bon Dieu, dont la seule grosseur fait toute la diffé

rence.

Mais il est un genre de pêche particulier à la Chine, que nous pensons n'avoir été pratiqué encore nulle part ailleurs. C'est la pêche « au cormoran», que les Chinois ont inventée et qu'ils mettent à profit de la plus étonnante façon. Ils savent si bien dresser cet oiseau aquatique qu'il devient aussi habile à prendre le poisson et à le rapporter que le chien du chasseur à s'emparer du gibier. Cette pêche se fait ordinairement en bateau. Au lever du soleil, on voit un grand nombre de barques chargées de ces oiseaux se rassembler sur les rivières ou sur les étangs. Les cormorans sont paisiblement perchés sur les proues, attendant qu'on leur donne le signal de commencer leur pêche. Lorsque toutes les dispositions sont faites, les bate

liers battent fortement l'eau avec leurs rames à ce signal connu, les cormorans s'élancent et se répandent en un instant sur toute l'étendue de la rivière ou de l'étang, qu'ils se partagent entre eux avec une intelligence admirable. Ils plongent, font mille circuits dans l'eau, saisissent avec le bec, par le milieu du corps, le poisson qu'ils rencontrent, remontent sur l'eau avec leur proie, et l'apportent chacun dans la barque d'où il est parti. Le pêcheur reçoit le poisson, saisit l'oiseau, lui renverse la tête en bas, et lui passant légèrement la main le long du cou, lui fait rejeter les petits poissons qu'il avait avalés, et qui se trouvent retenus dans l'œsophage par un anneau placé exprès pour le resserrer. Sans cette précaution, le cormoran, rassasié de poisson, n'aurait plus bientôt la même ardeur pour continuer sa pêche. Sa corvée finie, on lui ôte cet anneau et on lui donne à manger. Il est à remarquer que si le poisson est trop gros, les oiseaux d'une même barque se prêtent mutuellement secours; l'un le saisit par la queue, l'autre par la tête, et ils le portent ainsi à leur maître.

Voici une autre sorte de pêche que, malgré sa simplicité, nous croyons encore n'être connue que des seuls Chinois. Ils clouent d'un bout à l'autre, sur les bords d'un long bateau très-étroit, une planche enduite d'un vernis de la plus brillante blancheur. Cette planche, large d'un peu moins d'un mètre, s'incline en dehors, de manière qu'elle soit presque à fleur d'eau. On n'en fait usage que la nuit, et on la tourne du côté de la lune, afin que

la réflexion de sa lumière en augmente l'éclat. Le pêcheur se tient silencieux, pour ne pas effrayer les poissons. Il arrive souvent que ceux-ci, au milieu de leurs jeux, confondent la couleur de la planche vernissée avec la couleur de l'eau; cette erreur les fait s'élancer de ce côté et tomber dans la nacelle. Ceci nous rappelle la pêche aux flambeaux, en usage sur nos rivières, mais cette dernière ne peut se pratiquer qu'à la faveur des nuits les plus obscures. La manière chinoise a l'avantage de mettre à profit l'excès même de la clarté nocturne.

L'eau courante des fleuves ou l'eau dormante des étangs est donc pour les Chinois le théâtre d'une agréable distraction ou d'un pénible labeur, selon que la pêche est pour eux un but de plaisir ou l'effet du besoin. Mais la température vient-elle avec l'hiver à durcir ces surfaces liquides, alors le plaisir seul paraît et domine. Les Chinois sont habiles dans l'art du patinage, et savent, avec autant d'élégante agilité que nous, glisser sur les eaux glacées. Les évolutions des patineurs font même partie des divertissements de la cour, et l'empereur ne dédaigne pas d'honorer chaque année de son auguste présence ces joutes sur la glace. Nous pouvons en fournir l'exemple suivant : " Lorsqu'en 1780 le prince-lama de Teschou-Loumbou se rendit à Péking, les courses sur la glace furent du nombre des jeux et des amusements que l'empereur s'empressa de lui procurcr. Ce qui excita surtout l'attention du vénérable lama et des Thibétains de sa suite fut un combat de vitesse, une

course entre un homme en patins et un homme à cheval; on avait pour celui-ci construit un chemin le long d'une immense pièce d'eau glacée. Au grand étonnement des spectateurs, l'homme qui courait avec des patins remporta la victoire'. »

L'air, cet élément d'azur, tout comme l'élément liquide ou solide des ondes, fournit aux Chinois d'autres moyens de plaisir. Qui n'a, en effet, entendu parler de leurs fameux cerfs-volants, dont l'invention, paraît-il, serait due plutôt à une nécessité de la guerre qu'au besoin d'un frivole amusement? D'après l'ouvrage intitulé Khe-tchi-kingyouen (c'est 'Encyclopédie chinoise), l'honneur en reviendrait au célèbre général Han-sin, qui vivait deux cent six ans avant l'ère chrétienne. On en fit depuis souvent usage durant le siége des villes; par ce moyen les assiégés faisaient connaître au dehors leur situation et le besoin qu'ils avaient de secours. Mais il y a longtemps que les cerfs-volants ont cessé d'être en Chine des messagers de détresse, pour devenir de simples objets d'amusement. Les Chinois ont même atteint dans la structure de ces jouets aériens le nec plus ultra de la perfection. « Les cerfs-volants chinois, dit l'abbé Grosier, l'emportent sur les nôtres par leur ingénieuse composition; ils ont des formes plus variées, plus agréables, des couleurs plus riches et plus éclatantes. Tantôt ils offrent l'image d'un immortel qui s'élève majestueusement porté sur un nuage; tantôt ils repré

1 Ambassade au Thibet, t. II, p. 117.

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