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prince héritier, son fils; il y fait, en gourmand expérimenté, l'éloge des moutons et du gibier de ces contrées. Vous recevrez », dit-il, « de vrais « moutons kalkas; ils sont excellents, comme vous << le savez, et d'un goût bien supérieur à ceux des << autres pays. On trouve ici tout ce qu'on peut sou(( haiter pour la nourriture; il n'y a que des queues « et des langues de cerfs dont je n'ai pu me pro«< curer qu'une cinquantaine. On me présente par« tout des faisans gras et d'une chair admirable; il «< y en a une très-grande quantité dans ce pays-ci. « Dès ma jeunesse, j'avais ouï dire que les lièvres « d'Ortos avaient un fumet exquis je puis mainte<< nant l'assurer d'après ma propre expérience '. »

Les Chinois s'abstiennent assez généralement de manger de la chair de mouton pendant les mois de l'été, époque où elle prend un goût tout à fait désagréable et d'un montant si fort qu'elle est à peine mangeable. On sait toute la répugnance que les habitants de la campagne ont encore de nos jours, dans certaines contrées de la France, pour cette sorte de viande; si les Chinois n'éprouvent pas le même dégoût à la manger, ils ont, en revanche, bien d'autres préjugés. C'est ainsi, par exemple, qu'ils préfèrent la chair du mouton blanc, et la regardent comme très-supérieure, pour la finesse et le goût, à celle du mouton noir. Ils se défient de la chair de ceux dont la toison est mélangée de diverses couleurs, et la suspectent d'être malsaine. Ils attribuent cette

1 Histoire générale de la Chine, t. XI, p. 241. Traduction du P. de Mailla.

bigarrure à un vice caché de constitution, à une altération quelconque dans le sang et les humeurs de l'animal. Ils portent, du reste, le même jugemént au sujet des animaux de toute autre espèce dont le pelage n'est point d'une couleur uniforme.

Le porc est de tous les animaux domestiques de la Chine celui qu'on a le plus multiplié, et sa chair, celle dont on fait la plus grande consommation. L'élève de ces animaux est pour les gens de la classe pauvre un moyen de ressources assurées et une occupation de tous les jours; de là, sans doute, ce proverbe chinois : « Le savant ne quitte pas plus ses livres que l'indigent ne quitte ses cochons. " Mais ce n'est pas le peuple seulement qui fait en Chine sa nourriture la plus ordinaire de la chair de cet animal cette viande à l'état frais ou salée et fumée prend place sur toutes les tables et y figure fréquemment. Du reste, la chair du porc chinois est, au jugement de tous les étrangers qui en ont goûté, plus blanche, plus délicate et plus savoureuse, dans les provinces méridionales surtout, que celle du cochon d'Europe. On attribue ce degré de bonté et de salubrité à la manière dont l'animal est élevé dans ces provinces, où on le nourrit en grande partie d'oranges de rebut et d'autres fruits parfumés et odorants. Nous avons pu nous-même, dans le cours de nos voyages intertropicaux, constater la supériorité réelle de la chair du porc de ces chaudes régions sur celle de ces mêmes animaux élevés dans les régions plus septentrionales du globe.

La Chine produit une quantité énorme de vo

lailles, mais de qualité tout à fait inférieure. Les Esculapes du Céleste Empire interdisent d'ordinaire, comme indigeste et malsaine, cette viande à leurs malades. Les Chinois bien portants en sont eux-mêmes peu amateurs; mais, en revanche, ils raffolent du poisson, et comme il y a peu de contrées dans le monde où les mers environnantes, les lacs, les étangs, les fleuves, les rivières en fournissent en aussi prodigieuse quantité qu'en Chine, on peut s'imaginer sans peine combien l'usage en est facile et fréquent.

Mais rien n'approche du goût prononcé de tous les habitants du Céleste Empire sans exception pour les légumes et les herbages de toutes sortes. C'est à ce goût, sans égal ailleurs, que l'horticulture en Chine est redevable, sans doute, de la supériorité qui la distingue. Ce goût des Chinois pour les végétaux, les racines, les graines, est général et commun à toutes les classes de la société. Depuis l'empereur jusqu'au dernier des Chinois, tout le monde, dans le Céleste Empire, est mangeur forcené de légumes: c'est un goût vraiment national. Les Tartares eux-mêmes, accoutumés dans leur pays à vivre du lait et de la chair de leurs troupeaux, ont fini par l'adopter. On ne connaît pas, en vérité, de pays au monde où il se fasse une aussi prodigieuse consommation de végétaux qu'en Chine.

En dehors des divers aliments que nous venons d'indiquer, et dont tous les peuples font plus ou moins usage, il en est d'autres qui ont valu aux habitants du Céleste Empire la renommée d'étranges

gastronomes. Un mandarin chinois mange, par exemple, et savoure avec délices des nageoires de requin, la chair des juments sauvages, les pattes d'ours, les pieds de divers animaux féroces, les nerfs de quelques autres, les nids de certains oiseaux, des vers et des insectes de plus d'une sorte, etc., etc. Sans nous prononcer sur la qualité de ces mets plus ou moins extraordinaires, dont l'illustre BrillatSavarin, de très-célèbre et gourmande mémoire, n'a point parlé, nous dirons un mot des plus renommés quelques-uns d'entre eux n'ont-ils pas fini par trouver une certaine faveur même en Europe?

Les fameux nids comestibles, que les gourmets chinois estiment être le plus substantiel et le plus restaurant de tous les potages, sont de ce nombre. L'oiseau qui fournit ce riche et singulier produit, est une espèce d'hirondelle très-petite; plusieurs naturalistes l'ont appelée « hirondelle de la Chine", parce qu'elle fréquente ses mers; mais elle est plus connue sous le nom de « salangane », qu'on lui donne aux îles Philippines, où elle est très-commune. On n'a pas toujours été d'accord sur la nature de la matière dont ces oiseaux composent leurs nids, tant recherchés des Apicius chinois; et, de nos jours encore, on remarque à ce sujet, de la part de ceux qui en parlent, une trèsgrande divergence d'opinions : les uns disent que ces nids sont formés d'une espèce de goëmon qui croît au fond de la mer, le long de ses rivages, ou bien encore d'une écume blanche et visqueuse, sorte de salive que ces hirondelles auraient la pro

priété de sécréter; d'autres veulent y voir du frai de poisson et une écume gluante que l'agitation de la mer forme autour des rochers, auxquels ces nids sont fixés par le bas et par le côté. Il en est, enfin, qui prétendent que les insectes dont les salanganes se nourrissent servent aussi à ces oiseaux pour la construction de leurs nids. Il paraît, toutefois, mieux démontré que le frai de poisson seul, qui dans certaines mers et à certaines époques vient à former sur l'eau comme une sorte de colle forte à demi délayée, est la véritable composition de ces nids comestibles.

Quelle que soit, du reste, la substance de ce mets fameux, le prix généralement exorbitant que les Chinois mettent pour se le procurer prouve en réalité qu'il est fort de leur goût. La manière de le préparer consiste à faire bouillir ces nids de façon à pouvoir les réduire d'abord en filaments blancs, comme le vermicelle; on ôte ensuite tout ce qui paraît noir ou malpropre, et on les remet au feu dans un bon bouillon de viande ou dans celui de poule. Ainsi préparés et relevés, dans une juste proportion, par des épices et des aromates bien choisis, on les sert sur les tables chinoises, dont ils font les délices. Ce mets est de fait un très-bon potage, que les Européens savent à l'occasion aussi bien apprécier que les Chinois.

Il en est de même des queues et des langues de cerf, dont les Chinois sont grands amateurs, et que plusieurs de nos lecteurs pourraient bien ne pas dédaigner. Mais nous n'oserions pas en dire

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