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autant des nerfs de ces mêmes animaux, que les gourmets du Céleste Empire rangent également dans la classe de leurs mets de luxe. Ces nerfs sont au préalable desséchés au soleil; puis on les couvre de muscade et de fleur de poivre, et on les enferme avec soin pour les conserver et y recourir à l'occasion. Veut-on en faire usage, on les amollit en les laissant tremper dans de l'eau de riz; on les fait cuire ensuite dans du bouillon de chevreau, et on les sert assaisonnés de plusieurs épices.

Si par hasard ou par raison, ami lecteur, vous ne preniez point goût à ces quelques particularités de la cuisine chinoise, ayez au moins courage : d'autres surprises vous attendent. Voici des fricassées et des bouillitures d'ailerons de requin, de chenilles salées, de grenouilles, d'œufs de lézards, etc. ; puis des vers de terre cuits, séchés et salés comme des harengs; des larves d'abeilles sauvages, macérées dans la saumure et le vinaigre, ou frites à la graisse ou à l'huile; des cigales, dont les Grecs furent aussi très-friands; et enfin « le cuir japonais", espèce de peau foncée qui, malgré le soin qu'on prend de la faire macérer quelque temps dans l'eau, reste assez dure et conserve toujours un goût détestable.

Si les riches paraissent en Chine doués d'un goût passablement bizarre dans le choix de quelquesuns de leurs aliments, la misère impose souvent aux pauvres des nécessités bien autrement répugnantes. La vérité est qu'ils mangent à peu près tout ce qui leur tombe sous la main. Selon le Père

Cibot, «< tout ce qui est viande se vend et est mangé à la Chine...» « La police, dit-il encore, qui est si «sage et si admirable en tant de choses, a plié sur « cet article jusqu'à tolérer de vrais abus, et jusqu'à «< conniver à des espèces de boucheries que nous « n'oserions pas décrire.... Elle marque de son << sceau les mules, les chameaux, les chevaux et les « ânes pour être livrés aux bouchers. »

Le célèbre missionnaire, en écrivant ces lignes, était bien loin de se douter qu'après lui, et de nos jours, des hippophages français feraient les efforts les plus persévérants pour accréditer parmi nous l'usage de quelques-unes des viandes qui paraissent lui avoir tant répugné. Quelle que soit, au reste, la valeur de son opinion, il est au moins à propos de constater que les Chinois, sur ce point encore, sont nos devanciers, puisqu'une longue habitude a vulgarisé chez eux, depuis longtemps déjà, ce qui chez nous n'est qu'à l'état d'un essai timide et très-problématique encore quant à la continuité de sa durée.

Sans nous prononcer autrement sur les avantages ou les inconvénients, réels ou douteux, de la nouvelle alimentation que nous vante l'hippophagie, avantages et inconvénients qu'une expérimentation trop récente est insuffisante à démontrer, nous pouvons au moins affirmer, sans crainte de nous tromper, que les Chinois font usage d'autres aliments qu'il nous sera tout à fait impossible d'adopter jamais. Ainsi, il est certain qu'en Chine le bas peuple a contracté l'habitude de manger la chair des chiens, des chats,

des rats et de plusieurs autres bêtes plus immondes encore. Il est évident que, quand un peuple est immense comme celui de la Chine, il se voit souvent réduit à faire usage de tous les moyens de subsistance qui sont à sa portée. La loi du besoin ne laisse pas la liberté du choix, et admet encore moins la délicatesse.

Pour faire diversion aux détails qui précèdent, il nous paraît opportun de dire un mot ici des confitures dont les Chinois aiment à composer le dessert de leurs festins; elles sont si délicieuses, que nos jeunes lecteurs et nos lectrices de tout âge en rêveront, rien que d'y penser. Les fruits dont on les fait sont différentes espèces d'oranges et de citrons, des raisins, des grenades, des pêches, des abricots, des coings, des prunes, des noix, des amandes, du gingembre, et une infinité d'autres fruits cultivés ou sauvages, inconnus à l'Europe, et que la Chine produit en abondance, acides, doux ou parfumés. Les confitures chinoises sont donc aussi variées qu'exquises, et si bien faites qu'elles se conservent longtemps. Pendant l'été, on mêle des morceaux de glace aux fruits en compote et aux confitures que l'on sert sur les tables. Les Chinois, qui boivent ordinairement chaud, savent aussi se procurer de la sorte des rafraîchissements agréables pendant les grandes chaleurs. L'usage de la glace leur est depuis longtemps connu, et si apprécié de tous, que l'empereur, en certains jours de munificence, en fait distribuer au peuple.

Boissons des Chinois.

S IV.

La vigne anciennement connue des Chinois. Prohibition de sa culture. Art de la brasserie en Chine. — Variétés du « vin chinois »; manière de le fabriquer. Découverte fortuite de l'art de la distillation. — Eaux-de-vie chinoises et leurs variétés. Goût dépravé des Tartares. — Le thé. - Éloge poétique de cette boisson par l'empereur Kien-long.

Il va sans dire que les Chinois boivent aussi bien qu'ils mangent; mais le jus du raisin, à l'état et sous la forme des vins que l'Europe produit en si grande abondance, et fabrique avec un art si varié, n'est pas en usage chez eux. Ce n'est pas que la vigne leur soit inconnue et qu'ils n'aient su lui faire produire, à certaines époques dont parle leur histoire, des vins exquis. Ils ont en effet pratiqué cet art et cette industrie bien des siècles avant l'ère chrétienne. L'empereur Kang-hi en parle dans ses << Instructions familières », et observe que le vin de raisin ne fut d'abord employé que dans les sacrifices, et qu'on le réserva longtemps pour ranimer les forces des vieillards, recevoir honorablement ses hôtes, et répandre dans quelques festins de cérémonie la douce gaieté que cette liqueur inspire '. A ces époques reculées, le vin était encore servi dans l'entrevue des princes, ou lorsqu'ils se rendaient à la cour de l'empereur. On solennisait ainsi leur réception, mais une étiquette sévère bornait à trois verres l'usage de la précieuse liqueur.

1 Voyez Mémoires sur les Chinois, t. IX, p. 115.

Cette sobriété antique ne dura pas toujours en Chine, et les temps vinrent où la culture de la vigne, qui avait envahi une grande partie du sol cultivable, fut proscrite autant pour prévenir les désordres occasionnés par l'usage du vin, que pour subvenir par la récolte de plus abondantes moissons aux besoins d'une population toujours croissante. Les proscriptions dont on frappa cette riche culture se renouvelèrent souvent,. et elles furent quelquefois si longues et si générales, qu'elles firent insensiblement tomber dans l'oubli la plante précieuse et son agréable fruit. Sous l'empire de ces lois prohibitives, les Chinois se virent forcés de recourir aux autres boissons spiritueuses fournies par la fermentation des grains, et connues de toute antiquité par leurs ancêtres. Avec le temps, l'art de la brasserie a fait chez eux de tels progrès, qu'il peut soutenir, par la variété de ses produits, une avantageuse comparaison avec le même art pratiqué chez les peuples de l'Occident, quelle que soit du reste, sous ce rapport, l'incontestable supériorité qui recommande, entre tous, les habitants de l'Europe septentrionale. Ainsi s'établit l'usage du « vin chinois », pour lequel la nation finit par se prendre d'un goût tellement prononcé, que l'usage s'en est continué malgré le changement de législation qui survint plus tard, et rendit à tout particulier la liberté de replanter la vigne et de la cultiver. Ce vin factice ou plutôt cette « bière», qu'adore le Chinois, s'obtient par la fermentation d'un mélange d'eau et de grain. Le levain nécessaire à sa

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