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fabrication s'appelle kiu-tsée, ou « mère du vin »; il est composé de farine de bon froment, qu'on laisse mêlée de toutes ses parties de son et qu'on pétrit avec de l'eau chaude, jusqu'à ce qu'elle soit réduite en une masse d'une consistance plus ferme que la pâte dont on fait le pain. On divise ensuite cette masse en autant de parties qu'elle peut en fournir, et auxquelles on donne, par la forme et le volume, l'apparence de véritables briques. Ces sortes de pains, placés sur des planchettes ou étagères, sont ensuite renfermés dans de grandes armoires ou dans des chambres bien closes jusqu'à parfaite fermentation. On prétend que ce levain s'améliore en vieillissant, mais toujours est-il que de sa bonne ou mauvaise préparation dépend tout le succès ou la non-réussite de la cuvée qu'on prépare.

La composition de ce ferment admet de nombreuses variétés. Outre la farine de froment, les Chinois préparent le kiu-tsée avec de l'orge, du seigle, du millet, de l'avoine; on le fait aussi en mélangeant différentes farines dans des proportions très-arbitraires; on joint encore à la farine de froment et des autres grains non-seulement celles de pois et de fèves, mais encore des aromates, des amandes, des pignons, des feuilles et des écorces de bois, des fruits séchés et réduits en poudre '; on y surajoute parfois des liqueurs préparées, propres à accélérer ou diminuer la fermentation.

1 Grosier, et Mémoires sur les Chinois.

Il existe encore une autre espèce de levain que les Chinois appellent ya, et qu'ils préparent avec de la farine de froment, de riz ou de seigle, dont on a eu soin de faire au préalable germer le grain dans l'eau, puis sécher au soleil ou dans une étuve. Avant de le réduire en poudre, on le vanne à plusieurs reprises pour en détacher les germes desséchés, devenus parties superflues, nuisibles même. Mais ce levain, quoique excellent, est rarement employé, parce qu'il coûte plus de peine et procure moins de profit. Le petit millet, dans les provinces du nord, et le riz, dans celles du sud, sont les autres éléments du vin chinois.

Quelle que soit, du reste, la matière dont on compose le levain nécessaire à la fabrication de cette bière, ce premier élément est justement appelé par les Chinois kiu-tsée, ou « mère du vin », puisqu'il en est la base essentielle, et que de ses qualités dépendent les qualités mêmes de la boisson qu'on veut faire. Avant de l'employer, on prend une quantité déterminée de riz ou de mil, bien mondé, et qu'on lave à grande eau; on fait ensuite écouler cette eau par inclinaison, et on lui en substitue de nouvelle en quantité suffisante pour submerger totalement le grain, de façon même à le dépasser de la hauteur d'un pied et demi environ. Après avoir trempé pendant deux ou trois jours dans cette eau, ce grain est ensuite retiré au moyen d'une cuiller percée à jour, et cuit à la vapeur d'eau, selon la manière chinoise, à peu près pendant une heure. Dès qu'il est refroidi à l'air, on le

mêle dans un baril ou dans un vase vernissé, que les Chinois nomment kan, avec une quantité voulue de kiu-tsée pilé, réduit en poudre et passé au tamis de crin'. Ce mélange s'opère en versant peu à peu de l'eau froide sur le mil, qu'on a soin de tourner, de remuer et d'agiter en tous sens à l'aide d'une pelle de bois longue et étroite, destinée à cet usage. Quant à la quantité d'eau à verser sur ce mélange, la règle le plus ordinairement suivie est d'en ajouter assez pour que les matières soient bien délayées et prennent la consistance d'une bouillie claire.

Le vase qui contient ce moût doit être fermé d'un couvercle pour garantir le liquide de la poussière, et en faciliter la fermentation. Il est indispensable, pour aider celle-ci, de remuer et de brasser le tout plusieurs fois dans la journée. L'opération entière est plus ou moins prompte, selon que la température est plus ou moins favorable; elle dure ordinairement de dix à douze jours. On n'est pas dans l'usage de décanter le liquide : lorsque le marc à bout de fermentation s'est précipité au fond du vase, on remêle une fois encore marc et liquide, et on clarifie en passant à la chausse. Pour mettre ce vin chinois en état d'être conservé, il ne reste plus qu'à le faire bouillir à un feu modéré à peu près l'espace d'une heure. Ce n'est que quand il est entièrement refroidi qu'on le verse dans les urnes de terre ou de porcelaine où il doit vieillir.

1. La quantité de mil ou de riz à employer peut être de 40 kil., et celle de kiu-tsée de 8 kil. C'est la proportion adoptée à Péking et dans le Pé-tché-li; elle varie suivant les provinces.

Si les vases qui le contiennent sont fermés de manière à le mettre à l'abri de l'influence de l'air, ce vin peut se conserver indéfiniment et s'améliorer même, avec le temps, d'une façon tout exceptionnelle.

La manière de fabriquer le vin chinois que nous venons d'indiquer n'est pas la seule usitée. De même qu'en Europe on fait usage de procédés très-différents pour traiter les vins de France, d'Allemagne, d'Italie, de Grèce et d'Espagne, il existe également en Chine plus d'une recette pour obtenir, avec le seul vin national, les variétés les plus tranchées et les sortes les plus différentes. On emploie à cet effet divers ingrédients qu'on ajoute dans le temps de la cuisson, tels que des herbes choisies, des aromates, du miel, du sucre, des fruits ou verts, ou confits, ou simplement séchés au soleil. C'est de cette manière que les Chinois se procurent cette grande variété de vins qu'ils appellent vin de coings, vin de cerises, vin de pignons, vin de cannelle, de gingembre, de mélisse, d'aurone, etc. Plusieurs de ces vins sont très-fins et très-délicats, et on assure que plus d'un gourmet européen s'y est trompé et les a pris pour de vrais vins d'Occident.

Les Chinois distillent aussi des alcools avec le froment, le riz cultivé ou sauvage, le sorgho, et quelquefois la canne à sucre. Quoique l'eau-de-vie de vin leur ait été connue aux époques où la vigne était cultivée en Chine, il paraît néanmoins qu'ils n'ont trouvé le moyen de la fabriquer avec des

grains que vers la fin du treizième siècle, et encore cette découverte n'a-t-elle été due, dit-on, qu'à l'effet du hasard. On raconte que le premier Chinois qui la trouva ne songeait qu'à tirer parti d'un vieux vin qui avait un mauvais goût; et il fut singulièrement surpris lorsqu'au lieu d'un vin corrigé et rendu potable, il trouva que l'alambic lui avait donné une véritable eau-de-vie. Deux cents ans plus tard seulement, une cause également fortuite leur révéla la manière de l'extraire directement du grain même un paysan de la province de Chantong s'étant aperçu avec chagrin que son mil, faute d'avoir été suffisamment remué, s'était moisi au lieu de fermenter, désespéré de ne pouvoir en faire du vin, voulut essayer d'en tirer de l'eau-de-vie par la distillation. Cette tentative réussit, et ce succès a donné naissance à la pratique actuelle '.

Ces eaux-de-vie sont fort du goût du peuple chinois, qui les boit toujours chaudes, et trop souvent avec peu de modération. Il paraît même que, malgré leur saveur âpre et désagréable, et précisément peut-être à cause de cela, les matelots européens s'en accommodent volontiers. Mais une chose est certaine, c'est que cette pernicieuse boisson produit infailliblement toujours, en Chine comme en Europe, les conséquences les plus déplorables tant au physique qu'au moral. « La plupart, » dit le de ceux qui en boivent, même sans « excès, commencent d'abord par engraisser; mais

P. Amiot,

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1 Grosier, t. VII, p. 229.

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