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pour les recevoir, et ils renouvellent tous les jours devant le tombeau, avec les enfants du défunt, les témoignages de leur douleur.

Les sépultures des Chinois sont toujours placées en dehors des villes et ne sont point agglomérées en un seul lieu, comme dans nos cimetières d'Europe. Les endroits préférés sont communément des points élevés, auxquels on donne le sombre ornement des arbres verts, tels que les pins et les cyprès; et dans ces lieux funèbres, si bien faits pour rappeler tout à la fois le néant et la suprême égalité des hommes, on voit se montrer quand même, en Chine comme partout, l'orgueil ou l'humilité des rangs et des fortunes. Le pauvre se contente d'abriter les restes de ceux qu'il a perdus d'un simple toit de chaume, ou, quand il le peut, d'une petite loge de briques en forme de tombeau. Les citoyens plus aisés construisent leurs sépulcres de famille avec plus de recherche et d'apparence; ils ont soin de les blanchir ou de les peindre en bleu et de les entourer d'une enceinte dont la forme est exactement celle d'un grec : l'idée de fin que cette lettre pourrait entraîner avec elle n'est ici, comme on peut le penser, qu'un effet singulier du hasard.

Les tombeaux des riches, des mandarins et des grands de l'empire sont construits avec tout le faste réclame le haut rang des personnages auxquels que ils sont destinés. Ils consistent d'abord en une voûte demi-sphérique, soigneusement bâtie. C'est la chambre sépulcrale qui reçoit le cercueil. On élève au-dessus de cette voûte, et alentour, un tumulus de terre

battue, qui la recouvre entièrement en forme de coupole. Cette terre est elle-même soigneusement enduite d'une couche épaisse de ciment, pour empêcher les infiltrations pluviales. L'enceinte qui renferme ces tombeaux est souvent d'une vaste étendue. On entoure ces mausolées d'une plantation d'arbres funèbres, dont la sombre et perpétuelle verdure est comme un mémorial immuable et constant du long sommeil que doivent dormir les grands de ce monde, tout aussi bien que ceux qui furent humbles et petits sur la terre. En face du tombeau se trouve une longue table d'un beau marbre blanc, sur laquelle on a fixé deux candélabres également en marbre, et artistement travaillés, une cassolette pour brûler des parfums et deux vases pour recevoir des fleurs. On arrive à ces tombeaux par une avenue aussi imposante d'aspect que bizarrement ornée. Ce n'est pas sans surprise, en effet, qu'on aperçoit rangées sur chaque côté deux longues files de statues de marbre ou de pierre représentant des officiers, des soldats, des eunuques, dans l'attitude de la douleur, puis des chevaux sellés, des chameaux, des lions, des tortues, et une foule d'autres animaux. C'est au travers de toutes ces représentations fantastiques qu'il faut passer pour arriver jusqu'au mausolée. Il paraît néanmoins que, malgré l'étrangeté de ces singuliers et bizarres emblèmes, l'aspect de ces sépultures des grands de la Chine ne laisse pas que d'émouvoir l'âme d'une mélancolique tristesse. Et en vérité, quels que soient les signes qui rappellent

la puissance de la mort, quoi jamais de plus éloquent que son muet langage?

Les sépultures chez les Chinois sont considérées comme inviolables, et sous aucun prétexte il n'est jamais permis de remuer les ossements des morts, pas même pour faire de nouvelles inhumations dans le lieu où ils reposent ces mortelles dépouilles sont réputées sacrées, et doivent demeurer éternellement cachées à la vue, enfouies à tout jamais au sein de la terre. Un tel sentiment est la rigoureuse conséquence du respect naturel et pieux que les vivants devraient toujours avoir envers la mémoire et les restes de ceux qui ne sont plus. Les Chinois donnent en ce point à des peuples plus civilisés qu'eux un exemple qu'il serait honorable à ceux-ci d'imiter.

On trouve en Chine, mais comme une exception, l'usage qu'avaient les Grecs et les Romains de brûler les morts. Cette coutume, en effet, loin d'être très-répandue, n'est guère pratiquée que dans les deux provinces du Kiang-nan et du Tché-kiang, et encore n'est-elle due, paraît-il, qu'à la répugnance que les habitants éprouvent à confier les corps de leurs défunts au sol bas et humide de ces contrées. Van Braam, auteur de la relation de l'Ambassade hollandaise, est le premier voyageur qui ait parlé de cet usage. Voici ce qu'il dit « J'ai remarqué ici (le long du canal, près de Ou-kiang-hien, province de Kiang-nan) « un singulier usage relativement aux morts, puisqu'on place indifféremment leurs cercueils dans

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« un champ quelconque, et sur la superficie de la « terre. Les personnes qui peuvent en payer la dé<< pense font faire autour du cercueil un petit mur « carré qui en a la hauteur, et au-dessus duquel « on élève un petit toit couvert de tuiles; et d'autres recouvrent le cercueil avec de la paille « et des nattes, tandis que les gens de la dernière « classe mettent uniquement une couche de gazon << sur le haut du cercueil, et le laissent dans cette situation. Nous avons passé devant beaucoup de sépultures de cette espèce depuis deux jours..... J'en ai demandé la raison, et l'on m'a dit que les «< terres étaient si basses, qu'on ne pouvait pas inhumer les corps, parce qu'ils seraient dans l'eau: «< inconvénient dont l'idée seule révolte les Chinois, << parce qu'ils sont persuadés que les morts aiment « un séjour sec. Après un certain temps, les cer«cueils qui ont été ainsi laissés en champ ouvert « sont brûlés avec le cadavre qu'ils renferment; << on en recueille les cendres qu'on met dans des << urnes recouvertes, et qu'on enfouit ensuite à « demi dans la terre. J'ai vu le long de ma route « des urnes ainsi disposées. C'est pour la première « fois que j'ai appris aujourd'hui que l'usage de << brûler les morts et celui de recueillir leurs cendres « avait lieu à la Chine comme chez les Grecs et les « Romains........ Je n'en avais rien ouï dire depuis << trente-six ans que je connais ce pays '. »

Le deuil est chez les Chinois d'une observance

1 Voyage de Van Braam, in-8o, t. II, p. 120.

aussi longue que sévère : sa durée est de trois ans pour le père et la mère, mais pour les autres parents elle va en diminuant à mesure que s'éloigne le degré de parenté. Contrairement à ce qui s'observe en Europe, ce n'est pas avec le noir mais avec le blanc que le deuil se porte en Chine : tous les vêtements doivent être faits d'une toile de cette couleur, commune et grossièrement cousue; le bonnet, les bas et les bottines sont de même toile et de même façon. Les boutons et les boutonnières de la veste sont remplacés par de simples bandes de toile à demi effilées qui se nouent, et on se sert d'une simple ceinture de chanvre pour la serrer. Le flocon de soie rouge qui orne d'habitude et complète la coiffure chinoise est supprimé. Les femmes, de leur côté, ne portent pour aiguille de tête qu'une simple baguette de coudrier. Les princes et les grands en Chine ne portent pas le deuil différemment que les autres citoyens; le vêtement dont ils se couvrent est aussi grossier et aussi négligé que celui du pauvre artisan. Toutes les marques des grandeurs humaines disparaissent dans cette circonstance.

Les Chinois en temps de deuil ne se bornent pas au seul usage de porter ainsi des habits sordides et négligés : les convenances leur imposent bien d'autres rigueurs encore. Non-seulement il leur est interdit de se montrer dans aucune assemblée publique ou d'assister à quelque repas de cérémonie, ils s'abstiennent en outre, même en leur particulier, de l'usage de la viande et du vin, et quand ils pa

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