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de ce Livre des vers, et ne tarissent pas d'éloges lorsqu'ils parlent de la sublimité, de la douceur, du naturel et du goût antique de ces poésies; d'après eux, les âges suivants n'ont rien produit qui puisse leur être comparé : Les six vertus, disent-ils, sont l'âme du Che-king; aucun siècle n'a flétri les fleurs brillantes dont elles y sont couronnées, et aucun siècle n'en fera éclore d'aussi belles.

Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en citant ici la pièce suivante, empruntée au Che-king; la douce et touchante sensibilité qui y règne leur fera aisément reconnaître le caractère de la plaintive élégie.

"

Plaintes d'une épouse légitime répudiée.

Semblables à deux nuages qui se sont unis au haut des airs, et que les plus violents orages ne sauraient séparer, nous étions liés l'un à l'autre par un éternel hymen; nous ne devions plus faire qu'un cœur. La moindre division, causée par la colère ou le dégoût, eût été un crime; et toi, tel que celui qui arrache les herbes et laisse la racine, tu me bannis de ta maison, comme si, infidèle à ma gloire et à ma vertu, je n'étais plus digne d'être ton épouse et pouvais cesser de l'être! Regarde le ciel, et juge-toi. Hélas! que je m'éloigne avec peine! Mon cœur m'entraîne vers la maison que j'ai quittée. L'ingrat! il ne m'a accompagnée que quelques pas; il m'a laissée à sa porte; il trouvait doux de me quitter. Tu adores donc le nouvel objet de tes

feux adultères, et vous êtes déjà comme un frère et une sœur qui se sont vus dès leur enfance! Va, ton infidélité souillera ton nouvel hymen et en empoisonnera les douceurs. O ciel! cet hymen, tu le célèbres avec joie. Je suis devenue vile à tes yeux, tu ne veux plus de moi; et moi, je ne voudrai plus de tes repentirs. Quelles ne furent pas mes peines sur le fleuve rapide où je voguais avec toi! A quels travaux ne me suis-je pas dévouée pour les intérêts de ta maison? Je me sacrifiais pour te rendre heureux. Tous les cœurs qui sont venus vers toi, c'est moi qui les ai attirés; et tu me méprises et m'oublies. Ainsi donc c'est la fortune que tu aimais dans ton épouse, et j'ai perdu tous mes charmes dès que je t'ai rendu heureux! Que de douceurs et de félicité je préparais à notre vieillesse! Une autre t'en dédommagera; et je languirai dans l'opprobre et la douleur. Hélas! que tes derniers regards étaient terribles! ils ne respiraient que la haine et la fureur. Mes maux sont sans remède. Il s'offense de ma tendresse et rougit de mes bienfaits. »

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Pièces dramatiques.

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La comédie et la tragédie.

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§ V.

Historique de l'art dramatique en Chine. Règles dramatiques. L'introduction et les scènes. Absence des trois unités. Emploi du chant. — Les trois styles. Les comédiens chinois. — Goût passionné des Chinois pour les représentations dramatiques. - Abondance des compositions de ce genre. Qualités et défauts.

Rôles et personnages.

L'art théâtral et la poésie dramatique vraiment digne de ce nom paraissent avoir pris naissance en Chine sous la dynastie des Thang, vers l'an 720 de notre ère. Jusque-là les anciens spectacles des Chinois ne consistaient guère qu'en ballets pantomimes, bien différents des pièces régulières dont la scène chinoise a fini par s'enrichir. La littérature dramatique ne suivit pas en Chine la marche qu'elle eut ailleurs. Au lieu d'un progrès continuant un autre progrès, nous y voyons plutôt, sous chaque dynastie, un genre nouveau succédant presque brusquement au genre précédemment adopté : de là le peu de similitude et le manque de filiation qu'on observe entre les œuvres dramatiques chinoises d'époques différentes dès qu'on essaye de les comparer les unes aux autres. On s'accorde néanmoins à considérer les temps des Kin et des Youen, qui courent du douzième au quatorzième siècle de l'ère chrétienne, comme étant l'époque où l'art et la poésie dramatiques atteignirent leur apogée. Dans les siècles qui

suivirent, les écrivains ne firent guère autre chose qu'imiter, chacun selon son goût, les œuvres de leurs devanciers.

Les Chinois ne font aucune distinction de la tragédie et de la comédie; ils n'ont conséquemment point de règles particulières appropriées à ces genres si différents. Toute pièce dramatique débute ordinairement par une sorte de prologue ou d'introduction qu'on nomme sié-tseu, et se divise en plusieurs parties appelées tché, qui correspondent tout à fait aux actes de nos pièces de théâtre, avec cette différence que les scènes n'y sont point distinguées les unes des autres; on y indique néanmoins l'entrée et la sortie de chaque personnage par ces mots : chang, « il monte », et hia, « il descend ». Les apartés sont désignés par l'expression peï-yun, qui signifie littéralement « parler en tournant le dos ».

L'introduction sert à exposer l'argument de la pièce, afin de donner à l'auditoire une connaissance anticipée du drame; quelquefois on y fait, dans le même but, le récit d'événements antérieurs à ceux qui vont être spécialement représentés. Le mode de ces sortes d'ouvertures a varié avec les temps: sous la dynastie des Tang on leur trouve la plus grande analogie avec les prologues de Plaute; dans les pièces de la dynastie des Youen, le sié-tseu est sous forme de dialogue, et, souvent, entremêlé de vers. Tous les personnages qui y figurent commencent tout d'abord par décliner leurs noms et indiquer le rôle qu'ils vont jouer; cette singulière pra

tique se continue, d'ailleurs, dans tout le cours de la pièce de la part de chaque personnage nouveau qui paraît sur la scène.

Les règles dramatiques admises en Chine sont loin d'être les mêmes que celles consacrées en Europe. Dans toute pièce régulière l'exposition, l'intrigue et la péripétie sont généralement assez bien établies par les auteurs chinois; mais vainement on chercherait dans leur oeuvre l'observation de nos trois unités, ni rien de tout ce que nos autres règles exigent pour donner de la régularité et de la vraisemblance à l'action théâtrale. Ce n'est point une action unique qu'on représente dans ces drames, c'est la vie entière d'un héros avec tout un ensemble d'événements dont la durée comprend souvent une longue période historique. L'unité du lieu de la scène n'est pas mieux observée le spectateur qui est en Chine au premier acte se trouve dans le suivant transporté dans la Tartarie. L'auteur chinois ne tient compte ni des temps ni des lieux, et de toutes les règles qui nous sont connues il ne s'applique qu'à garder la principale, celle de plaire, de toucher, d'exciter à la vertu et de rendre le vice odieux par le spectacle des nobles enseignements de l'histoire ou par des peintures supposées, mais capables de porter les spectateurs à la pratique de la vertu. Aux yeux des rhéteurs chinois l'utilité morale est en principe la première des règles pour toute représentation dramatique, règle par excellence, que le code pénal, en cas d'oubli, se charge parfois de confirmer.

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