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part de son fils!... Celle-là ne serait pas digne d'être la fille héroïque des matrones romaines, qui captiverait par ses charmes le courage de son époux réclamé par la bataille! Romains, vos ancêtres ont conquis le monde, voulez-vous être dignes d'eux? répondez.»-« Oui! oui! » s'écrie d'une seule voix la foule enthousiasmée par ces paroles entrainantes. Romains! voulez-vous, brisant les fers de l'esclavage, marcher à la conquête du plus précieux de tous les biens, à la gloire, à l'indépendance, Oui! oui oui! reprend la foule, nous "Romains! voulez-vous redevenir le Oui! oui oui!» répète une troi"Eh bien! que votre

à la liberté? » le voulons! "

peuple-roi ?...

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sième fois la masse électrisée.

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volonté soit faite. Romains! au nom de l'Italie.... aux armes! la carrière est ouverte.... aux armes! la victoire vous attend.... aux armes!... Romains, en avant! Dieu le veut ! »

Les applaudissements qui accueillirent ces paroles retentissaient encore, lorsqu'un homme d'un certain âge, revêtu du costume pittoresque des montagnards romains remplaça le père Gavazzi à la chaire sacrée devenue tribune politique. Le chapeau à larges bords, le surtout en drap brun-vert doublé d'une peau de mouton, jeté négligemment sur les épaules, la guêtre en peau rouge et noire, serrée à la jambe par des boucles de cuivre, la veste de velours bleu retenue par une large ceinture tricolore, le gilet rouge, la culotte courte et de gros souliers ferrés, telle était la tenue de ce nouvel orateur appelé Rosi, et connu sous le nom de Berger-poëte. Sa figure pâle, encadrée dans de longs cheveux noirs, ses yeux largement fendus et pleins d'éclairs, l'harmonie de ses traits, la distinction de sa parole, commandent le silence. « Je ne suis ni un orateur ni un savant, moi, s'écrie-t-il; je ne suis qu'un pauvre paysan qui ne connaît l'histoire de

son pays que par les ruines qui recouvrent la terre de ses campagnes. Chacune de ses ruines porte un souvenir, chacun de ses souvenirs conserve un nom, chacun de ses noms forme un ensemble merveilleux, un monument éternel élevé à la gloire de l'Italie.... l'Italie, frères! ce nom trois fois cher provoque des larmes dans vos yeux, et votre main se porte instinctivement à vos côtés pour y trouver le glaive de la résurrection, l'Italie vous attend sur son lit de douleur, elle vous appelle, vous qui êtes ses enfants, elle vous demande plus que la vie que vous lui devez, elle vous demande la liberté, vous seuls pouvez la lui donner, serez-vous insensibles à son appel? répondez."Non! non! s'écrie le peuple; vive l'Italie! Fermerezvous les yeux à ses larmes et l'oreille à sa voix? répondez. Non! non! vive l'Italie! »

Pendant un quart-d'heure, le poëte-berger, devenu tribun, retient suspendu à ses lèvres, par de magiques paroles, la foule attentive et silencieuse; il quitte enfin la tribune pour la céder à un autre orateur, poëte aussi ̧ quoique secrétaire du prince Canino. Masi est son nom: comme son geste, sa prose est facile, élégante, le plus souvent même elle devient épique, le mot rapide obéit avec souplesse à la pensée. « Frères! s'écrie-t-il à son tour, après avoir artistiquement promené un long regard sur le front de tous ces hommes qui l'écoutent avec un recueillement religieux; frères! je ne puis que vous développer ce que les deux orateurs qui m'ont précédé à cette tribune vous ont dit avant moi. » En effet, l'homme de Canino repasse en revue toutes les grandes figures de l'antiquité, il évoque leurs ombres, il secoue la poussière de leur linceul pour en faire un drapeau à ce qu'il appelle les ressuscités de la vieille Rome; puis, élargissant son cadre, il se promène à vol d'oiseau sur les points les plus éloignés parcourus autrefois par les aigles im

périales; il ranime le passé pour stimuler le présent et servir d'exemple à l'avenir.

Il est remplacé à la tribune par un jeune prêtre, le seul personnage peut-être qui joue sérieusement son rôle. « Je me rends à l'appel de la patrie, dit-il; quand la patrie est en danger, le prêtre redevient homme. Je quitte l'habit des lévites du Seigneur pour l'uniforme du soldat, le crucifix pour le glaive de la bataille; je les dépose aux pieds des saints autels pour venir les reprendre au jour de la délivrance, si Dieu ne me rappelle à lui avant le triomphe. Je n'ai qu'une ame, s'écrie-t-il avec exaltation, cette ame appartient à Dieu; je n'ai qu'un seul cœur, il appartient à l'Italie; j'ai deux bras, l'un sera pour combattre le barbare vivant, l'autre pour bénir les fidèles morts. Vive l'Italie! Cette poétique antithèse est accueillie par de vives acclamations.

Le général Durando paraît à son tour; puis un jeune moine de l'Ordre des conventuels lui succède: Stefano est son nom de religion, Dumaine son nom de famille, la France est sa patrie. Sa figure est pâle et maladive, la parole sort avec effort de sa poitrine maigre et resserrée, son éloquence fiévreuse, éreintée expire sur ses lèvres; sa voix est un alto sans cordes, néanmoins le nain se fait géant, il a la prétention de représenter la France; humiliation! Après un tableau comparatif de l'Italie et de la France, il passe en revue les grands hommes et les grandes choses des deux pays; il fait défiler devant lui, sur la même ligne, Lamennais et Gioberti, Ledru-Rollin ét Mazzini, Lamartine et Sterbini, les journées de février à Paris et celles de mars à Milan; il établit entre ces hommes une solidarité commune, entre ces choses un chiffre identique, qui doivent produire les mêmes con'séquences, les mêmes résultats. La révolution est en France, donc l'Italie doit être en révolution, etc., etc...............

Tel est le résumé du discours de ce moine présomptueux qui se pare du nom de la France. Il parle de liberté et il provoque la licence, ce tombeau des choses libres! Il parle d'égalité, et il aristocratise son nom en le parant d'une noble particule qui ne lui appartient pas comme homme et qui serait incompatible avec son caractère religieux. Il parle de fraternité, et mauvais fils il prépare, par ses débordements, la tombe où il précipitera sa mère avant le temps! Il parle de république, il vomit l'anathême contre les princes et il reçoit en seconde main les bienfaits d'une pieuse princesse qui s'appelle MarieAmélie, et qui les lui continue du fond de son exil de Claremont.

Ce moine orgueilleux qui joint à une prodigieuse mémoire une connaissance superficielle de toutes choses, quittera demain son habit religieux pour l'uniforme militaire et il ira, le sabre au poing, rançonner sur sa route, les couvents de l'Ordre auquel il doit tout ce qu'il est et tout ce qu'il possède...

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Le général Ferrari aborde à son tour la tribune. Général en chef, il descend au rôle d'un commis aux vivrés pour discuter avec le peuple les conditions de la campagne; il le consulte sur la nature des aliments, sur l'importance de la solde. « Nous ne voulons point d'or! s'écrie le peuple, nous ne voulons point d'or, mais du fer et du pain. - Vous aurez l'un et l'autre, répond le général Ferrari; le pain est le muscle de la guerre, l'argent en est le nerf. Vous contenterez-vous de quinze baiocchi par tête et par jour?... » "Du pain seulement et du fer! reprend le peuple en masse; l'or à l'esclave, le fer à l'homme libre! » - "Eh bien! s'écrie le général, puisque vous êtes si bons citoyens, vous n'aurez que dix baiocchi par jour. » Sterbini voulant mettre fin à cette scène ridicule qui du cirque de Flavien fait un

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marché d'hommes, s'élance au pulpito. Son discours, largement accentué, n'est qu'une vigoureuse diatribe contre les riches et les nobles, contre les prêtres et les religieux, contre les palais et les couvents. « Frappons dans leur fortune, dit-il, ces inutilités de l'espèce humaine. Aux hommes du peuple le sacrifice du sang! aux privilégiés de la naissance le sacrifice de la richesse. Puisque ces derniers, amollis par les jouissances de la vie, ne sauraient payer de leurs personnes, il est juste qu'ils paient de leurs trésors.... » — "Oui! oui! » répéta le peuple en masse.... - Le rôle que nous leur faisons, reprend Sterbini, est encore assez beau! la noblesse et le clergé seront les banquiers de la guerre de l'indépendance. Vive l'Italie! »

Le père Gavazzi reparaît une seconde fois à la tribune: "Braves Romains! s'écrie-t-il, les discours que vous avez entendus, les orateurs qui se sont succédés à cette tribune ont-ils suffisamment éclairé votre cœur? êtes-vous convaincus de la nécessité de courir aux armes? Vous sentez-vous la force de l'homme qui veut redevenir libre; le courage qui produit les grandes choses, la volonté qui rend invincible? « Oui! oui oui! »

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Eh

bien! que le sort en soit jeté, appelons-en à Dieu et à son représentant sur la terre, qui bientôt va vous bénir comme il a béni l'Italie! Romains! dès aujourd'hui vous redeviendrez le peuple-roi! »

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Dans ce moment, un homme gros et fort, ayant à ses côtés un jeune homme de dix-sept ans revêtu du costume de minente, se trouvait auprès de l'orateur qui, l'apercevant, lui dit: « Arrive ici... qui es-tu?

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