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« Pour cela que veux-tu faire?
"Combattre, vaincre ou mourir.

Tu veux donc partir aussi, toi?

« Je veux que l'Italie redevienne libre..., je partirai.

« Tu ne partiras pas: à chacun sa place, la tienne est-ici, dans Rome, Rome que les braves te confient en partant, entends-tu bien?

Alors je resterai, mais en vous donnant plus que moi-même; recevez donc mon sang, je l'offre à ma patrie. »

Disant ainsi, Ciceruacchio, après avoir embrassé le jeune minente qui se trouvait près de lui, le jette dans les bras du père Gavazzi, qui le serre avec tendresse contre son cœur et le couvre de baisers. « Le fils sera digne du père, s'écrie-t-il; vive l'Italie et Ciceruacchio! »

"Vive l'Italie et Ciceruacchio!» répète la foule attendrie.

Ce mouvement, soit qu'il fût préparé d'avance, soit qu'il fût improvisé, produisit un effet immense.... Quoi qu'il en soit, jamais scène ne fut mieux exécutée.

Après un moment de silence, le père Gavazzi, le poing sur la hanche droite et de sa main gauche rejetant en arrière ses longs cheveux noirs, continua ainsi:

• Romains!

« Voyez-vous ces tables de pierre, ces fûts de colonnes brisées, ces ruines antiques, ces chapiteaux épars? ce sont

autant de pupitres que la patrie élève devant vous pour recevoir les noms des forts et des vaillants. Ces noms, inscrits dans le cœur des Italiens, seront plus durables que s'ils étaient gravés sur des pages de marbre, de bronze ou d'airain. Maintenant, ô Romains, debout! sous le dôme du ciel qui nous prête les plus beaux rayons de son soleil, en présence de Dieu qui nous voit et lit dans nos cœurs, en présence des hommes qui nous entendent, devant cette croix symbolique emblème de la liberté, sur ce sol sanctifié par le sang des saints et des martyrs, jurons tous de ne rentrer dans Rome qu'après avoir égorgé jusqu'au dernier des barbares. »

Dans ce moment, les drapeaux et les bannières flottent sur tous les fronts, le peuple tout entier se lève, la main droite dirigée vers la croix dressée au milieu du Colysée, et, d'une seule voix, il répète la formule du serment que vient de prononcer le père Gavazzi.

Le Colysée présenta ce-jour-là un spectacle sublime. Oh! si ces hommes à la tête de feu, au cœur volcanique, eussent été profondément convaincus!. s'ils avaient subi d'autres inspirations que celles de l'ambition des uns et de la perversité des autres; si le bonheur sagement déterminé de la patrie eût éte le seul mobile des rhéteurs de la révolution; s'ils avaient enfin laissé toute liberté d'action à la pensée dirigeante qui présidait du Quirinal aux destinées de la péninsule; la journée du 23 mars à Rome eût eu des conséquences solennelles pour l'Italie! Que de sacrifices en pure perte, que de ruines inutiles, que de catastrophes sanglantes eussent été évités! Jamais éloquence politique n'eut de plus beaux mouvements! jamais assemblée populaire ne fut plus imposante! mais à cette éloquence il manquait la première des conditions, la vérité, comme à cette assemblée il manqua la première des vertus, la foi!

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Du Colysée, les chefs du mouvement entraînant sur leurs pas la foule enthousiasmée, se rendirent au Quirinal dans l'intention de demander au souverain Pontife sa bénédiction pour les drapeaux et pour eux-mêmes. Informé de leurs prétentions, le pape refusa de les admettre en sa présencc: « Ministre d'un Dieu de paix, dit-il, je ne dois pas bénir les torches qui pourraient incendier l'Europe. » Irrité par ce refus auquel la bonté du Saint Père ne l'avait point accoutumé, le peuple réclama à grands cris la bénédiction. Alors l'officier suisse de service au palais pontifical, se présenta sur le scuil de la grande porte, disant que le Saint Père, se trouvant indisposé, ne pouvait se présenter à son balcon. « Puisqu'il en est ainsi, répondit la foule, nous demandons qu'il bénisse les drapeaux qui, demain, doivent conduire les braves à la victoire. » Je vais faire connaître votre désir à Sa Sainteté, répliqua l'officier suisse, et je reviens aussitôt vous faire part de sa réponse. » Quelques instants après, le capitaine revint, disant que le Saint Père consentait à recevoir cinq personnes. Cette réponse fut accueillie par d'immenses acclamations. Cette fois encore, la persistance du peuple l'emportait sur la volonté du souverain. Non lein de l'officier parlementaire se trouvait en uniforme un nommé Dominique Sopranzi, faisant partie du 3e bataillon de la garde civique. « Vous êtes sergent?» lui dit l'officier, prévenu en sa faveur par une figure honnête et sympathique. «Je suis sergent, » répondit Sopranzi. — « Eh bien! répliqua le capitaine, choisissez vous-même quatre jeunes gens, prenez un drapeau et suivez-moi. » Sopranzi, se retournant alors vers la foule, s'adjoignit quatre individus dont l'un portait une bannière aux couleurs du pape, et il suivit l'officier qui les conduisit dans les appartements du Saint Père. Le pape était assis dans un grand fauteuil de velours cra

moisi: à la vue des cinq délégués prosternés à ses pieds, il se leva, marcha droit à eux, le sourire aux lèvres: "Eh bien! mes enfants, leur dit-il en les relevant; vous partez donc demain ? » « Oui, très-saint Père, pondit au nom de ses compagnons le sergent Sopranzi. "Savez-vous, répliqua le souverain Pontife, où vous devez aller?

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"Où nos chefs nous conduiront, très-saint Père! "C'est fort bien, mes amis! mais il serait mieux d'apprendre par moi-même votre destination. Sachez donc, ajouta-t-il après un moment de silence, que vous partez uniquement pour aller protéger les frontières des nos États. Gardez-vous de les franchir, car en le faisant, nonseulement vous transgresseriez mes ordres, mais vous assumeriez sur les troupes pontificales la responsabilité d'un rôle d'agression, rôle qui, dans aucun cas, ne saurait leur convenir. Allez donc, mes enfants, mais rien qu'aux frontières, je le répète, pas au-delà des frontières; telle est ma volonté ! »

Après cette courte allocution, le pape recommandant l'obéissance à l'autorité des chefs, l'observance stricte de la discipline militaire, la pratique enfin des vertus qui constituent le véritable soldat, leva ses mains sur la bannière pontificale que lui présenta Sopranzi, il la bénit, et admit ensuite les cinq délégués au baisement du pied. Cette cérémonie terminée, Sopranzi et ses compagnons, ravis des paroles affectueuses que leur avait adressées le Pontife, rejoignirent la foule prodigieusement accrue durant leur présentation au Saint Père. Alors Sopranzi, élevant la voix, s'écria, au milieu d'un profond silence, que le Saint Père venait de bénir la bannière, mais à la condition expresse qu'elle ne dépasserait sous aucun prétexte le territoire des États de l'Église. Au même instant, plusieurs hommes s'élancèrent vers lui, l'entourèrent et

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lui dirent: << Malheureux! que faites-vous? vous allez décourager la jeunesse romaine et l'empêcher de partir. » Je m'acquitte de la mission que le Saint Père m'a donnée, répliqua le courageux et honnête Sopranzi.

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Que comptez-vous faire du drapeau que le Pontife vient de bénir? lui demanda-t-on alors. "Le porter au ministre de la guerre, répliqua le sergent. Aussitôt l'un des chefs du parti s'empara de la bannière et l'on se mit en marche pour la place Pilota. La foule était immense; les personnes qui s'étaient réunies à Sopranzi, redoutant l'effet que son assertion pourrait produire sur l'esprit du ministre, l'isolèrent dans le flux du peuple et se présentèrent seuls devant le ministre de la guerre. C'est ainsi que, par la ruse, on étouffa momentanément la voix d'un honnête homme qui n'aurait point faibli devant la menace et la peur.

Le lendemain, les journaux révolutionnaires, dénaturant, au bénéfice de leur parti, le récit des faits qui s'étaient passés au Quirinal, tronquèrent jusques au nom du principal personnage, Dominique Sopranzi, transformé en Dominique Torquatus.

De toutes ces choses, il ésulte la preuve évidente incontestable, que la conduite de Pie IX, dans la question de la guerre de l'indépendance, que son attitude, si diversement interprétée par l'ignorance d'une part, et par la mauvaise foi de l'autre, ne se sont pas démenties un seul instant. Souverain pacifique et spirituel de tous les peuples, il n'a jamais consenti à ce qu'on dépassât les limites d'une juste défense, il a toujours repoussé de son cœur la pensée d'une inique agression. En un mot, il n'a jamais voulu faire de la croix un glaive de bataille. Inflexible devant les injonctions comme devant les prières, il a prouvé que le seul peut-être en Italie il avait la consciencieuse intelligence de la situation.

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