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dide, à la suite duquel, échauffés par les vapeurs du champagne, quelques officiers conçurent, l'idée de s'emparer du Gesu, facile conquête qui, malgré les réclamations impuissantes du gouvernement, devint le quartier de leur milices.

Quelques jours après, à l'heure où la population romaine se répand dans le Corso pour respirer la fraîcheur du soir, un postillon, haletant, poudreux, arrivé à franc étrier du ponte Molle, parcourut la grande artère de Rome, clamant victoire et annonçant que l'épée du roi Charles-Albert avait taillé en pièces l'armée autrichienne. Aussitôt la ville, aux cris des enthousiastes qui la parcourent, s'illumine comme par enchantement, elle se pare comme aux jours de ses plus grandes solennités, elle revêt ses draperies et ses tentures de fête. Prêtres et soldats, hommes et femmes, enfants et vieillards, princes et manœuvres, riches et pauvres s'abordent dans les rues, se félicitent et s'embrassent. Victoire de leurs serres brisées les aigles impériales de l'Autriche ont laissé tomber l'indépendance de l'Italie! victoire! les aigles romaines retrouvant leur vol pourront désormais mesurer l'espace et le soleil! victoire! l'aurore des jours antiques s'est levée dans le sang des barbares! victoire! ces cris éclatent de la place du peuple au Capitole, ils réveillent les échos des sept collines, puis tout à coup, à l'heure où les bruits se taisent, où le silence se recueille, où la fatigue du jour s'endort dans le repos de la nuit, les cloches ébranlées répandent à larges volées sur la ville assoupie un vaste cri d'airain; de nombreuses décharges de mousquetterie se succèdent sans interruption: alors l'effroi remplace la réjouissance. Réveillés par ces bruits sinistres les Romains se demandent si les cloches qui sonnent sont un signal d'alarme, un tocsin de détresse, si les coups de feu qui retentissent sont les indices d'une

lutte sanglante: la terreur est à son comble, l'épouvante est générale; la peur produit instantanément chez quelques-uns les plus terribles effets; un grand nombre de personnes qui se portaient bien sont frappées de maladies, plusieurs malades expirent, des gens parfaitement sensés perdent subitement la raison. Dans tous les temps les joies de la démagogie ont été fatales. Jamais célébration de fête n'eut de plus tristes résultats.

Le lendemain matin quelques maisons du Corso avaient conservé leur physionomie de réjouissance, le son des cloches vibrait encore, lorsqu'on apprit que le courrier, parti de la Porte Angélica et rentré par celle du Peuple, avait reçu des mains de Mamiani trois piastres pour apporter une fausse nouvelle. En effet, la victoire si pompeusement célébrée n'était en réalité qu'une épouvantable défaite. Jamais un peuple sérieux ne fut plus singulièrement abusé que ne l'avait été le peuple romain, jamais une déception semblable ne fut infligée à une population entière. L'armée de l'Autriche, bien loin d'être anéantie, venait de remporter une éclatante victoire.

D'un seul coup la sanglante bataille de Custoza avait privé Charles-Albert des avantages militaires qu'il avait mis trois mois à gagner. Toute la ligne d'opération de l'armée piémontaise était coupée; le Mincio traversé en plusieurs endroits, Peschiera reprise, le matériel préparé à grands frais pour entreprendre le siége de Mantoue perdu, et le vieux maréchal Radetzki, malgré les fatigues d'une bataille de quatre jours livrée sous un soleil dévorant, se trouvait en état de poursuivre sans résistance le cours de ses succès. Trois jours s'étaient à peine écoulés qu'il chassait l'armée royale de Bozzolo, de Crémone et faisait passer l'Oglio à son aile droite; il ne laissait plus à Charles-Albert d'autre parti à prendre que celui de se retirer sur l'Adda où les fortes positions de Crê

me, Lodi et Pizzighettone pourraient lui permettre de rallier son armée dispersée, rompue et devenue méconnaissable.

Pendant ce temps la plus grande confusion régnait dans Milan. Les mesures de vigueur décrétées par le comité de défense publique n'avaient suscité qu'un mouvement désordonné et dominé par la terreur. Les gardes nationaux et les conscrits lombards découragés manquaient d'élan et d'enthousiasme. Les paysans, bien loin de se lever en masse, appelaient de tous leurs vœux les Autrichiens qui possédaient leurs sympathies. Le patriotisme se perdait en clameurs, en dénonciations et en prises d'armes tumultueuses; au lieu de marcher résolument au combat, les républicains préparaient les balles régicides qui devaient menacer quelques jours plus tard la poitrine de Charles-Albert, dont le brillant courage, rehaussé par l'intrépidité de ses deux fils, s'était si généreusement consacré à la cause de l'Italie, cause perdue par la lâcheté des uns, la faiblesse des autres et surtout par la conduite oblique du parti républicain. C'était ce parti qui trois mois auparavant dans le conseil du roi avait repoussé les conditions du cabinet de Vienne sous le prétexte que l'Italie se trouvait trop à l'étroit dans la carte géographique de l'Europe.

En effet, le 24 mai précédent le baron Hummelauer, autorisé en cela par le baron Pillersdorf, ministre de l'intérieur, et en même temps président du ministère impérial, avait soumis au cabinet de Saint-James le memorandum suivant comme base de la médiation proposée; "La Lombardie cessera d'appartenir à l'Autriche. Elle sera libre de rester indépendante ou de s'unir à tel autre État de l'Italie qu'elle croirait devoir choisir. Elle se, chargera d'une part proportionnelle de la dette autrichienne. L'État vénitien restera sous la souveraineté de

l'empereur; il aurait une administration séparée, tout à fait nationale, réglée par les représentants du pays, sans l'intervention du gouvernement impérial, et représenté auprès du gouvernement central de la monarchie par un ministre qui dirigerait ses relations avec ce gouver

nement.

L'administration vénitienne aurait pour président un archiduc, vice-roi, qui résiderait à Venise en qualité de lieutenant de l'empereur. L'État vénitien paierait ses propres dépenses et contribuerait à celles de l'empereur pour 200,000 livres par an. It prendra pour son compte une partie de la dette nationale. L'armée vénitienne sera entièrement nationale, mais soumise au ministre de la guerre.

Ces conditions étaient d'autant plus acceptables que le gouvernement britannique, faisant taire ses sympathies pour les nobles efforts des Vénitiens, avait répondu aux appels réitérés du gouvernement provisoire de Venise qu'il ne pouvait rien faire pour le rétablissement de la république de Saint-Marc, attendu que les grands principes de la politique devaient être suivis aux prix des sentiments les plus pénibles et des plus vifs regrets. Dans cette circonstance lord Palmerston avait déclaré de la manière la plus explicite, que Venise ne devait et ne pouvait pas compter sur les forces de la Grande Bretagne.

Au point de vue de la nationalité italienne le rejet de ces négociations qui prouvaient la condescendance et la bonne foi du cabinet autrichien, est une faute énorme dont le parti républicain de la jeune Italie sera seul responsable aux yeux de la postérité. Les prétentions de ce parti, déclarant que l'Europe était trop grande et l'Italie trop petite, sera pour l'avenir un sujet perpétuel d'étonnement. Et il faut bien le dire, jamais parti ne s'est mon

tré plus incapable, plus ignorant, plus au-dessous des circonstances. Composé d'éléments multiples, hétérogènes, recrutés par l'ambition dans la phalange des avocats, des médecins, des poëtes et des rhéteurs, ce parti en haine de la religion et de la monarchie, a perdu l'Italie,

Dans ce même temps un aventurier, Garibaldi, et un homme, dont le nom devrait être exécré par tous les Italiens, Mazzini, firent un chaleureux appel à la jeunesse italienne. « Venez, venez, s'écriait celui-ci, accourez-tous des provinces, du Comasco, de Brescia, de Bergame, en un mot, de toute la Lombardie, Génois, hommes de Piémont, de Parme, de Modène, de Toscane, allons, marchons au champ de l'Italie, au boulevard des Alpes; nous saurons le défendre et, s'il le faut, le franchir. »

Ainsi disait cet homme qui osait avouer hautement, que le renversement de la papauté et la destruction des monarchies italiennes était le but suprême de ses efforts, le terme de ses espérances. Il agissait ainsi, alors que son parti mettait tout en œuvre à Rome pour compromettre Pie IX dans une lutte si suspecte, dans son but et dont les résultats sinistres étaient connus de quiconque ne se laissait point aveugler par la folie de l'orgueil, et par les extravagances de l'ambition.

Les armées de l'Italie, si braves qu'elles fussent, devaient être inévitablement vaincues, non point seulement, parce que la force motrice de l'unité manquait à l'ensemble de leur pensée et de leur action, mais surtout, parce que les chefs qui s'étaient mis à leur tête, s'étaient fait, de l'autel et du trône pour arriver à l'indépendance de la patrie un piédestal qu'ils auraient brisé le lendemain de la victoire. La preuve, que ces hommes voulaient autre chose que l'indépendance du territoire italique, se trouve clairement énoncée dans leur refus des conditions honorables que leur avait offertes le cabinet de Vienne.

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