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Cependant le ministre de la guerre ne négligeait rien pour les réveiller dans leur inconcevable léthargie. «Loin de moi, leur disait-il par une proclamation à la date du 6 août, loin de moi la pensée qu'un esprit dégénéré se soit emparé de vous; s'il en était ainsi, vos devriez être émus à la pensée de nos cités brûlées et détruites, de vos épouses et de vos filles déshonorées, des vieillards et des enfants massacrés. Aux armes donc! aux armes! au nom de ce Dieu qui ne peut abandonner à la rage d'un cruel ennemi, un peuple qui défend ses foyers et ses droits. »

De son côté un journal, l'Época, embouchant la trompette guerrière, rangeait fièrement en lignes sur une de ses feuilles les combattants qu'une partie de l'Italie pouvait mettre à la disposition de la cause de l'indépendance:

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Après avoir passé en revue ces formidables auxiliaires le journal s'écriait triomphalement: « Jamais l'empereur Napoléon n'a mis sur pied une armée si formidable pour conquérir l'Europe. »

Tandis que les partis extrêmes et les journaux à leurs gages envenimaient ainsi la question, le souverain Pontife, agissant en sens contraire, protestait énergiquement contre l'occupation de ses États et envoyait au général Welden une commission chargée de ses pleins pouvoirs. Le sénateur prince Corsini, le cardinal Marini et le comte Guarini, ministre des travaux publics, s'acquittèrent avec succès de la mission que le Saint Père leur avait confiée.

Les événements de la Lombardie et de la Romagne, une ordonnance ministérielle dissolvant les corps francs formés sous le prétexte de la guerre, un décret remettant en vigueur les règlements contre les excès de la presse périodique et le besoin plus que jamais senti de se rattacher au pape, rendirent pour quelques jours à Rome l'apparence de la tranquillité. Si l'ordre n'y régnait pas d'une manière absolue, l'anarchie hurlante, déguenillée, offensant à la fois les oreilles et les yeux, s'était du moins retirée des rues, l'action gouvernementale semblait donner signe de vie.

La résistance du Saint Père, luttant contre les exigences belliqueuses d'une portion de ses sujets, le replaçait momentanément à la tête du mouvement italien, et prétait une nouvelle chance de succès à la médiation com-binée de la France et de l'Angleterre..

Présage trompeur! le calme ne régnait qu'à la surface, les éléments du désordre fermentaient dans les bas-fonds de la démagogie.

Ce fut dans ces conditions que le 26 août, la chambre des députés, prorogée au 13 novembre, rendit publiques les propositions suivantes adoptées le 22 en comité secret:

1° Que le souverain Pontife convoque un congrès où les intérêts de l'Italie soient débattus, convenablement représentés dans toute l'étendue de la puissance spirituelle et temporelle de la papauté;

2° Qu'au nom de Pie IX soit exigée l'évacuation entière des États de l'Église, y compris la forteresse de Ferrare, réservée par un récent traité. Que dans les conventions relatives au royaume lombard et vénitien, la liberté des peuples et l'indépendance de la nation italienne soient garanties, l'Italie étant rendue à ses limites naturelles;

3° Que le souverain Pontife intervienne pour rétablir, au moyen de son autorité, entre les Siciliens et les Napolitains la paix ou tout au moins une suspension d'armes qui put servir au triomphe de la cause italienne;

4° Que dans les négociations diplomatiques déjà ouvertes, les représentants des États italiens s'accordent de concert avec les intérêts de l'Italie, de manière à produire un premier effet de la ligue et de la diète nationale;

5° Que le gouvernement pontifical s'occupe le plus promptement possible de la conclusion de cette ligue et de la formation de cette diète;

6° Que l'armée soit organisée et disciplinée, suivant le mode et le chiffre prescrits par la Chambre, et ce jusqu'à ce que la question italienne soit résolue;

7° Que le gouvernement s'attache à rétablir par tous les moyens en son pouvoir la confiance réciproque entre le clergé et le peuple;

8° Que le gouvernement et les Chambres s'appliquent pour opérer une réforme financière dans l'état avant l'année 1849;

9o Que l'on fasse justice aux classes inférieures et aux propriétaires, en déchargeant les premières des poids qui pèsent directement sur elles, et que pour les seconds, les taxes soient rendues plus équitables en les appliquant à toute espèce de revenus.

Cés propositions furent le dernier acte d'une session si mal employée dans l'intérêt des États romains et celui de l'Italie tout entière. Les députés, animés d'abord de bonnes intentions, attiédis plus tard par les injustes appréciations de la conduite du souverain, avaient fini par s'abandonner au courant de l'opinion publique, égarée elle-même par des déclamations emphatiques d'une audacieuse minorité, et plus encore par le prestige qui s'attache aux mots d'indépendance et de nationalité.

Ainsi que nous l'avons dit, les Chambres, prorogées le 26 août, devaient se rouvrir le 15 novembre; le souverain Pontife songea à profiter de leur vacance pour s'entourer d'un ministère puissant et fort qui remplaçât, par l'intelligence et l'énergie, la faiblesse et le peu d'expérience que le cabinet actuel, animé cependant de bonnes intentions, apportait au soin des affaires. Pour cela, il ne lui fallait qu'un homme dont l'esprit de sagesse fût au niveau de sa pensée et le dévouement à la hauteur des circonstances: il jeta les yeux sur le comte Rossi, et lui fit proposer la première place dans les conseils du SaintSiége.

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Rossi, quoique touché de la confiance que le pontife lui accordait, hésita; d'un seul coup d'œil il avait mesuré l'énorme difficulté des problèmes qu'il aurait à résoudre comme chef du cabinet pontifical. D'un autre côté, sa qualité de Français devenait un obstacle d'autant plus grand qu'il n'avait jamais voulu faire acte de reconnaissance envers la République de février et que l'autorisation de ce gouvernement devenait indispensable à l'acceptation du poste important qu'on lui proposait. Cependant comme Pie IX insistait, le père Vaures ménagea une entrevue entre Rossi et le duc d'Harcourt, son successeur à l'ambassade de Rome. Après de longs pourparlers, il fut convenu qu'on écrirait à Paris pour obte nir la sanction du nouveau gouvernement, qui la refusa; cependant comme il y avait urgence, le duc d'Harcourt, se fondant sur ce que le pape, comme chef suprême de deux cents millions de sujets catholiques, pouvait avoir le droit de choisir ses ministres dans les États qui relevaient de son autorité spirituelle, conseilla de passer outre, et il écrivit lui-même dans ce sens une seconde fois à son gouvernement. Rassuré sur ce point, le comte Rossi accepta, dans un nouvel entretien qu'il eut avec le

BALLEYDIER.

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Saint Père, la direction des affaires et les lettres de naturalisation dont il avait besoin dans sa nouvelle position, autant pour sa garantie personnelle que pour la sûreté de sa famille.

Les conditions qu'il proposa dans son premier programme au pape ne furent pas acceptées; alors s'estimant heureux de pouvoir décliner l'immense responsabilité qu'il n'avait point ambitionnée, il se retira à l'hôtel d'Angleterre,

Dans cet intervalle, les événements ayant subi de notables modifications, le père Vaures fut de nouveau chargé d'inviter le comte Rossi à se rendre au Quirinal. L'ex-ambassadeur, supposant avec raison qu'il s'agissait de renouer les négociations, refusa d'abord, mais sur les instances pressantes du moine français, il lui dit: « Vous m'avez toujours donné d'excellents conseils: dites-moi ce que je dois faire? Vous rendre à l'appel du pape et accepter le poste qu'il vous offre, répondit le père Vaures.

"La situation est si difficile !

"Raison de plus, d'ailleurs l'esprit de Dieu vous dirigera.

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Que sa volonté soit faite!» répliqua Rossi; et pressant la main du père Vaures, il ajouta ces paroles de l'Évangile: In verbo tuo, laxabo rete; puis se rendant aussitôt chez le pape, il accepta définitivement la direction du cabinet constitué de la manière suivante:

Le cardinal Soglia, président et secrétaire d'État; bl
Ciccognani, grâce et justice;
Montanari, commerce;

Le prince de Rignano, travaux publics, et la guerre, par intérim; 1.9% 9

Guarini, ministre sans portefeuille;

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Rossi se réservait l'intérieur, la police, et, par intérim, les finances.

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