Images de page
PDF
ePub

Dès lors, l'ex-ambassadeur de France, devenu ministre, se mit à l'œuvre avec courage, et fort de sa conscience, secondée par sa prodigieuse habileté, il espéra, sans trop de présomption, arriver à l'accomplissement de l'œuvre la plus difficile qui se fût jamais trouvée dans un pays complètement désorganisé. D'un dévouement sans bornes à la personne du pontife, d'un zèle infatigable, d'une activité à toute épreuve, il se rendait chaque jour au Quirinal pour imprimer lui-même aux divers rouages de la machine gouvernementale l'impulsion rapide de sa puissante volonté. Insensible aux eris de colère, aux injures, aux menaces même de la presse démagogique et des hommes du mouvement, il marchait fièrement devant lui d'un pas ferme sur le terrain qui s'était écroulé sous ceux qui l'avaient précédé. Quelques jours à peine s'étaient écoulés depuis son entrée au ministère, que l'influence de son habileté pratique se faisait déjà sentir dans toutes les branches de l'administration. Les premiers à répondre à son appel et jaloux de concourir au bien de l'État, les divers Ordres du clergé et les corporations religieuses, venant à son aide, offrirent au Saint Père une somme de vingt-un millions six cent mille franes.

[ocr errors]

Dans le même temps, le ministre infatigable, voyant tout et faisant tout par lui-même, projetait la réorganisation civile de l'État romain et négociait à Naples, Florence et Turin les bases d'une confédération des États italiens, répondant ainsi victorieusement, sur ce dernier. point, aux griefs des clubs qui cherchaient à le représenter comme hostile à la ligue et par suite à l'indépen dance italienne. D'un autre côté, maitre sur ce terrain, il revendiquait, en faveur du pape, l'initiative de la pensée première de la ligue, prouvant que le souverain Pontife n'avait rien négligé pour concilier les conditions de

justice, de sagesse et de dignité qui seules pouvaient en assurer le succès. C'est ainsi que, le 4 novembre, il réfuta, par une note rédigée avec un talent remarquable et insérée dans la Gazette de Rome, les prétentions du ministère piémontais, qui, dans la séance du 24 octobre, en plein sénat, en avait réclamé tout l'honneur. Il établit, de la manière la plus péremptoire, que non-seulement le pape était le promoteur de la ligue, mais qu'il avait vu ses efforts échouer contre les exigences insensées du cabinet de Turin. Ce cabinet, en effet, voulait qu'on déclarât la ligue en principe, et, passant le royaume de Naples, sous silence, il demandait qu'on lui envoyât immédiatement des troupes et de l'argent. Après avoir clairement démontré combien il était absurde de vouloir se passer du concours de l'État le plus puissant de la péninsule, après avoir fait comprendre que l'autonomie italienne et l'agrandissement du Piémont n'étaient pas des termes identiques et inséparables, l'auteur de cette note, chef d'œuvre d'habileté politique, ajoutait:

Le projet du souverain Pontife est clair et des plus simples, il peut se résumer en peu de paroles ! Il y aura une ligue parmi les monarchies constitutionnelles et indépendantes les unes des autres. Les plénipotentiaires de chaque État indépendant se rassembleront en réunion préliminaire, à Rome, pour délibérer les intérêts communs et établir les conditions organiques de la ligue. Toute chose faite a son commencement: par cette voie droite et claire, on arrive au but; on s'en éloigne en en adoptant une autre, et dans ce dernier cas, l'Italie, tant de fois victime de tant d'erreurs, aurait à gémir sur une erreur de plus.

[ocr errors]

Concluons: Pie IX n'abandonne pas son noble et généreux dessein qui est et fut toujours de pourvoir par la ligue politique italienne à la sûreté, à la dignité, à la

1

prospérité de l'Italie et des monarchies constitutionnelles de la Péninsule. Pie IX n'est pas dirigé par des vues d'intérêt privé ni d'ambition, il ne recherche, il ne désire, il ne demande que le bonheur de l'Italie et le developpement régulier des institutions qu'il a données à son peuple. Mais en même temps il ne saurait oublier ce qu'il doit à la dignité du Saint-Siége et à la gloire de Rome. Toute autre proposition incompatible avec ce de voir sacré ne pourrait être adressée qu'en vain au sou verain de Rome et au chef de l'Église. Le suprême pon tificat est la seule grandeur qui soit debout et qui restant à l'Italie, lui attire le respect et les hommages de l'Eu rope et du monde catholique; jamais Pie IX, comme pontife souverain et comme Italien, ne saurait l'oublier.

Certes, ce langage était noble, digne et logique, cependant il ne satisfit point les chefs du parti extrême qui, réunis à Florence et Turin, préparaient, inter scyphos, les jours mauvais qui devaient conduire à la république, Le nom seul des hommes violents que les cercles de Rome avaient envoyés au congrès confédératif pour les réprésenter, indiquait clairement le but où convergeaient les espérances et les efforts des conspirateurs. Ce fut dans une de ces réunions que le renversement du ministère Rossi fut décidé, dût-on recourir aux moyens les plus extrêmes. Cette décision, qui renfermait un arrêt de mort, fut provoquée et chaleureusement applaudie par les deux principaux délégués de Rome; l'un d'eux même, élevant son verre, porta ce toste: Je bois au nouveau ministère !« Lequel? » lui demanda-t-on. « Celui qui, dans quelques jours, remplacera l'ami de l'infâme Guizot. » Dans ce verre il y avait du sang, et dans ce toste un cri d'agonie.

[ocr errors]

En attendant, l'espèce de tranquillité dont on jouissait à Rome depuis l'avénement au pouvoir du comte Rossi,

fut tout à coup troublée par un incident qui n'avait rien de politique en apparence.

Le bruit s'étant subitement répandu qu'un garde civique avait été insulté et maltraité par un israélite, des groupes se formèrent aux environ du Ghetto. D'abord ils se contentèrent d'injurier les juifs qui regagnaient leur demeure; mais à l'approche de la nuit, leur attitude devint tellement menaçante, qu'on dut recourir à l'intervention de la force armée. L'émeute implacable, acharnée, donnait la mesure des progrès que la multitude de Rome s'apprêtait à faire dans la science de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.

Le ministre Rossi prouva en cette circonstance qu'il comprenait et interprétait la liberté autrement que les hommes qui, l'invoquant sans cesse du bout des lèvres, la répudiaient au fond de leur cœur. C'était le premier aete contre lequel il avait à sévir comme ministre ; il prouva en cette occasion qu'il était déterminé à persévérer dans une voie énergique tracée par la logique des sinistres événements qui, des principales villes de l'Europe, faisaient, à cette époque, les capitales des théories révolutionnaires arrivées à l'état d'application. En effet, l'Europe semblait à cette heure bouleversée de fond en comble: se décalquant sur Paris révolutionné, les nations creusaient à leur tour et déchiraient avec le fer de l'insurrection les entrailles des vieilles sociétés pour chercher dans le vide des idées nouvelles les mystères dangereux de l'inconnu. Et, chose étrange! dans les diverses capitales, les révolutionnaires procédaient de la même manière pour aboutir aux mêmes conséquences.

Le comte Rossi n'ignorait point leurs projets; il savait qu'entre eux et lui il y aurait lutte, cette lutte dont, presque toujours en Italie, le dernier mot est l'assassinat. Il ne s'en effraya point, car du moment où il s'était

rendu à l'appel de Pie IX, il avait fait le sacrifice de sa vie.

Le jour de l'ouverture de la Chambre était proche ; dans la prévision des événements qui pourraient surgir à l'occasion de cette cérémonie, le ministre appela des villes voisines de la capitale et réunit dans Rome un nombre imposant de carabiniers, la seule force défensive sur laquelle il croyait pouvoir compter; il les passa même en revue pour leur rappeler leur devoir et stimuler leur dévouement à la cause de l'ordre, menacé sourdement par les ennemis de la société.

Ceux-ci lui firent un crime de cette mesuré, les carabiniers eux-mêmes en témoignèrent du mécontentement. N'importe, le courage civil et l'énergie du comte Rossi s'élevant à la hauteur des circonstances, il déclara qu'il ne reculerait devant aucun moyen pour défendre les droits du Saint-Siége et qu'il saurait au besoin monter à cheval pour combattre les factieux. « Pour arriver jusqu'au pape, dit-il, il me faudra passer sur le corps. " En attendant, il donna l'ordre d'arrêter et d'incarcérer à Corneto, prison destinée aux ecclésiastiques, le fameux moine Gavazzi qui parcourait les légations soufflant la discorde et attisant de sa parole ardente les passions révolutionnaires. La rage des conspirateurs alors ne connut plus de bornes. Les journaux radicaux, leurs complices, obéissant au mot d'ordre parti naguère de Turin, exhalent leur haine contre le ministre; il n'est sorte d'injures qu'ils ne lui adressent; ils ne reculent devant aucune violence pour exciter les passions contre lui. Sterbini, se faisant de sa plume une arme provocatrice, publie une série d'articles qui devaient, en excitant le crime, le pousser à de sanglantes catastrophes. Il y a, dit-il, une école qui apprend à faire naître les occasions de bom. barder, d'incendier, de détruire les grandes capitales.

« PrécédentContinuer »