Images de page
PDF
ePub

l'État doivent passer avant les intérêts particuliers, dites à cette personne de repasser demain. « Le domestiqué sortit et revenant aussitôt, il dit au comte que la personne, en se retirant, s'était écriée: «Il est déjà peut-être trop tard, demain il ne sera plus temps. »

« Vous le voyez, mon ami, reprit la comtesse, un grand malheur plane sur nous, vous avez tort de ne prendre aucune précaution.

Vous êtes une enfant, répliqua Rossi, et se levant de table il s'habilla pour se rendre au Quirinal. Il était près de midi, le pape l'attendait.

"Je suis heureux de vous voir, s'écria Pie IX en lui donnant sa main à baiser.

« Je viens prendre les ordres de Votre Sainteté, répondit Rossi.

« Je n'en ai qu'un à vous donner, ajouta le souverain Pontife.

[ocr errors]
[ocr errors][merged small]

Celui de prendre toutes les précautions possibles pour éviter à nos ennemis un grand crime et m'épargner à moi une immense douleur, Votre vie est menacée.

«Ils sont trop lâches, s'écria Rossi, ils n'oseront pas.

— « Dieu le veuille, en attendant recevez la bénediction que je vous donne de toute mon ame. »

Un instant après, prenant congé du pape, le ministre sortit rapidement des appartements pontificaux; à voir son empressement on eût dit qu'il avait hâte de se trouver en face du péril.

Un ecclésiastique respectable, le curé de Faënză, qui récemment avait été obligé d'abandonner sa paroisse, l'attendait au bas des escaliers du palais. Dès qu'il eut aperçu le ministre il lui barra le passage demandant à lui parler.

Rossi.

« Je n'ai pas le temps de vous entendre, repondit

Il faut que vous m'écoutiez cependant.

"Que me voulez-vous?

"Vous sauver.

« Qui êtes-vous?

"Monsignor Morini.

[ocr errors]

"Eh bien, voyons, parlez et surtout soyez court. Ce matin, il y a une heure, je confessais au Gésu; une femme, le front pâle et la voix brève, s'approchant de mon confessional me supplia de me rendre dans une chapelle voisine où m'attendait, dit-elle, un personnage, qui voulait me faire une communication d'une importance extrême.... J'étais incertain... mais cette femme persistant ajouta que je pouvais empêcher un grand crime et sauver la vie d'un homme... Je n'hésitai plus: je me rendis aussitôt à l'endroit indiqué et j'y trouvai enveloppé dans un manteau un inconnu qui me prenant par la main me dit: Au nom de Dieu, courez au Quirinal, vous y trouverez le comte Rossi, arrêtez-le s'il en est temps encore, empêchez-lé par tous les moyens qui seront en votre pouvoir de se rendre au palais de la Chancellerie, s'il y va il est mort, les conjurés sont à leur poste, et le poignard attend...

« Je vous remercie, monseigneur, » lui dit Rossi; puis levant les yeux au ciel, il ajouta avec un calme sublime: La causa del papa è la causa di Dio! andiamo: la cause du pape est la cause de Dieu ! partons.:

Le sous-secrétaire d'État Righetti, exact au rendezvous donné, arrivait au même instant; la voiture du ministre étant prêté: Montez, lui dit Rossi, montez, si Vous ne craignez rien. » M. Righetti, montant aussitôt et prenant place à ses côtés, demanda si réellement on avait à redouter quelque danger. — « Les républicains

"

que je méprise souverainement, répondit Rossi, ont résolu de se défaire de moi je pourrais pénétrer dans la Chambre par des voies secrètes, je ne le veux pas; je veux, au contraire, prouver à tout le monde que je ne crains pas ces factieux. Puis, avec l'accent d'une conviction profonde, avec le sourire d'une résolution immuable, il ajouta: « J'espère que nous allons enterrer aujourd'hui la révolution, voici son extrait mortuaire, » et de sa main droite il toucha le discours d'ouverture qu'il portait sur sa poitrine.

La voiture du ministre roulait depuis quelques minutes, lorsque tout à coup le cocher, Joseph Decque, entendit un coup de sifflet et aperçut à l'extrémité d'une petite rue un homme qui courait précipitamment dans la direction du palais de la Chancellerie: un instant il voulut arrêter ses chevaux, mais Rossi lui fit signe de poursuivre. Le cocher fouetta et bientôt après la voiture, lancée au galop, arriva dans la cour du palais. Une compagnie de gardes civiques occupait la place, mais contrairement aux ordres donnés, aucun carabinier ne s'y trouvait pour garder la porte et former la haie sur le passage du ministre; un groupe de soixante hommes, couverts de manteaux sombres, se pressait à l'entrée de la cour. Silencieux d'abord et recommandant eux-mêmes le silence qui devait inspirer une fatale sécurité, ces hommes accueillirent froidement le ministre; mais dès que sa voiture eut pénétré sous le portique, et que, par un mouvement habile, une partie d'entre eux eut rendu la retraite impossible, ils commencèrent à siffler et à huer le ministre qui, sans trahir lá moindre émotion, attendait que M. Righetti fût descendu de voiture pour le suivre lui-même. Le valet de pied, un nommé Jean, venait de relever le marche-pied du carrosse et le comte Rossi avait à peine fait sept à huit pas à travers la foule com

pacte dont il était entouré, qu'un homme d'un certain âge, portant une barbe blanche, le frappa de sa canne sur l'épaule gauche. C'était le signal: Rossi détourna fièrement la tête pour répondre à son agresseur, et au même instant l'assassin, qui attendait cel moment pour agir, lui enfonça son poignard dans le cou: l'artère carotide était tranchée; le ministre tombe sans proférer un cri, mais au même instant il se relève, porte son mouchoir à sa blessure, et soutenu par M. Righetti, ainsi que par son domestique, il gravit machinalement les premières marches de l'escalier qui disparaît sous des flots de sang; il retombe enfin pour ne plus se relever.

Alors tandis qu'on le transporte dans l'antichambre de l'appartement du cardinal Gazzolli, voisine de la salle des députés; tandis que les docteurs Fusconi, Pantaleoni et Fabri, tous trois membres de l'Assemblée, examinent la blessure et la déclarent mortelle, un vieillard, un brave homme nommé Pierre Melettri, traversant le groupe des assassins qui se dispersaient sans proférer un cri, un mot, sans faire un signe, s'élance sur la route qui conduit au couvent des Saints Apôtres, il court prévenir le père Vaures de l'assassinat et le prier de se rendre auprès de la victime pour recevoir et bénir son dernier soupir. De son côté, M. Righetti se rend en toute hâte au Quirinal pour faire un rapport au pape du cruel événement qui venait d'arriver. La douleur du pape fut grande, il perdait à la fois un sujet courageux et un ministre à la hauteur des événements. "M. le comte Rossi, dit-il, est mort martyr, Dieu recevra son ame en paix. Pendant ce temps, le père Vaures arrivait au palais de la Chancellerie et trouvait étendu sans vie, sur un sopha noir, le corps de son [malheureux ami. Rossi avait rendu le dernier soupir, et son visage, déjà crispé par les douleurs d'une agonie violente, était recouvert

[ocr errors]

d'un mouchoir blanc. Cependant le père Vaures, obéissant sans doute à une inspiration d'en haut, répandit sur le cadavre ensanglanté la bénédiction suprême qu'on donne aux mourants. Puis, songeant à la malheureuse femme que la plume d'un publiciste d'abord et le poignard d'un assassin ensuite venaient de rendre veuve, il se rendit à la demeure du ministre.

Rencontrant sur son chemin le cocher Decque, qui avait dû se retirer devant les menaces et les insultes de la foule, agglomérée après le crime dans la cour du palais de la Chancellerie, il monta dans sa voiture, et au bout de quelques minutes, il se trouva en présence de la comtesse Rossi. Elle ignorait encore le malheur qui l'avait frappée. Cependant, poursuivie par de sinistres pressentiments, elle s'écria avec terreur: « Qu'y a-t-il donc, mon père?»« Calmez-vous, madame, répondit l'abbé Vaures, cherchant à la préparer progressivement à la connaissance de la vérité qu'elle ne devait apprendre que trop tôt; calmez-vous, on dit qu'une tentative de meurtre a eu lieu sur la personne du comte ....!! « Les malheureux ils me l'auront tué!

68

Cependant rien n'est bien certain encore. Au même instant les deux fils entrèrent, pâles, effarés, hors d'eux-mêmes; où est notre père, s'écrièrent-ils, où est notre père? Vous ne nous répondez pas, ils l'ont assassiné, n'est-ce pas? Eh bien! vengeance! mort à Sterbini! Disant ainsi, les deux nobles jeunes gens s'élancent, l'épée à la main, dans la direction du palais de la Chancellerie, en répétant vengeance et mort à Sterbini, ant "

Le peuple, le vrai peuple attendri, consterné même devant une immense douleur, s'écarté sur leur passage. Un ami dévoué, un gentilhomme bolonais les accompagne pour les contenir et les défendre au besoin.

BALLETDIER. 1.

12

« PrécédentContinuer »