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La nouvelle de la mort du premier ministre du SaintSiége parvint rapidement et simultanément dans les diverses provinces de l'Italie; les révolutionnaires et les journaux démagogiques qui l'espéraient, après l'avoir provoquée, entonnèrent, en l'honneur du meurtrier, des hymnes de réjouissance; une feuille dont la citation suivante et textuelle sera l'éternel châtiment, écrivait à ce sujet : « La soirée qui a suivi le meurtre de M. Rossi a été une véritable fête italienne. Des rassemblements ǹombreux se sont formés; ils parcouraient les divers quartiers de la ville en criant: Vive la constitution italienne! vive le peuple! vive le poignard de Brutus! vive l'union! vive le ministère démocratique! vive l'Italie républicaine! »

En même temps la Gazette de Gênes, sur la foi d'une correspondance de Livourne, disait: Lorsque la nouvelle de la mort du ministre Rossi est parvenue ici, le

peuple à sonné des carillons de joie. Le drapeau tricolore a été arboré au faite du dôme. La foule, précédée par des tambours, s'est rendue à l'habitation de M. La Cécilia et de là devant l'hôtel du consul romain, pour le féliciter sur la résurrection de Rome. Les rassemblements se sont portés ensuite devant le palais du gouvernement. Là des milliers d'hommes appelaient le gouverneur. M. Charles Pigli a paru sur la terrasse et a prononcé ces mots: Le ministre Rossi n'était pas aimé de l'Italie seulement à cause de ses principes politiques. Dieu, dans ses desseins secrets, a voulu que cet homme tombât frappé par la main d'un fils de l'ancienne république romaine. Dieu garde son ame et la liberté de notre pauvre Italie! D'immenses applaudissements ont couvert la voix du gouverneur, et la foule s'est écoulée. Le drapeau romain flottait au milieu des drapeaux tricolores. Partout l'on criait: " Vive la constitution italienne! vive Rome!"

Ces lignes qui glorifient le meurtre, sont la réfutation complète des hommes qui ont osé prétendre que l'assassinat du comte Rossi était un acte isolé, le fait unique d'un homme exalté, elles prouvent la complicité qui existe entre la pensée qui a dirigé l'arme homicide et la main qui lui a servi d'instrument.

La matinée du jour qui suivit le meurtre du comte Rossi fut calme; mais ce calme insolite présageait l'approche de l'orage qui se formait dans les conseils de la démocratie républicaine. En effet, à l'heure de midi, les flots de la multitude, grossis par le concours de nombreux gardes civiques, par la défection des carabiniers et des troupes de ligne, se rassemblèrent sur la place du Peuple pour se porter au Quirinal et présenter au pape les demandes suivantes:

1° Promulgation de la nationalité italienne.

2o Convocation de la Constituante.

3o Accomplissement des mesures votées par les Chambres relativement à la guerre.

4o Acceptation du programme Mamiani du 5 juin.

5o Un ministère démocratique composé de l'avocat Galetti, de Sterbini, de Mamiani, etc., etc.

Mais avant de se porter à Monte Cavallo, les meneurs, se rendant à la Chambre des députés, demandèrent qu'une députation choisie dans son sein se joignît à eux pour donner une apparence de légalité à la démonstration. Une commission fut aussitôt nommée à cet effet. Prévenus du péril qui menaçait la personne du chef de l'Église, les ambassadeurs de France, d'Espagne, de Bavière, de Portugal et de Russie s'étaient empressés d'accourir auprès de Sa Sainteté.

Ils étaient à peine arrivés au palais pontifical qu'on annonça la députation chargée de présenter au pape la liste des ministres exigés. On l'introduisit dans les ap-partements du Quirinal auprès du cardinal Soglia, président du conseil des ministres, qui répondit avec énergie qu'il allait soumettre la liste à Sa Sainteté, mais que rien ne serait cédé à la violence.

Revenant un instant après, il déclara que le pape, après avoir examiné les demandes que la commission était chargée de lui faire, avait répondu qu'il aviserait. Peu satisfaits de cette réponse, les délégués se retirèrent et la multitude assemblée sur la place commença à faire entendre ce murmure sourd qui précède les tempêtes populaires.

Alors une seconde députation, composée d'officiers de carabiniers, fut admise devant le pape, qu'ils supplièrent de céder aux vœux du peuple dont il était impossible de modérer et d'arrêter l'éffervescence. Le pape, dont le courage et la fermeté s'inspiraient à sa confiance en Dieu, répondit avec dignité que son devoir de pontife et de

souverain lui défendait de recevoir les conditions imposées par la révolte.

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Alors, M. Martinez de la Rosa, s'approchant d'eux, s'écria avec énergie: Allez, messieurs, allez dire aux chefs de la révolte que s'ils persistent dans leur odieux projet, il leur faudra passer sur mon cadavre pour arriver jusqu'à la personne sacrée du souverain Pontife; mais alors, dites-le-leur bien, la vengeance de l'Espagne sera terrible!» Les officiers de carabiniers répondirent qu'en acceptant la mission qu'ils remplissaient, ils n'avaient eu qu'un seul but, celui d'éviter les conséquences incalculables de l'exaspération du peuple.

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A son tour, le duc d'Harcourt, s'avançant vers eux, leur dit: Si vous faisiez votre devoir, messieurs, vous empêcheriez par les armes les malheurs que vous ne préviendrez point par de stériles paroles. » Martinez de la Rosa ajouta: Sachez, messieurs, que les souverains de l'Europe ne laisseront pas impuni un sacrilége déjà consommé par les menaces impies d'une canaille sans foi ni loi. » Les autres membres du corps diplomatique applaudirent à ces paroles, répétant tous avec énergie qu'au nom de leurs gouvernements ils s'associaient à la déclaration de leur collègue. Alors les carabiniers, troublés, dirent qu'ils résisteraient si le Saint Père le leur ordonnait, mais qu'ils seraient inévitablement victimes de la fureur du peuple. A cela, Pie IX répondit qu'il ne pouvait ni ne voulait commander l'effusion du sang, mais qu'il devait dire à chacun de faire loyalement son devoir. Les délégués s'inclinèrent une dernière fois devant le souverain Pontife et ils s'éloignèrent du palais.

La situation devenait de plus en plus critique; il était évident que les anarchistes ne reculeraient devant aucune violence; au milieu de ce conflit d'éléments désordonnés, le Saint Père était aussi calme que s'il eût été ques

tion de recevoir les hommages de sujets fidèles; la tranquillité de son esprit, la sérénité de son ame, ne l'abandonnèrent pas un seul instant; debout contre la porte de son oratoire où parfois il se retirait pour aller chercher des inspirations aux pieds de son crucifix, il conférait, dans le plus grand calme, avec les ambassadeurs, tous prêts, suivant la belle expression de Martinez de la Rosa, à faire un rempart de leurs corps au vicaire de Jésus-Christ. Ils étaient presque tous là, présents au nom de l'Europe catholique insultée dans la personne du chef de l'Église le duc d'Harcourt représentant la France; Martinez de la Rosa, l'Espagne, avec son secrétaire le chevalier d'Arnao; le comte Boutenief, la Russie; le comte de Spaur, la Bavière; le baron da Venda da Cruz, le Portugal avec son secrétaire le commandant Husson; Figuereido, le Brésil; Lilidekerque, la Hollande; etc., etc..

Ces nobles personnages n'étaient pas les seuls au rendez-vous de l'honneur et du devoir; autour d'eux se groupaient avec dévouement les cardinaux Antonelli et Soglia, les camériers secrets, monseigneur Médicis, maître de la chambre, le père Vaures, un Français le comte de Malherbe, Butaoni, maître du sacré palais, le marquis Sachetti, sous-préfet du palais apostolique, le médecin du palais, six gardes nobles, le capitaine des Suisses et ses officiers. Le cardinal Antonelli, d'accord avec ces braves militaires fidèles aux antiques traditions de l'honneur, se faisait remarquer entre tous par sa vigueur et son énergie; consulté sur le parti qué l'on devait prendre, il donne l'ordre aux Suisses de défendre les portes du palais et de se rallier ensuite, s'ils étaient forcés dans ce poste, jusqu'à l'entrée de la chambre du pape, en défendant pied à pied le terrain.« Nous serons là, ajoutat-il, pour mourir avec eux. »

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