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Pendant ce temps, les soixante-dix-hommes composant la garde suisse et n'ayant pour toute munition que trois cartouches par fusil, luttaient bravement en s'opposant aux flots de l'invasion qui menaçait l'entrée principale du palais. Tout à coup un enfant du bataillon de l'Espérance, soulevé par plusieurs personnes, parvint à couper la plume rouge du chapeau de l'un des gardes, tandis que l'un de ses camarades réussit à s'emparer de la hallebarde d'un autre Suisse. Alors le sergent de service, un nommé Martin Grëtter, faisant quelques pas au-devant de la foule, se plaignit de cette injuste agression, mais au même instant il reçut lui-même sur le bras un coup de bâton qui lui déchira son uniforme. Cet acte de brutalité fut aussitôt accompagné des cris de: Mort aux Suisses! tuez-les ! tuez-les! Les gardes se trouvaient dans le cas de légitime défense, ils auraient pu répondre à la violence par la force, ils se contentèrent de fermer la porte principale du palais. Cependant les cris de la multitude avaient pris un caractère plus hostile, ce n'était plus ceux de: Vive la constituante italienne, ou un ministère provisoire, mais ceux de: Vive un gouvernement démocratique ou la République! qui se faisaient entendre de toutes parts.

Dans ce moment, un coup de fusil est tiré par mégarde dans l'intérieur du palais; aussitôt aux cris de: On égorge nos frères! aux armes! la place se vide, la foule s'élance dans toutes les directions, les jeunes gens de la Sapience, élevés aux frais du gouvernement, se rangent du côté de l'émeute qui rallie sur son passage les ambitieux et les mécontents. Le prince de Canino, portant un fusil à la main, se met à leur tête; les gardes civiques, les troupes de ligne, les carabiniers trainant un canon derrière eux, marchant en ligne, et formant une armée véritable, ils reprennent le chemin du

Quirinal pour assiéger un saint pontife entouré de quelques prêtres et défendu par soixante-dix hommes. Les troupes régulières se rangent en bataille sur la place en face du palais; le canon, appelé le Saint-Pierre, est braqué contre la porte principale; un corps considérable d'hommes armés occupent les lieux environnants, des tirailleurs s'emparent du clocher de l'église Saint-Charles, les tambours de la garde civique battent la générale et répandent la consternation dans la ville; partout la terreur précède le crime. Sur ces entrefaites, une quinzaine d'officiers appartenant à la garde civique reçoivent l'ordre de quitter l'intérieur du palais pontifical où ils s'étaient introduits, on ne sait sous quel prétexte. Ils refusent, exprimant la crainte que la garde suisse ne leur fit un mauvais parti à leur sortie du palais. « Je réponds de mes soldats, s'écrie le capitaine des gardes, le brave capitaine Léopold Meyer de Schanensée, et je m'offre de vous accompagner si vous me donnez votre parole d'honneur que vous ne m'abandonnerez pas ét qu'il ne sera rien fait à moi-même. » - "Nous vous en donnons notre parole,» répondent les officiers; et l'on se met aussitôt en marche. Cette petite troupe se trouvait à la hauteur de la fontaine de Monte-Cavallo, sur la place de ce nom, lorsque tout à coup le trop confiant officier, victime de sa bonne foi, se trouvant abandonné des officiers parjures, se vit entouré d'hommes armés qui le couchèrent en joue en lui demandant: « Pour qui es-tu, pour le peuple ou pour le pape?» « Je suis pour mon devoir, répondit l'intrépide capitaine, et il ajouta: Tirez, si vous l'osez, sur un soldat qui a combattu à Vicence pour l'indépendance de l'Italie et qui est prêt aujourd'hui à mourir pour la défense du souverain qui lui a donné sa confiance. Désarmés par ces nobles paroles, les insurgés se retirèrent, mais il en

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vint d'autres qui s'emparant du chef suisse, le placèrent devant la bouche du canon chargé et firent le simulacre de tirer. « Je reconnais cette pièce, s'écrie froidement l'intrépide Meyer, elle se nomme le San-Pietro. Si vous y mettez le feu, l'histoire dira que, le 16 novembre, les Romains ont mis à mort un brave officier qui, avec vingt-cinq grenadiers de sa compagnie, a repris, à Vicence, cette pièce tombée au pouvoir des Autrichiens, et l'histoire ajoutera que les Romains en ont fait l'instrument de son supplice.

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Les insurgés ne tirèrent pas, mais le capitaine Meyer ne recouvra sa liberté qu'à l'approche de la nuit.

Les choses en étaient là, lorsque tout à coup on apprit que la populace venait de mettre le feu à la porte du palais communiquant à la voie Pia. Quelques gardes suisses et des pompiers s'élancent dans cette direction; les premiers écartent les incendiaires à coups de fusil, les seconds éteignent les flammes qui déjà faisaient des progrès.

Sur ces entrefaites, un homme du peuple, armé d'une carabine et posté dans une maison de la rue Scanderbecqk, fait feu sur les fenêtres mêmes de l'appartement du pape; la balle brise les vitres dont les éclats retombent sur le casque du garde noble Bufalo; au même instant on apprend que sur un autre point, monseigneur Palma, secrétaire des lettres latines, vient d'être tué dans sa chambre, d'un coup de fusil parti du clocher de SaintCharles. Le sang coule des deux côtés, la nuit heureusement vient mettre un terme à ces scènes de désolation.

Dans le même temps, une espèce de gouvernement populaire s'installe au café des Beaux-Arts; Sterbini, le prince de Canino, Vinciguerra, deux rédacteurs du journal l'Época, Spini et Pinto, en font partie. Dès lors le mouvement insurrectionnel se concentre; tous les ordres par- .

tent de ce comité, et partout ils rencontrent une obéissance aveugle; les fonctionnaires du gouvernement, les employés militaires se rangent sans distinction sous le drapeau de la révolte; aucun n'a le courage de donner sa démission. Les honnêtes gens, les personnes les plus intéressées à l'ordre, les princes romains eux-mêmes se cachent et deviennent en quelque sorte, par leur lâcheté complices de l'émeute qui passe à cette heure par le Quirinal, pour arriver demain triomphante aux portes de leurs palais. Les Transtévérins et les hommes des Monti, si dévoués à la papauté, préparés dès longtemps à latter contre les anarchistes, attendent vainement les ordres des chefs qui doivent les conduire à la défense du pontife assiégé; ces chefs n'arrivent pas, quelques-uns même changeant de cocarde, se sent traîtreusement glissés sous le drapeau de l'insurrection. Seuls, quelques gardes nobles trouvent le moyen de se glisser à travers la foule et de pénétrer au palais pour remplir, à l'heure du péril, les fonctions de leur charge militaire.

Sept heures sonnèrent à l'horloge du palais pontifical; les membres du corps diplomatique condammés, en présence de l'émeute triomphante, au rôle passif de l'inaction, étaient exténués de fatigue; ils n'avaient encore rien pris de la journée; on leur offrit quelques rafraîchissements; l'un d'eux alors fit observer que la nation italienne semblait s'associer tout entière à la coupable conduite des Romains, par l'absence au Quirinal, des ambassadeurs représentant les divers États de la Péninsule. En effet aucun diplomate italien ne se trouvait auprès du Saint Père qui, le remarquant à son tour, s'écria avec l'accent de la douleur: « Vous le voyez, messieurs, tout le monde m'a abandonné. Si vous n'étiez pas autour de moi, je serais seul avec la poignée de braves qui me protégent. » Ce furent là ses seules plaintes.

A sept heures et demie une fraternisation générale des troupes, de la garde civique et de la multitude eut lieu sur la place de la Pilotta; à huit heures les révoltés résolurent d'envoyer une troisième députation au palais avec l'injonction d'une réponse avant neuf heures. L'avocat Galetti, nommé président de cette commission, fut introduit immédiatement dans le cabinet du Saint Pêre avec lequel il eut un très-long entretien. Que se passat-il alors entre le pontife miséricordieux qui avait donné l'amnistie, et le prisonnier qui, dans le pardon, avait retrouvé son rôle de conspirateur, et le parjure? Dieu seul le sait! Mais, lorsque Galetti sortit du cabinet du pape, il était pâle, ses yeux se baissèrent en passant sous le regard des ambassadeurs. Pie IX alors, toujours calme, toujours serein, s'adressant aux diplomates européens, leur dit, que, pour éviter une collision sanglante, il avait remis la décision des demandes qu'on lui imposait sous les coups de la violence à la sagesse des Chambres et qu'il avait subi mais non formé lui-même, un ministère composé de Mamiani à l'extérieur, l'abbé Rosmini à l'instruction publique, avec la présidence, Galetti à l'intérieur, Sterbini au commerce, Campello à la guerre, Lunati aux finances, et Sereni à la justice. Puis d'une voix ferme quoique émue il ajouta ces paroles: « Messieurs, je suis ici comme emprisonné. On a voulu m'enlever ma garde et me mettre entre les mains d'autres personnes. Ma conduite en ce moment où tout appui matériel me fait défaut, est basée sur ma détermination d'éviter à tout prix qu'une seule goutte de sang fraternel soit versée pour ma cause. Je cède tout à ce principe; mais je veux en même temps que vous sachiez, messieurs, et que l'Europe entière sache, que je ne prends, même de nom, aucune part au nouveau gouvernement auquel je prétends rester complètement étranger. J'ai défendu qu'on abusât de mon nom et qu'on n'eût plus même recours aux formules ordinaires. »

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