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Pendant que les représentants des puissances de l'Europe entouraient le pape de nouvelles protestations d'amour et de dévouement, Galetti, rendant compte de sa mission, annonçait à l'insurrection que Pie IX s'en était remis à la sagesse des Chambres. Au même instant des applaudissements couvrent sa voix, les cris de vive l'Italie! se font entendre. Les troupes de ligne et les gardes civiques déchargent leurs armes en signe de réjouissance, et la foule insensée qui ne voit pas que de ce jour datera pour Rome une longue série de malheurs, la foule aveugle évacue la place pour se répandre dans la ville et raconter à la lueur des torches son triomphe dans les divers quartiers de Rome.

Telle fut la fin de cette déplorable journée. L'histoire n'aura pas assez de stigmates pour flétrir la lâcheté et l'ingratitude d'un peuple passant sur le cadavre d'un ministre assassiné pour monter en armes au calvaire du Quirinal.

Ce jour-là, tous les Romains ont été coupables, les uns en assumant sur eux, comme autrefois les Juifs de Jérusalem, la responsabilité de l'action, les autres en laissant faire. Quelques prêtres, un ou deux laïques et les ambassadeurs des puissances étrangères ont seuls été nobles et dignes. L'histoire leur tiendra compte de leur courage et de leur dévouement: en attendant, courbons-nous devant les décrets mystérieux de la Providence, qui a voulu que le représentant de Dieu sur la terre, après lui avoir ressemblé dans ses triomphes, lui ressemblât dans ses souffrances, qui a permis que la couronne d'épines de la passion remplaçât la palme du dimanche des rameaux. En effet, comme Jésus, Pie IX a été cloué à la croix des épreuves, comme le Fils de Marie l'immaculée, il a eu sa grande semaine, comme l'Homme-Dieu il a bu le calice des douleurs jusqu'à la lie; mais comme le divin Crucifié sortit triomphant de son sépulcre, Pie IX devait ressusciter dans l'amour et dans le repentir de son peuple.

CHAPITRE ONZIÈME.

Joseph Galetti, ministre. Ses premiers actes. Désarmement des gardes suisses. - Aurore boréale. Programme du nouveau minis.

tère.

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Scission entre les révolutionnaires victorieux.

Pie IX. Arrivée à Gaëte. Détails.

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Lettre du pape au mar-
État des esprits

quis Sachetti. Proclamation des ministres.

Rome.

Joseph Galetti, chef nominal du ministère imposé par la force brutale de l'émeute aux répugnances légitimes du souverain, est le fils d'un barbier de Bologne, qui demeure sous l'arcade du séminaire, près l'église de SaintPierre. Celui qui devait dans l'avenir, par surprise à la vérité, présider les conseils du chef de la catholicité, a reçu le jour dans une boutique de Figaro, en l'an de grâce 1800.

Souple, fin et rusé, possédant toutes les qualités de l'emploi, le jeune Joseph entra dans la vie sous l'écume de la savonette odoriférante. Son premier métier consista à repasser les rasoirs de la boutique et à présenter l'aqua fresca aux mentons de ses clients. Désireux de posséder un savant dans sa famille, le barbier, qui du reste avait remarqué de grandes dispositions dans son fils, lui

fit faire ses études à l'université renommée de Bologne. L'écolier devint bientôt un habile jurisconsulte; mais un jour abandonnant ses livres de droit et la chicane de la basoche pour l'épée et les troubles des révolutions, il se jeta en aveugle dans les événements de 1831. Alors, aussi brave soldat qu'il était avocat distingué, il tint quelque temps la campagne. A la tête d'une colonne armée, il s'empare d'assaut de la petite ville de Cento, il se mesure à Rimini avec un corps d'Autrichiens, il reçoit une blessure à Cesena, puis, arrêté tout à coup par la mauvaise fortune, il se retire sur la terre étrangère pour revenir douze années plus tard diriger une nouvelle conspiration dont le but secret, disait-on, était la mort du vénérable pontife qui, sous le nom de Grégoire XVI, occupait alors le siége pontifical.

Quoi qu'il en soit, arrêté avant l'exécution de cet odieux projet, il est chargé de fers, conduit à Rome, jugé, condamné aux galères à perpétuité, et jeté en commutation de peine dans les prisons des États romains. C'est là qu'en 1846 le généreux décret du 16 juillet vint lui rendre la liberté. Sa reconnaissance pour le souverain Pontife fut alors telle, que Pie IX, pour réprimer l'exagération de ses transports, lui dit: Basta, mio figlio; assez, mon cher enfant. Nous avons déjà raconté la scène touchante arrivée le jour où le pape, relevant à ses pieds le futur Judas, le pressa sur sa poitrine.

D'une taille moyenne, mais bien prise, élégant, soigné dans sa mise, cachant dans ses manières de gentilhomme le fils d'un barbier obscur, Joseph Galetti, doué d'une figure agréable, distinguée, påle, encadrée dans une belle barbe noire, charmait par la douceur de sa voix et le velouté de son regard. La nature le rapprochant de celle de la femme, lui avait donné le don des larmes; habile à saisir dans ses moindres nuances le cœur humain, il

pouvait pleurer et gémir à volonté. Sa belle figure était un masque qui se prêtait à toutes les expressions; son front était un thermomètre qui marquait tous les sentiments. Possédant au suprême degré l'art de la dissimulation, Joseph Galetti à trompé jusqu'à la fin Pie IX, son bienfaiteur, qui cependant jusqu'à la fin se crut en droit d'espérer en lui.

Tandis que le souverain Pontife, retiré dans le silence de son oratoire, priait pour les malheureux qu'il avait tant aimés, et pour lesquels il avait tant fait, les autorités civiles et militaires faisaient acte de soumission au cercle populaire-national, auquel s'était réuni le club du café des Beaux-Arts, Les fonctionnaires publics, les chefs de l'armée, le colonel Stewart, commandant du fort SaintAnge, s'empressaient de rendre hommage à ce nouveau pouvoir, qui, faisant acte d'autorité, envoyait les destitutions, nommait aux emplois vacants, et faisait afficher les noms des fonctionnaires qui lui déplaisaient. Ce n'était pas assez pour lui d'avoir privé le Saint Père de sa puissance souveraine, il résolut de lui enlever les seuls hommes qui, la journée précédente, lui étaient restés fidèles. Sterbini et le prince de Canino demandèrent qu'on désarmât les Suisses et qu'on les congédiât, ajoutant qu'ils devraient s'estimer heureux si on leur faisait grâce de la vie. Le pape, que les membres du corps diplomatique s'étaient empressés de rejoindre à la première, heure du jour, dut subir cette nouvelle exigence.

Cependant il se présenta une difficulté qu'on n'avait pu prévoir, et qui fait le plus grand honneur aux Suisses. Ces braves gens refusèrent de quitter leurs postes et de rendre leurs armes. « Nous sommes ici par la volonté du pape, dirent-ils, nous y resterons. Quant à nos armes, si la canaille les veut, qu'elle essaye de venir nous les prendre: si nous ne pouvons nous en servir

pour défendre ou sauver notre souverain, nous sommes décidés à mourir plutôt que de les remettre à des mains autres que les siennes, et dans ce dernier cas, si Pie IX nous les redemande, nous ne les sommes soldats, mais nous les augustes. >>

rendrons pas, car nous déposerons à ses pieds

En effet, tenant parole, ils ne se soumirent que lorsqu'ils furent bien convaincus que telle était la volonté du papę. Dans une circonstance à peu près semblable, le 10 août 1792, les nobles enfants de la république helvétique ont défendu en France, au prix de leur sang, la monarchie expirante; l'histoire a conservé leurs noms; l'histoire aussi, pour être juste et reconnaissante, doit conserver ceux des braves Suisses qui, peut-être, auraient épargné à Pie IX les tristesses de l'exil, si, comme l'infortuné Louis XVI, Pie IX n'eût pas reculé devant la pensée de faire couler une goutte de sang pour sa cause 1. Ce fut en frémissant que la garde suisse remit les postes du Quirinal à la garde civique: de ce moment, le souverain Pontife devint réellement prisonnier dans son propre palais.

Ainsi que l'avait prévu Galetti, arrivé de Bologne le soir même de l'assassinat du comte Rossi pour recueillir sans doute son héritage politique, le savant abbé Rosmini ne voulut point faire partie du ministère du 16 novembre. Ce pieux et savant écrivain s'était aperçu de prime-abord que son nom, choisi par les démagogues n'était autre chose qu'un drapeau de ralliement offert à la partie saine de la population, il ne voulut point se prêter à cette ruse et il refusa le portefeuille qu'on lui offrait. Il fut remplacé par monsignor Muzzarelli, de même que le duc de Rignano, général de la garde civique, le fut par le colonel Joseph Gallieno. Le peuple, accueillant Voyez les documents historiquės, n. 5.

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