Images de page
PDF
ePub

tête menaçante s'enroulent autour des pieds qui le supportent. Une commode en bois, quelques chaises de paille méthodiquement rangées contre la múraille, peinte en couleur rose, et une cuvette posée, pour le service de la toilette, sur une de ces chaises, complètent son ameublement. Près du lit, à droite, on voit un petit berceau d'enfant. A gauche, sur la commode, des flacons de verre et des tasses de faïence sont artistement groupés.

De cette chambre on arrive, par quelques marches en bois, dans un petit cabinet éclairé par une lucarne. Deux autres chambres séparées, et plus simples encore, forment de l'autre côté de l'escalier le premier et unique étage de cette auberge, où reposera, toute une nuit, celui qui remplit l'univers de l'éclat de son nom et de la renommée de ses vertus !

En effet, ce fut à l'humble auberge du Jardin que le chef suprême du catholicisme descendit avec sa suite fidèle et dévouée, après avoir subi quelques difficultés à la porte de la ville et s'être vu repoussé même du palais épiscopal, où d'abord il avait espéré trouver un abri.

.

Monseigneur Parisio occupait alors le siége épiscopal de Gaëte. Il avait été décidé dans la matinée, au môle de Gaëte, que les illustres fugitifs se rendraient immédiatement chez lui, et que le souverain Pontife, s'en faisant reconnaître confidentiellement, lui demanderait, pour quelques jours, l'hospitalité qui lui était due. Malheureusement le jour même le pieux évêque avait dû quitter la ville pour se rendre auprès de son frère, ancien ministre du roi des Deux-Siciles, qui l'avait mandé près de lui à l'heure de l'agonie, pour rendre le dernier soupir entre ses mains. Un fidèle serviteur napolitain, nommé Danielo, se trouvait seul au palais lorsque le Saint Père et sa suite s'y présentant, insistèrent pour être reçus; mais Danielo, qui ne les connaissait point, leur dit qu'en l'ab

sence de son maître il ne pouvait accéder à leur désir. Vainement le cardinal Antonelli, insistant, lui dit que monseigneur Parisio serait désolé lorsqu'il apprendrait que ses amis avaient été repoussés de sa demeure; le fidèle domestique persista dans ses refus, ajoutant, avec impatience, qu'il n'avait point d'ordres à cet égard. Si vous nous connaissiez, répondit le Saint Père, vous nous recevriez avec empressement.

[ocr errors]

C'est justement parce que je ne vous connais point, répliqua Danielo, que je ne puis vous recevoir: d'ailleurs le palais d'un évêque n'est pas une auberge.

[ocr errors][merged small][merged small]

"C'est possible, mais pas de moi qui ne vous ai jamais vu: il vous faut aller chercher un gite ailleurs. » Disant ainsi, le serviteur napolitain, fermant brusquement la porte du palais, se retira en grondant contre les importuns.

Pendant que le Saint Père s'installait à l'auberge du Jardin, et qu'après s'être fait donner, non sans peine, du papier, des plumes et de l'encre, il illustrait à tout jamais la chambre qu'il occupait, en dictant au gouverneur du fils du comte de Spaur, M. Liebel, une protestation que nous verrons bientôt, le cardinal Antonelli et le premier secrétaire d'ambassade d'Espagne, le chevalier d'Arnao, se rendaient à la citadelle, pour offrir leurs hommages au gouverneur de la place, le général Gross, et lui dire que leur arrivée à Gaëte n'avait d'autre motif que celui de visiter cette ville. Le général Gross est un brave officier qui a fait toutes les guerres de l'empire sous un drapeau qui n'est pas celui de la France; à la vue du passeport que sur sa demande lui présenta le chevalier d'Arnao, il s'empressa de complimenter le prétendu comte de Spaur, lui exprimant toute la satisfaction qu'il éprou

vait de voir le ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi de Bavière; puis il lui adressa en allemand quelques paroles flatteuses auxquelles M. d'Arnao, ignorant la langue tudesque, ne répondit point. Le gouverneur, continuant à l'interroger dans le même langage et n'obtenant aucune réponse, M. d'Arnao fort embarrassé allégua un long séjour hors de son pays, déclarant avec calme qu'il avait oublié sa langue maternelle; le cardinal Antonelli, qui passait pour son secrétaire, se retrancha dans les mêmes excuses à la grande stupéfaction du gouverneur.

« Je vous avoue, messieurs, leur dit cet officier avec une franchise toute militaire, que je suis étonné de trouver un ministre bavarois et son secrétaire hors d'état de comprendre la langue de leur pays. » Cependant comme les passeports étaient en rêgle il se contenta d'abord de faire entourer d'agents secrets, la modeste auberge où les voyageurs étaient descendus: ensuite il manda le juge de paix chargé de la police et un de ses officiers les plus intelligents.

D'après ses ordres et sous le prétexte du visa des passeports, ces deux agents se rendirent à l'auberge du Jardin pour chercher à percer le mystère dont les voyageurs s'entouraient. Vaine démarche! ils revinrent au bout d'un certain temps sans pouvoir dire au gouverneur autre chose qu'une syrène se trouvait parmi les étrangers suspects et qu'elle les avait séduits par le charme de son esprit et les douceurs de sa parole. Le gouverneur, qui n'avait pas la prudénce d'Ulysse, résolut de s'en assurer par lui-même, en se dirigeant avec un officier d'ordonnance vers l'auberge du Jardin.

Vous devez être fort mal dans cette locande, dit-il aux nobles fugitifs; voudriez-vous me faire la grâce de m'accompagner au palais et d'accepter quelques rafraîchissements?"

Cette offre était trop gracieuse pour être refusée: alors se rendant au désir du général Gross, les voyageurs, à l'exception du pape qui prétexta une légère indisposition, prirent le chemin du palais du gouverneur. Celui-ci se montra fort empressé sans être plus heureux toutefois que ses deux agents. Il parvint cependant à obtenir du chevalier d'Arnao l'aveu qu'il n'était point le comte de Spaur parti la veille pour Naples. Les soupçons alors du gouverneur prirent une telle consistance qu'il fut sur le point de faire arrêter ceux qui les lui inspiraient. Il n'en fit rien, mais redoublant de surveillance il reconduisit lui-même les étrangers jusqu'à la porte de leur auberge. Sur ces entrefaites la nuit était venue; le Saint Père se retira dans la chambre principale que nous avons décrite, le cardinal Antonelli prit possession du cabinet qui lui était contigu; les deux autres pièces furent occupées, l'une par le jeune Maximilien et son gouverneur, l'autre par la comtesse de Spaur et sa femme de chambre.

Tandis que le Saint Père dormait du sommeil que procure la paix d'une conscience irréprochable, l'ambassadeur de Baviere, à qui Dieu avait réservé l'insigne honneur de sauver le pape, le comte de Spaur, arrivait à Naples. Il se rendit aussitôt rue de Tolède au palais du nonce de Sa Sainteté. Monseigneur Garibaldi revenait de chez le duc de Torella où il avait passé la soirée; il était onze heures. Se faisant annoncer malgré cette heure avancée, le comte de Spaur, forçant la porte pour ainsi dire, s'élança en costume de voyage dans la chambre du

nonce:

[ocr errors]

Monseigneur, lui dit-il, le roi est-il à Naples? "Arrivé dans la journée il repart demain matin pour Caserte.

« Il faut, monseigneur, que je le voie....

[ocr errors][merged small]

" Demain?

«Tout de suite, ce soir, à l'instant même.

« Ce soir? y pensez-vous, comte?

- « Il le faut, monseigneur, et je compte sur vous pour être présenté.

« Vous ne savez donc pas l'heure qu'il est?

Le comte tira sa montre et dit: « Il est onze heures et cinq minutes, monseigneur.

« Il sera minuit avant que nous soyions au palais. << Il serait une heure qu'il faudrait que je visse le roi. Mais encore une fois, comte, réfléchissez donc, le roi sera couché.

[blocks in formation]

Pour le coup, monseigneur Garibaldi crut que le comte avait perdu la raison.

<< Faire relever le roi, monsieur de Spaur, s'écria-t-il. -"Oui, monseigneur, si le roi était couché. Alors, comme le nonce, après s'être incliné devant le ministre, s'apprêtait à entrer dans l'intérieur de ses appartements, le comte ouvrant son portefeuille en sortit un pli cacheté aux armes pontificales et à l'adresse du roi, puis, la montrant à monseigneur Garibaldi: Reconnaissez-vous, lui demanda-t-il, cette écriture et ce sceau?

- « C'est l'écriture et le sceau de Sa Sainteté, répondit le nonce, avec un cri de surprise.

- "Oui, monseigneur, vous voyez donc bien qu'il faut que je voie le roi.

[ocr errors][merged small]

σε

Monseigneur, en ce moment les minutes sont des heures, et, au nom de Sa Sainteté, je vous rends responsable de celles que nous perdons; voulez-vous, oui ou non, me conduire chez Sa Majesté?

[ocr errors]

<< Permettez au moins, monsieur le comte, que j'aille la prévenir. »

« PrécédentContinuer »