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cri: Oui, oui, très-saint Père, nous le jurons ........... « A cette condition, reprit le pape, je prie Dieu qu'il daigne vous bénir, comme je vous bénis moi-même de toute mon ame. Rappelez-vous votre promesse, soyez fidèles à l'Église et au pontife. "

Aucune langue humaine ne saurait rendre l'effet de cette allocution prononcée par une voix dont les accents retentirent jusques au fond des cœurs; le peuple terrassé par cet écho de Dieu, sembla cimenter avec ses larmes la promesse qu'il venait de faire et qu'il aurait tenue si, entre le pape et lui, les sociétés secrètes n'avaient creusé un profond abime.

Le lendemain de ce jour-là, cédant aux exigences de la populace, le cardinal Riario Sforza, monseigneur Domenico Savelli et monseigneur Giovanni Rusconni déposèrent, aux pieds du Saint Père, leurs portefeuilles de ministres. Pie IX, ayant accepté leurs démissions, sécularisa les trois ministères vacants en appelant le comte Giovanni Pusolini au commerce et aux beaux-arts, l'avocat Francesco Sturbinetti au ministère des travaux publics, et le prince de Téano à la police. Cette combinaison ministérielle devint le sujet d'une nouvelle démonstration populaire.

Ce fut à cette époque que reparurent dans Rome les trois couleurs que les révolutionnaires avaient arborées lors de leur tentative de 1831. Mal portées le premier jour, ces couleurs, imposées par la menace et la peur, devinrent bientôt indispensables à la toilette romaine. Tous les gardes civiques en uniforme, tous les bourgeois en tenue civile, les femmes elles-mêmes dans leur habit de ville, s'attachèrent au chapeau, à la boutonnière ou à la taille des nœuds de rubans rose, vert et blanc. Ces insignes indiquaient ouvertement une résistance systématique au pouvoir. Combien de cœurs devaient battre avec dégoût sous les poitrines ainsi pavoisées!

Dans le même temps, les Constitutions décrétées successivement à Naples, Turin et Florence, eurent leur contrecoup à Rome. Vivement ému par ces événements qui devaient inévitablement déterminer de prochaines convulsions, le peuple se livra tout entier à l'une de ces démonstrations spontanées qui de chaque jour faisait un jour de trouble et de tumulte. Cette fois, ce fut la magistrature municipale qui prit l'initiative par une proclamation signée par le sénateur Corsini et huit conservateurs: les Romains, invités à illuminer leurs maisons en signe de réjouissance, pavoisèrent de tentures et d'inscriptions les rues par lesquelles une procession improvisée devait se rendre au Capitole. Le cortége se mit en marche à la lueur des torches et traversa le Corso en répétant les cris accoutumés auxquels furent ajoutés ceux de: Vivent les Palermitains! vive la Constitution! gloire à ceux qui meurent pour la patrie! Devant le palais de l'ambassadeur d'Autriche, illuminé cependant comme tous les autres palais diplomatiques, le cortége fit un silence complet et abaissa les torches en signe de deuil; mais arrivé devant l'église du Gésu qui fait suite au palais de l'ambassade, les vociférations, un instant comprimées, recommencèrent avec une exaltation nouvelle. Parvenue dans cet ordre au Capitole, la multitude se groupa sur les escaliers et sur les monuments voisins. Alors un homme à figure sombre, un réfugié toscan, aux cheveux incultes, à l'œil caverneux, au front pâle, portant une longue barbe grise et un manteau fripé, s'élança sur le cheval de bronze de la statue de Marc Aurèle, et plaça dans les mains de l'empereur un immense drapeau aux trois couleurs (rouge, blanc et vert). On eût dit le génie de la révolution. Après avoir réclamé le silence et fait taire les applaudissements qui avaient accueilli son ascension périlleuse, cet homme adressa un

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discours qu'il termina par ces mots : Vive Pie IX seul! Vive Pie IX seul! répondit la foule. — Vive la Constitution! Vive la Constitution! ce dernier cri causa de l'étonnement et de l'hésitation; quelques voix isolées lui servirent d'écho, mais la masse demeura silencieuse. Cette scène se passait à trente pas de la municipalité romaine. Quelques jours après, cette comédie burlesque eut sa contre-partie dans la grande cour du Belvédère au Vatican. Tous les bataillons de la garde civique s'y trouvèrent réunis en grande tenue et au grand complet pour être passés en revue par le souverain pontife. C'était le 20 février. Comme toujours, la vue de Pie IX fut saluée par les plus vives acclamations. Jamais les rangs de la garde nationale n'avaient été plus serrés et plus nombreux, leur ordre de bataille présentait un coup d'œil imposant. Pie IX en parut charmé; un instant même, un doux sourire, errant sur ses lèvres, dérida son visage et sembla contraster avec la tristesse de son ame. Ce beau jour, éclairé par un brillant soleil, devait avoir de tristes lendemains.

Les nouvelles qui venaient de France faisaient pressentir de graves événements; Paris, le Vésuve de l'Europe, indiquait, par des signes certains et menaçants, une prochaine et violente éruption; les laves démocratiques, bouillonnant dans les entrailles de la révolution, imprimaient à la surface de la société, les commotions sourdes qui précèdent toujours les grandes catastrophes; les sociétés secrètes, en attente des événements, se constituaient en permanence, et les conjurés couraient à leur poste, lorsque, le 5 mars, un homme påle, bouleversé, les yeux gards et enflammés, Sterbini, se précipitant dans les cafés de Rome, s'écria: Romains, réjouissez-vous, le dernier jour des tyrans est arrivé! la France est républicaine! Il n'était que trop vrai; une amorce de pistolet, un grain de

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poudre brûlés par un assassin devant le ministère de M. Guizot, à Paris, venait d'incendier l'Europe.

Cette nouvelle fut à Rome un coup de foudre pour les bons citoyens et en même temps un éclair triomphal pour les conjurés. Dès ce moment, arrachant le masque qui voilait leurs sombres figures, ils marchent à découvert. Leur premier acte est une démonstration en l'honneur de la France révolutionnée. De leur quartier-général, installé au café des Beaux-Arts, ils se dirigent lentement par le Corso, musique en tête, bannières déployées, vers la place d'Espagne. Arrivés là, ils se rangent en colonnes serrées devant le palais Mignanelli, où les Français, résidant à Rome, avaient établi leur cercle, et ils font retentir les airs du cri de: Vive la République française ! Ils ignoraient que, dans ce cri de solidarité révolutionnaire, se trouverait bientôt pour eux un arrêt de mort! Quoi qu'il en soit, attirés par ces clameurs, quelques Français paraissent aux fenêtres du cercle, on les salue avec frénésie d'abord, puis on les attire dans la rue; là ils deviennent l'objet d'une ovation incroyable; ce sont des pleurs de tendresse entremêlés de cris de rage, ce sont des accolades fraternelles accompagnées de vociférations haineuses, ridicule antithèse à laquelle ne prirent aucune part le plus grand nombre des membres du cerele.

Le lendemain de cette fraternisation improvisée, les quelques Français qui, par sympathie, intérêt ou peur, semblèrent se rallier au nouvel ordre de choses, si l'on peut appeler ordre le chaos dont Paris alors se trouvait le centre, résolurent de rendre le baiser républicain que leur avaient apporté la veille les habitués du café des Beaux-Arts: cette proposition, soumise à la délibération des Français établis à Rome, fut repoussée à l'immense majorité de cent quatre-vingt-quinze voix sur deux cents. voix. Les Français se bornèrent à l'envoi d'une lettre de

BALLEYDIER. 1.

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remerciments. Cependant, battus sur ce point, exaspérés par ce premier échec, les nouveaux républicains recrutant dans les classes les plus infimes, des auxiliaires plus ou moins dignes du nom français, décrétèrent qu'il serait beau de célébrer le triomphe de l'ère républicaine par l'abaissement du drapeau de juillet flottant encore au palais de l'ambassade française; ils s'apprêtèrent donc à le renverser de leurs propres mains. Instruit à temps de ce fatal projet, le comte Rampon, digne fils du général Rampon, l'une des plus braves épées de l'Empire, se rendit immédiatement chez le comte Rossi, ambassadeur de la France: celui-ci, très-sérieusement occupé sans doute, lui fit dire qu'il ne pouvait le recevoir. « Il faut cependant que je le voie à l'instant même,» répondit notre généreux compatriote. Rossi, persistant dans son refus, « Allez, s'écria le comte Rampon en s'adressant à l'un des gens de l'arnbassade, allez dire à votre maître que, dussé-je briser les portes de son appartement, j'arriverai jusques à lui; en attendant, au nom de la France, je le rends responsable de chaque minute de retard. » Le domestique revint un instant après, et M. Rampon fut immédiatement admis auprès de l'ambassadeur qu'il instruisit du sujet de sa démarche. Le comte Rossi se promenait à grands pas dans son salon en froissant dans ses mains les dépêches qu'il venait de recevoir; son visage était livide, ses lèvres étaient crispées; tout à coup il s'arrêta, et, croisant ses bras sur sa poitrine, il s'écria: « Mais c'est horrible ce que vous me dites-là, monsieur le comte. » Puis il ajouta d'une voix saccadée par l'indignation: « Comment! ce sont des Français qui veulent profaner les armes de la France! mais ils ne savent donc pas, ces gens-là, que le drapeau de la patrie devient doublement inviolable et sacré sur la terre étrangère? mais ils ne savent donc pas que le drapeau de la France ne peut tomber que dans le sang de ceux

"

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