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qu'un grand pape a nommés, en raison de leurs immenses services, les grenadiers du catholicisme, se trouvaient alors comme toujours à l'avant-garde de la société menacée dans ses principes fondamentaux, la religion! Ce fut contre eux que les sociétés secrètes résolurent de porter les premiers coups; quelques bruits sourds répandus habilement dans la foule, des mots insultants. jetés à la face des Pères isolés sur la voie publique, firent présager aux moins clairvoyants que l'orage ne tarderait pas à éclater; l'éclair toujours précède la foudre. Enbardis par l'impunité, fortifiant leur facile courage dans la silencieuse impuissance du pouvoir, les agitateurs redoublent d'audace: trop lâches pout attaquer en face des hommes qui pourraient se défendre, ils ajoutent la menace à l'outrage, et bientôt de la menace ils arrivent à l'action. Alors les mensonges les plus absurdes sont imprimés, les calomnies les plus révoltantes sont placardées dans les rues, des hommes sont payés, les uns pour vociférer, pendant la nuit, des cris sauvages autour du Gésu; les autres pour casser, à coups de pierres, les vitres du couvent. Un rassemblement osa même en plein jour, sous les yeux d'un poste de garde civique, attacher sur la porte principale un écriteau contenant cette inscription: È locanda. Un ecclésiastique belge, un ancien soldat au service de la France, un nommé de Mérode, passait au même instant dans la rue. « Ce que vous faites-là, dit-il à la foule, est une lâcheté. Et, s'avançant vers l'écriteau, il l'arracha de sa propre main.

Ce même jour, les Transteverins, ces hommes si dévoués à la religion, à la papauté et à tout ce qui s'y rattache, envoyèrent une députation au Père général.

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Que désirez-vous; mes bons amis?», leur demanda le père Roothan. - Vous défendre! répondit un gros homme à la taille d'hercule et à la voix de stentor. Il en

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est temps encore ! ajouta-t-il : les ennemis de la religion n'ont d'autre force que celle qu'ils trouvent dans la faiblesse des honnêtes gens; à tous ces faiseurs d'émeute, l'audace et la parole, mais à nous le droit et l'action; dites un mót, un seul mot, et bientôt nous en aurons fini avec eux tous ! »

Le général des jésuites, extrêmement touché de la démarche de ces braves gens, leur déclara que, faits depuis longtemps aux injures et à l'injustice des hommes, ils ne voulaient d'autres défenseurs que la loi commune, et que, dans aucun cas, ils n'accepteraient de vengeurs. «Notre vie appartient à Dieu, ajouta-t-il: lui scul a le droit d'en disposer; qué sa volonté soit faite!"

Malgré ces paroles conciliatrices et pacifiques, les hommes du Transtévère se rendirent au café des Beaux-Arts, quartier-général des conspirateurs; mais ceux-ci, instruits à temps de la marche hostile de la population énergique qui voulait en finir avec eux, s'étaient soustraits par la fuite au sort qui les menaçait. A l'arrivée des Transteverins, la salle du café se trouva complètement déserte.

Cependant les préventions contre les jésuites faisaient chaque jour des progrès immenses; les flots de la haine, soulevés par l'ignorance, déferlaient sur eux de toutes parts. Mal compris des uns, trompé par les autres, le pape voulut tenter un suprême effort pour sauver une société qu'il appréciait et dont il estimait les éminents services. Il publia et fit afficher dans tout Rome un motu proprio qui restera comme un monument éternel de son affection pour la Compagnie de Jésus. Afin d'éviter tout conflit, les jésuites quittèrent Rome dans la soirée du 28 mars.

Dans cet intervalle, le pontife avait publié le statut fondamental d'un gouvernement représentatif. La publi

cation de ce décret constitutif donna lieu à de nouveaux

mouvements populaires.

Ces tristes scènes, où d'un côté l'on voit les honnêtes gens paralysés par la peur et le pape isolé dans ses bonnes intentions, étaient la conséquence des événements qui avaient lieu sur les autres points de la péninsule et dans les capitales de l'Europe. En effet, la révolution hurlant la Marseillaise, assiégeait les palais des rois. Les trônes craquaient de toutes parts, le principe de l'autorité était méconnu partout; la force de la violence, substituée à la justice du droit, triomphait momentanément à Vienne, à Berlin, à Munich, à Francfort. La révolte, partie le 20 février de Paris pour faire le tour de l'Europe, venait de rencontrer en chemin la République se rendant à Venise, les aigles de l'Autriche chassées de Milan, les corps francs partant pour la Belgique et la Pologne, et le cri de l'indépendance italianne retentissant du Pô au Tibre; elle ne voulut pas rester en arrière à Rome. A sa voix, la foule se porta, le 21 mars, à la Ripresa de Barberi, poussant de grands cris et demandant qu'on enlevât les armes d'Autriche placées au-dessus de la petite porte latérale qui conduit aux appartements du baron Bender, attaché à l'ambassade d'Autriche et chargé des affaires ecclésiastiques. Satisfaite sur ce point, la foule se porta sur l'autre côté du palais de Venise, visà-vis le palais Pamphili, pour arracher le principal écusson de l'ambassade d'Autriche. Tandis que des hommes, contrairement au droit des gens, enlèvent cet écusson le précipitent dans la rue et le mettent en pièces, des Lombards arborent, sur le palais même de l'ambassadeur autrichien, une immense bannière blanche sur laquelle étaient gravés en lettres d'or ces mots: Haute Italie!

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Alors commença une scène étrange, digne plutôt d'une nation sauvage que d'un peuple civilisé. Les débris de

l'écusson impérial, exposés aux injures du peuple, sont jetés sur une charrette: un mauvais cheval y est attelé, la foule s'ouvre pour lui faire passage, et l'on se dirige processionnellement vers la place du Peuple, où les flammes d'un bûcher improvisé doivent terminer cette comédie que les meneurs appellent la justice du peuple.

Le cortége s'avançait lentement à travers les vociférations et les huées de la foule acharnée sur un simulacre de puissance; la bourgeoisie complice applaudissait du haut de ses fenêtres, du bas de ses boutiques; l'autorité, impuissante ou non prévenue, laissait faire, lorsqu'un paysan des environs de Rome, conduisant un âne, vint à passer dans le Corso. Aussitôt une voix se fait entendre: « Frères! s'écrie-t-elle, les armes de la perfide Autriche ne sont pas dignes d'être portées par un noble cheval; c'est à travers les immondices et la poussière de la rue, c'est trainées par un âne qu'elles doivent arriver au lieu du supplice. » — « Bravo! » répond le peuple. Aussitôt les débris de l'écusson sont enlevés de la charrette et altachés à la queue du pauvre animal; les cris de joie s'élè vent de nouveau, les acclamations de mépris redoublent, et le cortége reprenant sa marche, parvient bientôt après sur la place du Peuple.

Arrivés là, les acteurs de cette scène se prenant par la main, commencent, autour du bûcher dressé pour l'autodafé, une ronde immense; puis tout à coup les anneaux de cette chaîne humaine venant à se briser, les lambeaux des armes impériales, les fragments épars des aigles autrichiennes sont jetés dans les flammes, aux applaudissements des spectateurs. Puisse la colère du peuple italien, s'écrie une voix, dévorer le dernier barbare, comme ce feu va consumer les honteux emblèmes de sa puissance; et puissent ses cendres être jetées au

vent comme le sera bientôt la poussière de ce bûcher ! » Ce vœu sauvage soulève un tonnerre d'enthousiasme. Alors comme les flammes du bûcher, faute d'aliment, allaient s'éteindre, une autre voix propose de leur jeter l'âne, innocent complice de l'attentat contre l'Antriche. «Y pensez-vous, frères? répond le paysan; y pensez-vous? mon âne est aussi bon italien que vous et moi: à bas l'Autriche! mais vive l'Italie! » Ce trait d'esprit sauva la vie du pauvre animal. Lorsque ce bûcher eut jeté sa dernière étincelle et qu'il ne resta plus des armes autrichiennes qu'un monceau de cendres, les glorieux soutiens de la jeune Italie passant devant le Capitole, se retirèrent dans leurs clubs pour rendre grâce à leur courage et se féliciter de leur nouvelle victoire.

Le lendemain, le gouvernement, qui comprenait la gravité de cet acte attentatoire au droit des gens, se contenta de publier, contre ceux qui s'en étaient rendus coupables, un long article dans la Gazette de Rome.

Que pouvait-il de plus? Dans les mains du pouvoir débordé par le flot des révolutions, le sceptre suprême n'était plus qu'un roseau battu par tous les vents; la loi était sans force, l'autorité avait perdu son prestige; le grand nom de Pie IX, usé par les factions, n'était plus lui-même qu'une lettre morte aux yeux de ceux qui s'en étaient si perfidement servi; les honnêtes gens, entrés de bonne foi dans la voie des réformes, surpris, effrayés même d'avoir dépassé le but que les habiles du parti leur avaient indiqué, n'avaient ni le courage de revenir sur leurs pas, ni l'énergie de rester stationnaires; ils suivaient donc, avec une fatalité désespérante, l'impulsion qui les entraînait sur la pente d'inévitables catastrophes. L'ange des ténèbres semblait avoir déployé ses ailes sur la peninsule entière. Les sociétés secrètes, après avoir jeté le masque, manœuvraient alors au grand jour : dans

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