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leurs mains, la réforme changeant de cocarde et de nom, était devenue républicaine.

La révolution venait d'éclater à Parme avec des circonstances analogues à celles qui avaient inauguré la République à Paris. Un menuisier, nommé Henri Mélegan, surnommé Richetti, et armé d'un fusil à deux coups, avait tué une sentinelle en faction sur la place des Armes: c'était le signal. Aussitôt le tocsin sonne, le peuple s'arme et se précipite sur les troupes dont l'attitude est purement défensive. Ainsi qu'à Paris le 23 février, l'armée est sans ordres, et le chef de l'État hésite à demander à la force le salut du sceptre que la démagogie lui dispute. Enfin un sentiment d'humanité l'emportant sur les raisons du droit, il ordonne à ses troupes de rentrer dans leurs quartiers: c'était donner un libre cours à la tempête populaire. Voyant ainsi paralyser son courage, le prince héréditaire, brave comme le sont tous les princes de la maison de Bourbon, arrache ses épaulettes de général et les jette aux pieds de son père. « Monseigneur, lui dit-il avec un sombre désespoir, c'est la seconde fois que vous transigez avec la révolution, quand vous devez la combattre. »

Cependant croyant apaiser l'insurrection, Charles II institue une régence et la charge d'élaborer une constitution.

Le premier soin de ce pouvoir improvisé fut de s'établir en gouvernement provisoire et en comité de salut public, le second fut d'organiser une garde civique, de renvoyer les troupes autrichiennes, et de publier une constitution démocratique. Pendant ce temps, le prince régnant avait chargé son fils de porter des dépêches à Charles-Albert. Malgré sa mission et la double invio. labilité de son caractère, le prince héréditaire se voit traîtreusement arrêté par des volontaires à peu de dis

tance de Crémone; il est arraché de sa voiture, indignement outragé, sa vie même est en danger; mais, subjugués par l'ascendant que le courage a toujours eu sur le crime, les volontaires se contentent de le conduire, garrotté comme un malfaiteur, à Crémone, et de le jeter dans une chambre du palais du gouvernement provisoire. Là, après avoir souffert, pendant seize heures, de la soif et de la faim, il subit un long interrogatoire à la suite duquel il est envoyé captif à Milan.

Forcé d'abandonner à son tour ses États, Charles II confie sa femme et sa belle-fille à l'honneur de ses sujets: la première gravement malade, la seconde, enceinte de sept mois, n'avaient pu le suivre. Restés maîtres de la ville, les membres du gouvernement provisoire, oubliant les respects que l'on doit même à de simples femmes, abreuvent d'humiliations les princesses que le duc a mises sous leur protection; ils leur refusent les choses indispensables à la vie et les relèguent dans les plus sombres réduits du palais, jusqu'au jour où, pour se débarrasser du soin de veiller sur elles, ils les forcent à quitter leur capitale.

Ce fut dans un cabriolet découvert, la nuit, par une pluie d'orage, que la jeune princesse, sœur du comte de Chambord, dut, malgré sa grossesse avancée, s'enfuir pour aller chercher un asile en Toscane. Immédiatement après, embarrassé de son usurpation, le gouvernement provisoire offrit le duché de Parme à Charles-Albert, qui le garda jusqu'au lendemain de la bataille de Novare.

Depuis que les Autrichiens avaient été repoussés de la capitale de la Lombardie, les partis vainqueurs s'occupaient sans relâche des combinaisons ultérieures relatives à la forme d'un gouvernement italien unitaire ou confédératif. Plus habile ou plus audacieux que les autres, le parti républicain faisait à Milan de notables pro

grès. Il était évident pour tous que son but était d'entraîner l'Italie à constituer une seule République embrassant, dans ses rayonnements territoriaux, les petits duchés, Gênes, Venise, Milan, la Toscane, Naples et Rome elle-même. N'osant avouer ses prétentions sur le Piémont, son arrière-pensée s'arrêtait aux Alpes; il avait besoin de l'épée de Charles-Albert, l'heure de la briser n'était point encore venue. Pour le moment donc il se contenlait d'agir directement sur la Lombardie, Venise, Modène et Parme. Cependant, en Lombardie même et surtout dans les campagnes, ce parti rencontrait une grande opposition à ces tendances. D'un autre côté, le roi CharlesAlbert commençait à se préoccuper sérieusement de ce mouvement; ce fut pour l'entraver qu'il engagea les Milanais et les Vénitiens à se décider promptement sur la forme du gouvernement qui devrait les régir. L'on sait comment ces peuples répondirent à son appel.

En attendant, transformant en cri de guerre le fameux Italia farà da sè, le parti républicain appelle aux armes l'Italie tout entière; la presse dont il dispose devient un immense arsenal d'où partent chaque jour les proclamations les plus incendiaires, un exutoire d'où s'écoulent incessamment la colère et la haine. Un jour, superbe d'arrogance et posant en Brennus, elle menace la France dont, plus tard, elle mendiera les sympathies; elle lui demande de quel droit elle s'impose à la terre italienne de la Corse; l'usurpation de la Corse est un compte qu'elle veut régler, dit-elle, avec l'épée.

Quoi qu'il en soit, le peuple romain, entraîné dans le courant électrique de l'indépendance italienne, répond à l'appel que Mazzini lui lance de Milan. Prévenu, dès la veille, qu'une grande réunion populaire aurait lieu au Colysée pour aviser aux moyens de sauver la patrie en danger, il se rendit en masse dans l'arène des gladia

teurs et des martyrs. C'était le 23 mars! Éclairé par un magnifique soleil de printemps, le ciel de Rome n'avait pas un nuage; rayonnant d'enthousiasme, le front des Romains n'avait pas une teinte sombre; les soldats de la garde civique, les membres des clubs, les troupes de ligne, la noblesse, la bourgeoisie, les princes, les artisans et les prolétaires, étaient tous là, groupés avec l'instinct artistique des Italiens; ici le dominicain drapé dans sa robe blanche et son long manteau noir, là le capucin avec sa longue barbe encadrée dans un capuchon de laine brune, plus loin l'abbé avec son petit manteau court et coquet; plus loin encore les élèves des colléges avec leurs soutanes bleues, rouges, violettes, écarlates et blanches, formaient une mosaïque humaine; tout auprès, le militaire dont le brillant uniforme contrastait avec le costume simple et pittoresque du Transteverin, et les femmes de toutes conditions complétaient ce tableau dont l'admirable arrangement ressemblait à un décor de théâtre. Magnifique théâtre, en effet, que le Colysée avec ses ruines, ses grands souvenirs, et un immense auditoire debout sous les drapeaux nombreux qui semblaient remplacer l'ancien velarium. Ce spectacle était magnifique, ce moment solennel! Alors un homme d'une taille élevée, un prêtre portant le costume des barnabites, s'avance à travers la foule qui s'écarte sur son passage, il se dirige dramatiquement vers le pulpito sacro où deux fois par semaine un pauvre moine de Saint-Bonaventure vient raconter, avec des larmes et des sanglots, aux hommes du peuple, les souffrances de l'Homme-Dieu. Ce prêtre, à la démarche assurée, est le principal personnage du drame qui se prépare, c'est un moine ambitieux, une pâle copie de Pierre l'Hermite, c'est le Père Gavazzi. Il est admirablement placé dans son rôle, et son costume se prête à l'illusion de la scène. Un long manteau noir,

artistement drapé, recouvre sa robe noire serrée à la taille par une large ceinture de la même couleur. Une croix verte, rouge et blanche, se dessine à grands traits sur sa poitrine; son large front est nu, sa figure porte le cachet d'une expression mâle et robuste; ses longs cheveux noirs, jetés au vent, flottent sur son cou, son regard est inspiré, son geste harmonieux, sa pose dramatique, sa voix retentissante, il va prêcher la croisade de l'indépendance italienne: « Frères, s'écrie-t-il, le jour de la délivrance est arrivél l'heure de la croisade sainte a sonné! aux armes! Dieu le veut! aux armes!

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« Autrefois, quand les peuples de l'Occident voulurent conquérir le sépulcre de celui qui, de la croix du Golgotha, avait fait un piedestal à la liberté, ils arborèrent la croix sur leur poitrine, et, sous l'étendard du Christ, ils s'élancèrent sur l'Orient! leur cause était juste, leur cause était sainte!... Plus juste et plus sainte est la nôtre: aux armes! Romains! l'Autrichien, cent fois plus barbare que le Musulman, est à nos portes; comme les croisés, arborons la croix sur nos poitrines et en avant sur l'ennemi, car Dieu le veut !

"Celui-là n'est pas digne de s'appeler Romain, qui, dans les temps où nous sommes, préférant ses affections et ses intérêts privés à l'intérêt général, resterait lâchement dans ses foyers. Celui-là n'est point digne d'être le descendant des maîtres du monde, l'héritier des victorieux du Capitole, qui refuserait de vaincre ou de mourir pour l'indépendance de l'Italie! Celle-là n'est pas digne d'être appelée Romaine et de donner des enfants à la patrie, qui retiendrait dans ses bras son fiancé! Celle-là ne serait pas digne d'être mère, ou d'être bénie dans ses entrailles fécondes, qui verserait des larmes sur le dé

BALLEYDIER. I.

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