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force sur la nécessité d'attendre et de temporiser. Les généraux protestèrent contre cette politique expectante. Plusieurs, emportés par la franchise du soldat, témoignérent en termes énergiques leur indignation.

La loyauté militaire se plaçait franchement entre l'honneur de la France et les subterfuges d'une diplomatie anti-nationale. « Attendre, s'écria l'un d'eux avec colère, attendre la saison des chaleurs et les fièvres, qui avant quinze jours viendront frapper à notre camp pour lui demander des victimes! attendre que la pitié de nos ennemis, secourus par cet auxiliaire insaisissable, nous fasse la grâce de linceuls pour les cadavres de nos soldats décimés; nous avons déjà trop attendu, monsieur le ministre. Prenez garde qu'un jour la France ne vous demande, comme autrefois Rome à Varon, ce que vous avez fait de ses légions. »

Le ministre plénipotentiaire répondit:

"Pour éviter l'influence morbifique que vous redoutez avec raison, je le reconnais, qui nous empêche de reculer nos lignes, de transporter notre quartier général à Frascati, de faire camper nos troupes dans les voisinages salubres d'Albano et de Tivoli? De cette manière, ne serions-nous pas les vrais maîtres de Rome en l'entourant au lieu de l'occuper? Si vous faites ainsi, le gouverne`ment de la République, qui ne désire votre entrée à Rome que si vous êtes appelés par les habitants, vous remerciera un jour d'avoir contribué à faire triompher, par la sagesse de vos conseils, la vraie, la grande politique dégagée de toutes les petites questions d'amour-propre personnel et de vaine gloire. »

A son tour, le général en chef prit la parole: « J'avoue, monsicur, dit-il, qu'il me faudra du courage pour répondre avec sang-froid à ces paroles étranges prononcées cependant par des lèvres françaises. Vous nous demandez,

monsieur, ajouta-t-il en s'adressant alors au chef plénipotentiaire, qui nous empêche de reculer nos lignes, d'abandonner notre base d'opération pour des lieux plus éloignés de Rome? je vais vous le dire: c'est l'intérêt de la France que nous représentons, nous aussi, mais avec l'épée, tandis que, vous croyez la représenter avec la parole; la France avant peu dira qui, de la parole ou de l'épée, l'aura servie le mieux. En attendant, l'honneur du nom français, la gloire de nos armes, exigent que la pensée de la France s'explique librement au Capitole. Prendre des cantonnements en dehors de Rome serait, en quelque sorte, proclamer notre impuissance. Entourer une ville n'est point s'en rendre maître; on ne l'occupe véritablement que le jour où le drapeau de la patrie flotteau sommet de sa plus haute tour. Quant à ce que vous appelez la grande, la vraie politique dégagée de toutes les petites questions d'amour-propre personnel et de vaine gloire, nous en référons pour l'avenir au jugement de l'histoire, et pour le présent à la décision de notre gouvernement. En attendant, je déclare, au nom de tous mes frères d'armes, que notre adhésion à vos projets serait une honte et une lâcheté. »

Tous les généraux présents au conseil s'associèrent à ce langage énergique. M. de Lesseps, isolé dans sa grande politique, se retira immédiatement sans qu'une voix s'élevât pour le retenir. Si le silence des peuples est la leçon des rois, le silence des soldats est quelquefois aussi la leçon des diplomates.

Une seconde scène non moins violente se renouvela dans la nuit. Le délai fixé pour la reprise des hostilités allait expirer. Le commandant en chef venait de donner ses derniers ordres pour occuper simultanément, à trois heures du matin, le Monte-Mario, le Ponte-Molle, les villas Panfili, Corsini et l'église de Saint-Pancrace. Les trou

pes chargées de l'exécution de ces diverses opérations attendaient, l'arme au bras, le moment d'agir, lorsque M. de Lesseps supplia le duc de Reggio de donner un contreordre exigé par l'honneur même de la France. Un scrupule venait de s'élever dans son esprit; il n'avait pas dénoncé par écrit et d'une manière suffisamment précise, aux autorités romaines, la reprise des hostilités. Dans cet état de choses, dit-il, une attaque de l'armée française serait considéreé par l'Europe entière comme une surprise incompatible avec la règle du droit des gens. >>

Cette nouvelle complication devenait embarrassante pour le général Oudinot placé fatalement entre ces deux alternatives: ou contre-mander l'exécution des mouvements dont le succès était infaillible, ou révéler à l'armée impatiente d'agir des dissentiments qui auraient pu avoir de funestes conséquences. Après une discussion sérieuse et bien que, de son côté, il eût directement fait prévenir les avant-postes de la reprise des hostilités, il se résigna généreusement à suspendre l'exécution des mesures que dans un intérêt militaire et national, il venait d'arrêter avec les différents chefs de service.

Les troupes destinées à manœuvrer contre la villa Panfili reçurent promptement le contre-ordre; il n'en fut pas ainsi pour celles qui devaient s'emparer du Monte-Mario. L'officier d'état-major chargé d'arrêter leur marche ne put franchir à temps, par une nuit obscure, la distance de cinq lieues qui séparait leur bivouac du quartier général. Elles avaient occupé sans coup férir les positions abandonnées par leurs défenseurs. Enfin le jour arrivait où, dégagée des entraves d'une coupable diplomatie, l'armée française devait répondre par des actes aux fanfaronnades des révolutionnaires romains. L'heure de la justice allait sonner!

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME.

Dernière tentative de conciliation. Traité de M. de Lesseps.

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général en chef le repousse. pel de M. de Lesseps. d'attaque.

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RapPréparatifs

Position de l'armée assiégeante. Effectif de l'armée

romaine. Journée du 3 juin. — Brillants combats.

Sorties des assiégés.

Beaux faits

Travaux de siége.

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Mouvements Préparatifs de

d'armes. Ouverture de la tranchée.
Députation espagnole et napolitaine au camp français.
de l'armée espagnole.
défense.

Dans la matinée du 31 mai, M. de Lesseps résolut de faire une dernière tentative. Le visage pâle et défait par les préoccupations de son ame et les réflexions de la nuit, il se rendit à Rome. Il trouva le pouvoir exécutif révolutionnaire fort ému de l'occupation de Monte-Mario, position importante au point de vue stratégique. Après lui avoir prouvé que cette occupation était le fait d'un contre-temps indépendant de la volonté du général en chef, qui n'avait rien épargné pour l'éviter, il lui remit ses dernières propositions.

Quoique ces propositions ne répondissent pas entièrement aux désirs des triumvirs, ils les acceptèrent comme une impérieuse nécessité. Cependant, comme la sanction de l'Assemblée constituante était indispensable, le pouvoir

BALLEYDIER. II.

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délibératif se réunit le même jour, en comité secret et adopta à l'unanimité moins trois voix le traité suivant:

"Art. 1er. L'appui de la France est assuré aux populations des États-Romains. Elles considèrent l'armée française comme une armée amie qui vient concourir à la défense de leur territoire.

"Art. 2. D'accord avec le gouvernement romain et sans s'immiscer en rien dans l'administration du pays, l'armée française prendra les cantonnements extérieurs convenables tant pour la défense du pays que pour la salubrité des troupes.

"Les communications seront libres.

« Art. 3. La république française garantit contre toute invasion étrangère les territoires occupés par ses troupes. Art. 4. Il est entendu que le présent arrangement devra être soumis à la ratification de la république française.

Art. 5. En aucun cas, les effets du présent arrangement ne pourront cesser que quinze jours après la communication officielle de la non ratification. »

Les triumvirs joignirent à l'approbation des articles ci-dessus une lettre par laquelle ils promettaient d'envoyer, le lendemain, au quartier-général, une députation de l'Assemblée constituante, sous la présidence de Sturbinetti, sénateur de Rome. Ils signifièrent, en outre, qu'une fois ces bases admises, on élirait des plénipotentiares, chargés de s'entendre sur les détails et sur le choix des cantonnements, premières conséquences de la convention, ainsi que d'une invitation au général en chef et à son état-major de venir habiter Rome, où serait mise à sa disposition une garde d'honneur.

Tandis que le pouvoir exécutif de Rome et le ministre plénipotentiaire de la France discutaient ces détails secondaires, le général Oudinot leur expédiait deux dépêches.

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