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Par la première, il conjurait M. de Lesseps de ne point livrer à de vaines discussions un temps trop précieux pour le perdre. Dans l'état actuel des choses, c'est par un oui ou par un non que les autorités romaines devaient faire connaître leur décision.

N'oubliez pas, disait-il en terminant, de dénoncer immédiatement la fin de l'armistice, si vous n'obtenez sans retard une solution pacifique et conforme entièrerement à la déclaration du 29 de ce mois.

Par la seconde lettre, il déclarait aux autorités romaines que, si les intentions de la France continuaient à être méconnues, le commandant en chef, en présence d'une situation toute nouvelle, et aggravé par l'apparition de deux armées étrangères sur le territoire romain, se verrait dans l'obligation impérieuse de reprendre les hostilités.

Dans le cas où, vingt-quatre heures après cette déclaration l'ultimatum ne serait point accepté, l'armée française devait reprendre toute sa liberté d'action; car la trève, qui avait été consentie verbalement pour un temps très-limité, cesserait alors d'avoir son effet.

Ces deux dépêches ne changèrent rien aux dispositions précitées. M. de Lesseps s'était fait préparer trois expéditions de la convention, où, d'un bout à l'autre, les intérêts de la France étaient sacrifiés à l'influence démagogique. Elles furent immédiatement signées par les triumvirs, munis des pleins pouvoirs de la Constituante. Alors le ministre plénipotentiaire s'empressa de se rendre au quartier-général.

Hétait tard: le silence de la nuit régnait au camp, le duc de Reggio venait de se jeter tout habillé sur son lit, quand on lui annonça le retour du ministre plénipotentiaire. " Enfin, nous avons terminé,» dit celui-ci, en entrant dans la chambre du général, et, sans autre préam

bule, il commença la lecture de son traité, mais lorsqu'il eut abordé l'article 2, qui traite des cantonnements extérieurs appliqués à l'armée française, le général, ne pouvant contenir l'explosion de sa juste indignation, se précipita hors de son lit, et, debout, les bras croisés sur sa poitrine, l'œil en feu, en face du diplomate, il s'écria: "Vous êtes Français, monsieur! Que dis-je! vous représentez la France, et vous avez subi de pareilles conditions? Et vous osez les apporter dans notre camp? Ma main se desséchera plutôt que de signer de pareilles infâmies. C'est assez, monsieur, je n'en entendrai pas davantage; vous pouvez vous retirer. »

Pour toute réponse, M. de Lesseps signa, laissa sur la <table un des trois exemplaires de la Convention et se retira pâle de colère.

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Un instant après, il reçut la lettre suivante:

« Monsieur le ministre plénipotentiaire,

"Vous avez, depuis le 17 de ce mois, paralysé tous les mouvements du corps expéditionnaire sous mes ordres.

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Vous m'aviez demandé avec instance que la trêve, promise verbalement par vous aux troupes romaines, se prolongeȧt jusqu'à ce que le gouvernement fit connaître sa réponse aux dépêches dont M. de Latour-d'Auvergne était porteur. Bien que ce retard fût, dans ma conviotion, très préjudiciable aux opérations militaires, j'ai souscrit à votre désir, afin d'éviter jusqu'aux apparences d'un dissentiment entre nous.

Depuis ce temps, les troupes romaines ont pu se porter partout où elles ont cru qu'il était de leur intérêt de le faire; j'ai, au contraire, enfermé mes opérations dans la partie du territoire qui a Civita-Vecchia pour

base. Vous avez proposé, le 29 de ce mois, aux autorités romaines un ultimatum dont j'ai accepté les termés, bien que certaines conditions qui y étaient stipulées fussent loin de me donner une entière satisfaction.

Dans la journée même, vous m'avez écrit de Rome que cet ultimatum allait, selon toute probabilité, être accepté. Ce soir, et contre toute probabilité, malgré cette. assurance, vous me déclarez que vous avez signé avec la république romaine des conditions auxquelles vous espérez que j'apposerai ma signature.

« Ces conventions sont en opposition formelle avec les instructions que j'ai reçues. Je les crois contraires aux volontés de mon gouvernement. Non-seulement je ne leur donne pas mon assentiment, mais je les considère comme non-avenues, et je suis forcé de le déclarer aux autorités romaines.

"Quand le ministère aura fait connaître, à la suite de la mission de M. de Latour-d'Auvergne, sa dernière intention, je m'y conformerai scrupuleusement. En attendant, j'ai le regret d'être dans l'impossibilité de concerter désormais mon action politique avec la vôtre. »

Ainsi qu'il le mandait au ministre plénipotentiaire, le général Oudinot écrivit aussitôt aux triumvirs, pour protester en ces termes contre la conclusion du traité:

« J'ai eu l'honneur de vous faire savoir, ce matin, que j'accepterais pour mon compte l'ultimatum qui yous a été transmis, le 29 de ce mois, par M. de Lesseps.

"A mon grand étonnement, M. de Lesseps m'apporte, à son retour de Rome, une sorte de convention en opposition complète avec l'esprit et les bases de l'ultimatum. Je suis convaincu qu'en la signant, M. de Lesseps a dépassé ses pouvoirs. Les instructions que j'ai reçues de mon gouvernement m'interdisent formellement de m'associer à ce dernier acte.

Je la regarde comme non-avenue, et il est de mon devoir de vous le déclarer sans retard. „.

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La réception de cette lettre fut un coup de foudre pour les triumvirs, qui déjà s'enorgueillissaient de l'issue des négociations. « Cette lettre, s'écria le méticuleux Armellini, est pour les Français la revanche du 30 avril. » "Peut-être,» répondit Mazzini, et prenant la plume il écrivit au général Oudinot que c'était avec un sentiment d'étonnement et de douleur que le triumvirat voyait ces différends entre le général en chef et le représentant de la France. Et ces différends étaient d'autant plus étranges, qu'il regardait cette convention comme une chose entièrement conforme au vœu de l'Assemblée française et aux sympathies exprimées nouvellement par la nation. Il ajoutait, en terminant, que le triumvirat n'était pas responsable des graves conséquences qui pourraient en résulter. Il espérait, toutefois, que ces difficultés s'aplaniraient.

De son côté, M. de Lesseps, auquel fut communiquée la lettre du duc de Reggio, répondit au triumvirat qu'il maintenait, quand même, la convention signée, et qu'il partait pour Paris afin de la faire ratifier. « Cet engagement, ajoutait-il, a été conclu en vertu de mes instructions, qui m'autorisent à me consacrer exclusivement aux négociations et aux rapports à établir avec les autorités et les populations romaines. »

Persistant dans la voie où il s'était imprudemment engagé, M. de Lesseps veut soumettre sa conduite au jugement du ministère. En conséquence, il fait partir aussitôt pour Paris M. Lavelaine de Maubeuge chargé de soumettre à l'Assemblée nationale les conditions du traité qu'il a signé. De son côté le général Oudinot dans le but de faire connaître à la France et à son gouvernement la vérité toute entière, se dispose également à envoyer à Paris un officier-général

d'une loyauté éprouvée. Le général Regnault de Saint-Jeand'Angely sera le fidèle interprète de sa pensée: cet officier-général venait de partir pour Civita-Vecchia lorsqu'une estafette arrivée à franc étrier de cette ville remit au général Oudinot une dépêche télégraphique transmise de Paris, le 28 mai, à sept heures du soir. Elle était conçue en ces termes:

« Le ministre des affaires étrangères au général

Oudinot:

«Tout retard serait désormais funeste à l'approche de la saison des fièvres. La voie des négociations est épuisée. La mission de M. de Lesseps est terminée. Nous confirmons notre dépêche précédente relative au général Vaillant.

"Concentrez vos troupes. Entrez dans Rome aussitôt que l'attaque vous présentera la presque certitude du succès.

"Si vous manquez de moyens d'attaque, faites-le-moi savoir immédiatement.»

La mise à l'ordre de cette dépêche excite parmi les troupes des transports unanimes de joie. Le général Regnault de Saint-Jean-d'Angely, dont la mission n'avait plus d'objet, est rappelé au moment où il s'embarquait pour la France. Il rémet les dépêches dont il était porteur à son aide-de camp qui poursuit son voyage jusqu'à Paris.

La question trop longtemps pendante sous les murs de Rome est désormais vidée. La politique expectante de la diplomatie est condamnée. L'action militaire va reprendre tout son empire.

Le duc de Reggio s'empresse d'annoncer en ces termes, aux triumvirs, sa rupture avec M. de Lesseps et

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