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sang froid dans l'exécution. Le duc de Reggio l'avait compris, le jour où il avait accepté l'une des missions les plus graves et les plus difficiles qui furent jamais offe:tes à un général d'armée: c'est pour cela qu'il résolut d'attaquer la place avec ce système de travaux de siége dont rien ne peut arrêter la marche méthodique, progressive, et qui, en rendant insignifiantes les pertes de l'assiégeant, affaiblit constamment les forces des assiégés.

Conformément au projet arrêté, tout était prêt, le 4, pour l'ouverture des travaux préliminaires. Ce jour-là, douze cents travailleurs, protégés par deux bataillons, se rangeaient sans bruit devant une maison surnommée par les soldats, la maison des six volets verts, et située à trois cents mètres environ du mur d'enceinte.

Le silence du soir n'était interrompu que par les décharges faites sans direction par le canon des assiégés. Tout à coup, à un signal donné, les douze cents travailleurs commandés pour ouvrir la tranchée s'élancent en avant, parviennent aux lignes tracées par le génie, à trois cents mètres de la place, et se mettent à l'œuvre; tandis que, pour détourner l'attention de l'ennemi, le général en chef fait opérer deux fausses attaques, l'une à la villa Panfili, l'autre en avant du Ponte-Molle. Lorsque le jour parut, les travailleurs étaient à couvert.

L'ouverture de la tranchée est une des actions les plus hardies du siége de Rome; les tranchées, d'après les règles de l'art, s'ouvrent ordinairement à six cents mètres de la place menacée.

Cependant les positions perdues formaient le point de mire des assiégés; ils savaient que la clef des portes de la ville se trouvait là; aussi dirigeaient-ils tous leurs efforts pour les reprendre. Dans la soirée du 5, ils tentèrent inutilement deux sorties: ils furent repoussés.

L'armée assiégeante avait appris dans la journée avec une vive satisfaction l'arrivée à Civita-Vecchia d'une gabarre de charge portant quatre pièces de 24, deux obusiers de 22 centimètres et quatre mortiers. Ce renfort était d'autant plus indispensable que, pour suppléer à l'insuffisance du matériel composé jusqu'alors de six pièces de siége, on avait emprunté à la marine quatre pièces de 30.

Une nouvelle sortie, tentée dans la soirée du 6, n'eut d'autres résultats pour les assiégés que la perte de 775 hommes laissés morts sous les murs de leur ville et de 25 Lombards faits prisonniers.

Le 7, le général Oudinot reçut les visites du colonel Buenaga, chef d'état-major de l'armée espagnole, du colonel d'Agostino et du lieutenant colonel Nunziante, aidesde-camp du roi des Deux-Siciles. Ces officiers venaient au nom de leurs gouvernements offrir le concours de leurs armées au commandant en chef des troupes françaises.

Le général les reçut avec courtoisie; mais fidèle à la règle de conduite qu'il avait adoptée, il refusa leur concours en motivant son refus par des paroles que l'histoire doit-enregister.

Messieurs, dit-il, avec la franchise du soldat, je vais vous exposer, telle que je la comprends, la situation respective des armées catholiques réunies en ce moment sur le territoire du gouvernement pontifical.

« Il appartenait à la France, fille ainée de l'Église, de prendre l'initiative du rétablissement à Rome de la souveraineté temporelle du pape intimement liée à l'autorité spirituelle. C'est évidemment dans ce but qu'un corps.expéditionnaire fut dirigé sur Civita-Vecchia. Toutefois, la situation politique de la France, la forme de son gouvernement, lui imposaient des devoirs complexes et spéciaux. "Les institutions libérales qui la régissent lui prescrivent de s'opposer aux réactions absolutistes. Les gou

vernements autrichien, espagnol et napolitain sont à cet égard dans des conditions tres-différentes de la nôtre. Cette distinction a de suite été établie par la première proclamation datée de Civita-Vecchia, mais rédigée à Paris par le gouvernement lui-même.

"Les dispositions de mon pays pour le Saint Père et ses sympathies pour le véritable peuple romain jointes aux renseignements qui de toutes parts m'étaient parvenus ont dù faire hâter ma marche sur la ville sainte. Je poussais une forte reconnaissance sur Rome plutôt en médiateur qu'en conquérant, l'arme sous le bras pour ainsi dire. Je vis bientôt que nos intentions étaient méconnues. La journée du 30 avril dont tout le monde connait l'issue et dont les armes françaises peuvent se glorifier, m'obligea cependant à me retirer sur Palo. J'espérais être attaqué dans cette retraite en champ ouvert, mais quoique j'aie employé cinq jours pour l'exécuter, pas un seul détachement de l'armée romaine n'a osé inquiéter notre marche. Je fis à mon gouvernement un rapport conforme à la plus exacte vérité. Je déclarai que les populations étant sous le coup de la terreur ne nous viendraient point en aide et que des renforts, surtout en munitions, étaient nécessaires pour faire le siége de la ville. J'aime à rendre à mon gouvernement cette justice qu'il m'envoya des forces supérieures à celles qui m'étaient rigoureusement indispensables. Dès qu'elles furent arrivées, je repris l'initiative de l'attaque; c'est à ce moment que M. de Lesseps arriva de Paris avec une mission diplomatique. Ce que m'ont fait souffrir des hésitations, des lenteurs et des subterfuges si peu en rapport avec les habitudes militaires, Dieu seul et moi le savons. Vous me comprendrez quand je vous dirai ici, messieurs que mon caractère de soldat a été mis à de cruelles épreuves.

«Je devais à mes subordonnés l'exemple de la patience; je le leur ai donné jusqu'au moment où M. de Lesseps a présenté à ma signature une convention injurieuse pour l'honneur de nos armes et pour la dignité de la France.

«Ma rupture avec M. de Lesseps devait être ce qu'elle fut, éclatante. La manière avec laquelle ce diplomate a exécuté sa mission est connue et appréciée aujourd'hui. Elle l'a été de suite, je suis heureux de le dire, par le président de la république française et par son cabinet. M. de Lesseps était rappelé à Paris au moment même où je lui interdisais l'entrée du camp. On me rendit les pleins pouvoirs dus à un général en chef. Ce fut alors que je donnai aux opérations de guerre l'élan convenable pour finir l'entreprise.

"A la suite de plusieurs vigoureux combats, nos troupes s'emparèrent de toutes les positions extérieures et maintenant elles sont maîtresses du Pont-Molle sur le haut Tibre ainsi que des communications de Florence et d'Ancône. En face de la basilique de Saint-Paul se trouvent établis des bacs, et un pont de bateaux est jeté sur le bas Tibre; ma cavalerie parcourt toute la plaine qui s'étend entre Rome, Frascati et Albano. Nous avons déjà ouvert notre première parallèle à trois cents mètres de la ville. Nos batteries sont établies; dans quelques jours nous serons maîtres de Rome, et si les dispositions que j'ai prises retardent le succès, du moins elles éviteront à la ville éternelle les malheurs de la guerre.

"Eh bien! quand une grande nation comme la France a déjà accompli de telles choses, quand elle a fait des sacrifices et des dépenses si énormes, quand elle a essuyé une offense, il lui faut une réparation éclatante. Elle doit l'obtenir sans aucune participation auxiliaire, sans aucun secours étranger. Non, dans les circonstances actuelles,

-la France ne peut permettre qu'aucune nation vienne lui enlever la gloire qui lui appartient exclusivement, et qui ne peut lui échapper. Toute armée qui s'avancerait en ce moment vers Rome ne pourrait le faire que comme notre amie ou comme notre ennemie; en secourant les assiégés ou les assiégeants. Nous ne pouvons accepter ni l'une ni l'autre de ces combinaisons. Nous entrerons dans Rome sans l'aide des armées coalisées; je crois à leurs bonnes intentions, mais si elles ne suspendaient pas immédiatement leur marche, l'armée française se porterait sans retard à leur rencontre et n'hésiterait pas à les traiter en ennemies.

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J'ignore les événements qui peuvent se produire dans l'ordre politique et social de l'Europe, j'ignore aussi le parti définitif que prendra la France dans les embarras qui suivront la reddition de Rome; mais aujourd'hui mon devoir est tracé; c'est dans la ville sainte que mon pays fera connaître ses dernières résolutions sur l'avenir des États pontificaux.

"Pour ne pas offenser la juste susceptibilité des armées napolitaine et espagnole, je vais vous lire la lettre que j'ai écrite sur le même sujet au commandant en chef des troupes autrichiennes qui se trouvent dans les États romains. "

Après avoir lu rapidement la lettre que nous avons reproduite en son temps, le général Oudinot reprit:

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« Je ne sais si ce langage est bien diplomatique pour la forme, mais il est l'expression d'une volonté inébranlable. J'ai l'orgueil de croire qu'il aura votre assentiment et celui de vos souverains respectifs.

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Le colonel Buenaga et le lieutenant-colonel Nunziante répondirent que ni leurs gouvernements, ni les généraux,

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