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nombre de personnes même qui par ambition et par des vues d'intérêt particulier s'étaient rattachées au nouveau système en furent consternées. Il était clair désormais que la révolution dégagée de toute entrave atteindrait rapidement les dernières limites du mal; déjà même, pour s'en faire une couronne, elle ramassait au coin de la place publique où l'avaient relégué les éloquentes paroles d'un poëte français, l'ignoble bonnet rouge. L'exhibition de ce bonnet sur les principaux édifices de la ville, les souvenirs sanglants qu'il rappelait, la dénomination de sans-culottes jetée dans quelques proclamations, la guerre faite aux livrées, n'étaient pas de nature à rassurer les appréhensions et à rallier beaucoup de sympathies au gouvernement de tous par

tous.

La République romaine, votée par la constituante dans la nuit du 8 au 9 à l'unanimité moins onze voix, fut proclamée dans la matinée du 9 au Capitole en présence des ouvriers des ateliers nationaux, de plusieurs compagnies de gardes civiques et de quelques centaines de spectateurs attirés par la curiosité. Dès le matin les élèves de l'université s'étaient promenés dans les rues de la ville le front couvert du bonnet rouge; un immense drapeau aux trois couleurs italiennes, portant attaché à la hampe le bonnet de la démagogie, avait été hissé sur la tour du Capitole et placé près de la croix. Le signe sanglant de la terreur dominait ainsi la capitale du monde chrétien, la ville de paix et de miséricorde.

Cent et un coups de canon, de la poudre brûlée sur des ruines, célébrèrent cet événement fatal à l'indépendance italienne: en effet, la question intérieure devait inévitablement absorber la question de l'étranger; la jeune Italie devenant républicaine, faisait la plus heureuse diversion en faveur de l'Autriche et rouvrait les

BALLEYDIER. II.

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chemins du Capitole aux fils de Brennus et de Charlemagne. Le jour de l'ouverture de la constituante romaine, le ministre Armellini avait dit aux représentants: "Vous siégez entre les sépulcres de deux civilisations, celui de l'Italie des Césars et celui de l'Italie des papes;" la constituante romaine en adoptant, au mépris du droit, la forme républicaine, en ouvrit un troisième où devaient descendre, avec les libertés publiques, les garanties de prospérité accordées par ses pontifes à la ville éternelle. Un des premiers soins de l'Assemblée constituante fut de rendre un décret qui déterminait la forme du pouvoir, en attendant que la constitution fût terminée. D'après le texte de ce décret, l'assemblée se réservait le droit de gouverner les Élats romains au moyen d'un comité exécutif, composé de trois membres nommés par elle, amovibles à sa volonté et responsables. En outre, ella décida qu'il n'y aurait point de ministère proprement dit, mais uniquement des directions générales dont les chefs seraient en dehors des variations de la politique; enfin, les trois membres du comité exécutif devaient diriger la politique générale du pays sans étendre leur action aux détails spéciaux de chaque membre de l'administration. En conséquence de cet arrêté, l'Assemblée constituante nomma membres du comité exécutif Armellini, Salicetti et Montecchi. Armellini était l'ame de ce nouveau pouvoir. Le second triumvir, Montecchi, n'avait d'autres titres à la dignité qu'on lui conférait, que celui d'avoir été condamné pour crime politique sous le pontificat de Grégoire XVI. Son intelligence était au niveau de sa modeste position, il exerçait les fonctions de procureur. Amnistié, il avait profité de la miséricorde de Pie IX pour se faire l'un des ennemis les plus violents du souverain Pontife.

Salicetti, le troisième triumvir, était un réfugié napolitain; il avait la réputation d'être un homme habile, et

devait sa nomination au désir que la constituante romaine avait de prouver ses sympathies aux révolutionnaires de la péninsule.

Les triumvirs s'empressèrent de publier leur programme. Après avoir dit que la république romaine avait enfin son gouvernement, ils ajoutaient: « La politique de cette république, sortie vierge et non sanglante, du milieu des ruines d'un régime que la puissance de la civilisation moderne a suffi pour détruire, ne sera de notre part qu'une politique franche, digne, conciliatrice, telle que l'exigent les lois éternelles de cette démocratie à laquelle nous empruntons nos inspirations les plus chères; telle que la veulent les besoins de notre siècle et le bien suprême de l'Italie. Loin de nous une lâche hypocrisie et la dissimulation trompeuse! Nous adorons la république, mais tout en l'adorant, nous ne la voulons pas envahissante, mais comme elle est gravée dans nos ames, c'est-à-dire, pieuse et civilisatrice. Nous la voulons avec la constituante italienne: avec cette dernière nous favoriserons la guerre, et jusqu'à ce que nos armes aient été couronnées de succès, nous ne donnerons aucun repos

nos ames. »

Les triumvirs terminèrent en faisant la promesse d'organiser les milices, d'armer les phalanges pour les envoyer prendre part au grand conflit qui se préparait. Ils promirent ensuite de faire marcher de pair l'instruction et la religion, surtout quand celle-ci, dirent-ils, serait dégagée entièrement de toute influence cléricale: ils étendront leurs soins vigilants aux finances; «sous peu, ajoutent-ils, la commission exécutive vous proposera des projets de loi tendant à faire reparaître le numéraire et à enrichir le pays de ce qui est le nerf de toute entreprise, de toute guerre, et sans lequel nous ne pourrions porter aucun secours aux douleurs de nos amis qui se trouvent au delà du Pô. »

Plus loin ils promettent un code, au moyen duquel la terre des Brutus et des Trajan ne sera plus souillée par les malversations du barreau; puis ils flattent le peuple au soulagement duquel ils consacreront leurs plus saintes méditations. « Mais en même temps, ajoutent-ils, que nous tendrons la main à celui qui est faible et affligé, nous ne cesserons de réformer et de corriger ceux qui s'engraissent aux dépens de l'État et qui en rongent les entrailles. La république demande des ames fortes et de måles vertus, nous tendrons donc de tous les efforts qu'inspire à l'ame un sentiment sacré, à mettre ces vertus en honneur et à bannir les délits qui sont les fruits de la concussion et de l'égoïsme.

«La république deviendra la providence visible du peuple, la bienfaisance se changera en devoir et la charité en institution..... La liberté des cultes, le respect des opinions, la tolérance, cette sainte tolérance, mère de toutes les vertus seront les principaux objets de nos études. Nous aurons soin de protéger et les personnes et les biens de ceux qui ne pensent point comme nous, car surgis de la plus pure des révolutions, nous ne pourrions suivre une autre voie, sans renier ou fausser notre origine. L'Europe nous contemple, l'Italie a les yeux fixés sur nous, que l'Italie et l'Europe voient et apprennent ce qu'est la république romaine.”

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Hélas! pour voir, il aurait fallu que l'Italie ne fût point aveugle; mais quant à l'Europe elle connaissait la pureté de cette vierge dont le premier pas avait glissé dans le sang, dont la première pensée fut un assassinat et dont le premier trophée fut un couteau ensanglanté que les modernes Brutus couronnèrent de lauriers.

Sur ces entrefaites, l'un des principaux acteurs des derniers événements, Mamiani, inspiré par un sentiment de sagesse tardive, avait donné sa démission de membre

de l'Assemblée. Partisan de l'abolition du pouvoir temporel des papes, il était opposé à la forme républicaine, qui malgré lui venait de prévaloir. Le surlendemain du jour où l'Assemblée avait prononcé la déchéance du pape, elle se rendit en grande pompe à Saint-Pierre pour associer la religion à son œuvre sacrilége et forcer l'Église à célébrer, par un Te Deum solennel, l'acte qui la privait de son premier chef. La conduite du clergé fut ce qu'elle devait être, digne et ferme.

Les chanoines du Vatican, repoussant toute solidarité entre eux et les démolisseurs, résistèrent énergiquement aux menaces de violence contre leurs personnes et de spoliation contre leurs biens. Ils refusèrent de prendre part à une cérémonie qu'ils considéraient, à juste titre, comme la consécration des atteintes portées aux droits de cette même Église, dont la démagogic triomphante implorait l'intervention.

Dès la veille, ces respectables prêtres avaient fait connaître leur résolution aux triumvirs; mais ceux-ci, espérant les effrayer par l'appareil militaire, en appelèrent au sentiment de la peur; en effet, l'office du matin était à peine commencé qu'ils firent cerner la chapelle du chœur où se réunissent les chanoines: en même temps, des factionnaires furent placés à toutes les portes pour les empêcher de sortir et les retenir jusqu'à l'heure fixée pour le Te Deum: malgré ces mesures, les chanoines sortirent les uns après les autres par une issue secrète et communiquant avec la sacristie. Dans cet intervalle, le moment indiqué pour le commencement de la cérémonie était arrivé, le chœur ainsi que l'autel étaient déserts et les détachements de troupes conviés à la fête attendaient. Les triumvirs, furieux et désappointés, ne savaient comment remédier à l'absence du clergé, lorsqu'en désespoir de cause ils s'adressèrent aux aumôniers des

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