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Rien n'arrêtera désormais la marche progressive des opérations.

Dans cet état de choses, les chefs de la république romaine attendaient chaque jour avec anxiété des nouvelles de Paris. Admirablement servis par des correspondances occultes, ils savaient qu'un mouvement révolutionnaire, préparé de longue main en leur faveur, devait éclater dans les premières semaines du mois de juin. Les dispositions étaient si bien prises que le succès paraissait infaillible, et le succès pour eux c'était le rappel de l'armée française, c'était la levée du siége de Rome, c'était la honte de la France, c'était le triomphe de la démagogie européenne, représentée dans la ville éternelle par le ban et l'arrière-ban de tous les exaltés que l'Europe avait rejetés de son sein.

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Courage et persévérance, écrivaient du haut de la montagne les nouveaux citoyens romains de l'Assemblée législative; résistez avee la vigueur qui distingue les républicains; le jour de la délivrance approche. Promptitude et révolution, répondaient les montagnards romains. La valeur française n'attend pas. »

Enfin, c'était le 19 juin, le bruit se répand tout à coup dans la ville qu'une révolution a éclaté le 13 juin à Paris; que les troupes ont fait cause commune avec les insurgés, que l'Assemblée est dissoute, le ministère mis en jugement, le prince Louis-Napoléon enfermé à Vincennes, et Ledru-Rollin proclamé dictateur du gouvernement français.

Cette nouvelle circule avec la rapidité de l'éclair: une joie, feinte ou réelle, brille sur les visages; les cloches carillonnent, les illuminations se préparent, les chefs et les dupes s'embrassent, l'enthousiasme révolutionnaire est à son comble. Joies éphémères; loin d'être victorieuse le 13 juin, la révolution, encore une fois vaincue dans

son milieu, avait été foulée aux pieds des chevaux du brave général Changarnier. Ledru Rollin, surpris dans ses rêves de dictature, fuyant le donjon de Vincennes qu'il préparait au prince Louis-Napoléon, s'était vu forcé de passer par un vasistas, pour aller chercher en Angleterre le refuge des proscrits.

Pendant que ces choses se passaient à Paris M. de Corcelles envoyé extraordinaire de France arrivait au quartier général avec des instructions secrètes pour le commandant en chef. La marche irrésistible des travaux de siége avait amené l'armée française aux pieds des remparts de Rome.

La tranchée, appuyée sur la gauche à la villa Corsini en face de Saint-Pancrace, se développait parallèlement aux remparts sur une étendue de mille à quinze cents mètres jusqu'au delà du saillant du Janicule. La droite se repliait sur le Tibre à une certaine distance de la porte Portese située non loin du fleuve.

Les troupes, disposées en échelons derrière la tranchée à demi portée du canon de la place, étaient couvertes par le relief du terrain. Le quartier général du général Vaillant, commandant du génie, se trouvait à San-Carlo avec trois batteries d'artillerie, trois compagnies de sapeurs du génie et les dépôts de tranchée. Le quartier général était resté à Santucci pour ce qui concerne les bureaux, le trésor, les administrations et les ambulances, mais la partie active du grand quartier général se transportait toujours à la moindre apparence d'action sur le théâtre présumé du combat, afin que le commandant en chef pût diriger l'ensemble des opérations et se porter rapidement partout où il jugerait sa présence nécessaire.

Le général Regnault de Saint-Jean-d'Angely avait son quartier général à la villa Panfili, il appuyait sa réserve et le gros de sa division à l'église de Saint-Pancrace et å

la villa Corsini où l'on avait placé une forte batterie pour contrebattre les bastions 8 et 9, situés en face. L'extrême gauche conservait ses positions à Monte-Mario et au PonteMolle. La division Guesviller s'était étendue à la suite des avantages remportés les 14, 15 et 16 juin sur les hauteurs du mont Parioli jusqu'à la villa Borghèse.

L'extrême droite communiquait avec le centre au moyen d'un pont de bateaux construit à la hauteur de la basilique Saint-Paul, sur la rive gauche du Tibre. Ce passage important était protégé par une tête de pont, garnic de fossés et de palissades, et armée de deux pièces de trentesix. Un bataillon occupait cet ouvrage. La brigade Levaillant campait sur une hauteur derrière le pont. L'église et le monastère de Saint-Paul étaient occupés par un demi-bataillon.

Le 21, à trois heures de l'après-midi, les généraux Vaillant et Thiry annoncent au général en chef que les brèches ouvertes sur les fronts 6 et 7, aux faces des deux bastions et dans la courtine, seront praticables le soir même. Le duc de Reggio donne immédiatement les ordres nécessaires pour l'assaut.

A neuf heures et demie du soir, une compagnie de grenadiers et une de voltigeurs, fournies par les 32, 36¢ et 53 de ligne, formaient trois colonnes d'attaque, sous les ordres des chefs de bataillon de Cappe, Dantin et de Sainte-Marie. En outre, une réserve composée de deux compagnies d'élite, fournies par les 22e léger, 66e et 68e de ligne et conduite par le chef de bataillon de Tourville, se groupait en arrière des batteries de brêches, sous le commandement supérieur du lieutenant colonel Turbourieck, du 36o de ligne. Trente sapeurs du génie étaient attachés à chacune de ces colonnes. De plus, trois cents travailleurs, recrutés dans les compagnies d'élite des 16o et 25 légers, étaient rassemblés à la même heure dans

les boyaux de communication, en arrière des batteries. Deux bataillons de la garde de tranchée appuyaient cet ordre d'attaque.

A la même heure, tous les corps de la division Rostolan quittent leurs bivouacs et se massent sur le Monte Verde; les régiments aux ordres du général Regnault d'Angely prennent les armes aux villas Panfili et Corsini.

Toutes ces dispositions étant ainsi prises, le général en chef, voulant multiplier les chances de succès, parvient à diviser les forces des ennemis à l'aide de deux attaques simulées, l'une au nord de la ville, par le Ponte-Molle et la villa Borghese, l'autre au sud dans la direction de la Basilique de Saint-Paul. La première de ces colonnes mobiles, commandée par le général Guesviller, est composée d'une section de chasseurs à pied, de trois bataillons, de cinquante chasseurs à cheval et de quatre pièces d'artillerie; elle parcourt vivement les contreforts qui bordent la rive gauche du Tibre supérieur et refoule dans la place les divers postes qu'elle balaye sur son passage; ensuite, faisant une défnonstration sur la Porte-du-Peuple, elle simule uh mouvement d'attaque qui fait tomber en son pouvoir plusieurs prisonniers. La deuxième colonne, chargée d'opérer sur la rive gauche du Tibre inféricar, sous les ordres du lieutenant-colonel Espinasse, du 22e léger, n'a pour toutes forces qu'un bataillon du 22e léger, deux pelotons de cavalerie et quatre pièces d'artillerie; mais, pour dissimuler la faiblesse numérique de ce corps, autant que pour détourner du véritable point d'attaque l'attention de l'ennemi, on a placé sur les hauteurs, en avant de l'église de Saint-Paul, deux pièces de 32 fournies par l'artillerie de marine; le lieutenant de vaisseau Olivieri en a la direction. La place qui jusque-là, gardant un profond silence, paraissait plongée dans le sommeil, se

réveille tout à coup et dirige la plus grande partie de ses forces sur les points qu'elle croit sérieusement menacés. Ses défenseurs se portent en masse de la porte Saint-Paul aux portes du Peuple et de Saint-Sébastien; une vive fusillade se fait entendre au loin sur toute la ligne des remparts. Le but du général en chef était atteint; il était dix heures; les troupes désignées pour la véritable attaque sont prêtes; fières de l'honneur qui leur est réservé, elles attendent impatiemment le signal qui retient leur courage; alors une dernière volée de mitraille est tirée contre les murailles, et le colonel Niel lance en avant les trois colonnes d'assaut. Elles s'élancent simultanément sur les brêches avec une grande intrépidité et s'y installent à travers un feu général auquel elles ne répondent pas. Elles débarrassent le terrain en avant par une charge vigoureuse. Leur impétuosité est telle, que se trouvant bientôt sur la ligne de retraite des ennemis, elles leur enlèvent plusieurs caissons de poudre et une cinquantaine de prisonniers, parmi lesquels figurent un lieutenant-colonel et un lieutenant.

A leur tour, les trois cents travailleurs, conduits par les officiers du génie, s'élancent au pas de course sur les brêches, et ferment en quelques instants, par un épaulement solidement établi, la gorge des bastions.

Vainement les troupes romaines veulent reprendre les positions qu'elles n'ont pas su défendre; vainement elles cherchent à se retrancher dans des ouvrages préparés de longue main; vainement, protégées par leur artillerie, elles s'élancent avec fureur sur les Français; nos soldats, renforcés par la réserve, ne reculent pas un seul instant; ils sont inébranlables dans les positions qu'ils viennent d'emporter à la baïonnette.

A deux heures du matin, la victoire se rangeait une fois encore sous le drapeau de la France.

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