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les abords intérieurs du bastion et du retranchement occupés par quinze cents hommes et défendus par sept pièces de canon chargées à mitraille. Les assaillants devaient donc subir des feux qui se croisaient de toutes parts. Ouverte dans la journée du 28, à la suite d'un vigoureux combat d'artillerie, la brèche devint praticable le lendemain. L'occupation de ce point considéré par les Romains comme imprenable, devait donner à nos troupes la facilité de s'étendre sur le mont Janicule, de dominer Rome et de prendre, suivant la pittoresque expression du général Vaillant, le taureau par les cornes.

Pour arriver sans retard à ces résultats, le général en chef donne aussitôt ses derniers ordres d'attaque. Quatre colonnes de trois compagnies d'élite chacune sont désignées pour monter à Fassaut. La première sous les ordres du chef de bataillon Lefèvre, du 55e, se compose d'une compagnie d'élite des 22e léger, 32e et 53e de ligne. Une compagnie d'élite des 17°, 20° et 33° de ligne forme la seconde colonne. Les hommes qui en font partie portant chacun une pioche, une pelle et un gabion, doivent immédiatement construire un logement dans le bastion. Ces deux corps sont soutenus par la colonne de réserve formée d'une compagnie d'élite des 36o, 66e et 68e de ligne. Le chef de bataillon du 66o de ligne, Le Rousseau, en reçoit le commandement. Enfin, la quatrième colonne aux ordres du commandant Laforest, du 22e léger, se compose d'une compagnie d'élite des 22 léger, 32e et 53e de ligne. Cette colonne doit s'élancer du couronnement de la brêche du bastion 7, enlever les retranchements ennemis, et favoriser le débouché de la colonne d'assaut en attaquant par la gorge le bastion 8. Trente sapeurs du génie sont attachés à chacune des colonnes d'attaque de réserve et de travailleurs. Le lieutenantcolonel Espinasse, du 22e léger, en a le commandement.

Le général Levaillant (Charles) prend celui des bataillons de garde de tranchée qui font partie de la deuxième division. Le général Rostolan réunit en masse les autres régiments de sa division etles tient prêts à tout événement.

A deux heures et demie du matin, ces dispositions préliminaires sont terminées. Le colonel du génie, Niel, qui doit gagner cette nuit les épaulettes de général, donne aux diverses colonnes d'assaut ses dernières instructions.

Un silence religieux règne dans les rangs serrés de nos soldats qui pensent à la patrie, en attendant le signal; trois coups de canon se font entendre, et, au cri de: En avant, les braves! ils s'élancent au pas de course. La première colonne arrive au sommet de la brèche à travers une grêle de balles. Tous les obstacles sont abordés de front et franchis à la baïonnette avec un élan et une rapidité extraordinaires; rien ne peut arrêter l'ardeur de nos troupes ; le commandant Lefèvre tombe blessé, il est immédiatement remplacé par le commandant Le Rousseau. Des travaux exécutés par la défense entravent la marche, c'est un par un que nos soldats défilent sous les feux croisés de l'ennemi; n'importe, ils avancent toujours. Les travailleurs arrivent à leur tour sur le terrain d'attaque, ils élargissent le passage; le commandant du, génie Galbaut-Dufort tombe frappé de deux balles en plaçant les premiers gabions destinés à masquer ce dangereux défilé. De son côté, la colonne commandée par le chef de bataillon Laforest, se précipite du couronnement du bastion 7: elle se divise en deux sections. Les voltigeurs du 32e et les grenadiers du 55e, lancés sur la droite, enlèvent un retranchement appuyé sur l'enceinte Aurélienne. Une lutte acharnée s'engage sur ce point; les assié gés, cernés de toutes parts, sans issue de retraite et sans espoir de salut, combattent corps à corps et se font tous tuer à coup de baïonnettes; la terre est teinte de sang.

Les grenadiers et les voltigeurs se répandent ensuite en tirailleurs et luttent résolument contre les maisons crénelées qui vomissent la mitraille sur nos colonnes.

Les carabiniers du 22e léger, sortis les premiers de la tranchée et conduits par le commandant Laforest, s'enga gent dans un chemin qui borde la courtine, mais les deux premières tranchées qu'ils rencontrent sont pleines d'ennemis qui les fusillent à bout portant. Les carabiniers ne s'arrêtent que pour les passer par les armes; puis, franchissant le retranchement qui barrait la gorge du bastion, ils se précipitent sur la batterie de sept pièces qui foudroyait la brèche; ils pénètrent par les embrasures et s'en emparent après avoir massacré jusqu'au dernier ses vaillants défenseurs.

Ces mouvements rapides et supérieurement combinés dégagent la première colonne d'attaque: la garnison du bastion, acculée sur le saillant, soutient la lutte avec le courage du désespoir. Nos soldats, exaspérés par la résistance, ne font pas de quartier.

Pendant ce temps, sur l'ordre du commandant en chef, le général Guesviller opère une diversion sur la porte du Peuple; elle est exécutée avec autant d'intelligence que d'intrépidité par trois bataillons, une compagnie du génie et quatre pièces de 12. D'un autre côté, le lieutenant de vaisseau, Olivieri, effectue une seconde fausse attaque dans la direction de la basilique Saint-Paul; ses pièces de marine parfaitement servies, divisent l'attention et les forces de l'ennemi.

Sur ces entrefaites, le jour commence à poindre; les Romains, épouvantés du vide qui s'est fait autour d'eux, reculent et se retranchent dans les maisons voisines; mais bientôt après, excités par la voix de leurs chefs, ils s'élancent tête baissée sur nos baïonnettes; s'ils n'ont pu vaincre, ils mourront du moins en soldats. A la vue

de ce mouvement désespéré, l'intrépide lieutenant-colonel Espinasse entraîne sur ses pas la réserve. Les grenadiers du 56 de ligne, commandés par le capitaine Tiersonnier, s'avancent baïonnette en avant sur les ennemis, et les précipitent par dessus l'escarpe. Cette manoeuvre hardie va les rendre maîtres des maisons qui dominent la porte Saint-Pancrace. Alors, les travailleurs, profitant des tranchées de la défense, assurent à nos troupes, par un travail habile, la position inexpugnable des bastions conquis. Ce bastion, les canons, les retranchements sont emportés, les maisons crénelées sont enfoncées à coups de hache, et prises sous une fusillade à bout portant. Le Français Laviron, vêtu d'un surtout rouge, est une dernière victime de ce combat sanglant. Il est six heures du matin, les troupes romaines sanglantes, décimées, abandonnent le Janicule et rentrent dans Rome par la grande artère du quartier Transtéverin, la rue Longara. L'aspect général est sombre et sinistre, un silence de mort, interrompu seulement par le glas des eloches, règne dans la ville; de longs convois de blessés marquent avec du sang le chemin des ambulances, les cris de l'agonie se mêlent à l'accent du désespoir, la révolution romaine râle son dernier soupir!

Pendant ce temps aussi, l'armée française haletante, noire de poudre, abritée sous son drapeau flottant sur le mont Janicule, l'armée regarde avec surprise les reflets expirants d'une couronne de feu qui ceint la coupole de Saint-Pierre. Ainsi qu'aux beaux jours de la papauté, les Romains avaient voulu célébrer l'anniversaire de la fête du prince des apôtres par l'illumination de sa vaste basilique. Merveilleuse coïncidence! la fille aînée de l'Église terrasse l'hydre révolutionnaire, le jour même de la fête de saint Pierre et la veille de celle de saint Paul. Le génie vaincu de la révolution a illuminé, lui-même,

le premier temple du monde, pour inaugurer la victoire de la France.

Des actions héroïques signalèrent de part et d'autre ces combats divers. Trois officiers lombards suivis d'une cantinière et abandonnés de leurs soldats ne peuvent se résoudre à fuir; le cigare à la bouche et l'épée à la main ils se précipitent seuls au milieu de nos grenadiers et trouvent dans leurs rangs un glorieux trépas. Un capitaine romain, cerné de toutes parts, noir de poudre, le bras en écharpe, le front ceint d'un mouchoir ensanglanté, criblé de blessures, combat encore un genou en terre; non-seulement il refuse la vie qu'on lui accorde, mais il insulte la générosité de nos soldats; il expire au cri de vive l'Italie !

Emmanuel Théodore d'Astelet, capitaine au 36e de ligne, grièvement blessé le 50 avril, avait été évacué sur la Corse. Saignant encore de ses blessures il demande à rejoindre ses frères d'armes. Arrivé dans la matinée du 30 à Civita-Vecchia il apprend qu'un assaut doit être livré dans la nuit à la ville de Rome; craignant d'arriver trop tard par les voitures publiques il prend la poste à ses frais et il parvient au camp une heure avant l'attaque. Sa compagnie avait été désignée pour faire tête de colonne ; quel bonheur ! s'écrie-t-il, et le bras en écharpe se mettant à la tête de ses grenadiers il se fait tuer sur la brèche.

Le tambour-major du 20e de ligne, l'un des prisonniers de la trahison du 30 avril, regrettait profondément la perte du signe distinctif de son emploi; les Romains lui avaient enlevé sa canne pour l'envoyer aux révolutionnaires de Florence. Ses frères d'armes la regrettaient d'autant plus aussi qu'elle avait été offerte par les offi. ciers du régiment, comme un témoignage d'estime particulière. Cet incident était connu: toute l'armée savait

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