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leur, vous, la sépulture des martyrs républicains et dites à ces hommes cupides; il y a du sang sur ces ballots, et ces ballots nous viennent d'une terre d'où sont venus en même temps et les canons qui ont tué nos frères, et les bourreaux de notre république. Corrompue par l'égoïsme et la cupidité matérielle, la France n'est plus qu'une boutique.

"Oui, Romains, quand on eut appris à Paris que la bannière française avait, sur les monceaux de cadavres des nôtres, remplacé, au nom du pape-roi, la bannière de Dieu et du peuple, les fonds français ont haussé. Frappez donc ces avides calculateurs dans leurs intérêts. Montrezleur que tôt ou tard un crime appelle sur son auteur, misère et infamie. Foi et constance! Dieu précipitera les destinées de ceux qui ont foulé aux pieds les droits de l'humanité.

Pour le triumvirat,

MAZZINI. "

Pasquin s'empressa de parodier cette proclamation insensée: il recommanda aux Romains de s'habiller en sauvages, pour faire rougir la mode parisienne; de ne plus aller au théâtre, pour ne plus applaudir les chefsd'œuvre traduits de la langue française; de remplacer par l'eau bourbeuse du Tibre les vins de Bourgogne, de Bordeaux et de Champagne; de refuser enfin les pièces d'or et d'argent de l'armée française, les seules que l'on voyait sur la place depuis le départ des bandes révolutionnaires.

Quoi qu'il en soit, les fanàtiques de Mazzini sans pousser aussi loin le dévouement du sacrifice, prévinrent les dames romaines qu'elles s'exposeraient à de graves insultes si elles continuaient à se montrer dans les établissements publics fréquentés par les officiers de l'armée expéditionnaire.

BALLEYDIER. II.

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Le café Nuovo, réouvert depuis peu sous le nom de Café Militaire Français, se trouvait surtout compris dans ces menaces de violence. Les dames averties profitèrent de cette occasion pour réhabiliter le courage dans une ville où si longtemps l'on avait en vain demandé aux hommes de l'énergie. Elles se rendirent au café qu'on leur avait interdit, en affectant de porter des toilettes et des étoffes de France. Les mazziniens s'en vengèrent d'une manière odieuse; ils firent circuler et porter à domicile des noms de femmes et des indications d'appartements où les officiers étaient prévenus qu'ils trouveraient les plaisirs secrets que l'on rencontre au sein des grandes villes. De cette manière, les dames les plus honnêtes de la ville furent exposées à des visites dont le motif, bien que honteux, servit à mettre en relief l'éclat de leur

vertu.

Tandis que les révolutionnaires protestaient à Rome par d'indignes moyens contre l'expédition de l'armée française et l'occupation des États romains, leurs frères de France protestaient de leur côté par des mouvements oratoires et des effets de tribune. Les principaux orateurs de la Montagne ravivaient une fois encore la question romaine pour en faire jaillir contre le gouvernement français des griefs qui feront sa gloire.

Cette polémique irritante, passionnée, avait lieu dans la séance du 7 août. On vit ce jour-là un homme lutter seul contre les arguments des rhéteurs de la montagne, et faire justice des lieux communs inventés par la haine contre la religion et la société. L'éloquence de M. de Falloux remporta une nouvelle victoire sur le génie de la révolution.

Il fut sublime lorsque répondant à un discours de M Jules Favre, il s'écria:« On a essayé de nous faire un reproche au nom de ce qu'il y a de plus vibrant dans

le sentiment national, au nom du sentiment militaire. On a dit que nous avions fait passer l'épée de la France dans les mains de l'Autriche. Non, ce n'est pas cela que nous avons fait. Nous avons refusé l'épée de la France à Mazzini. Nous n'avons pas voulu que l'épée de la France fût remise aux mains qui avaient tenu ou sanctionné le poignard.

«Non; l'épée de la France est restée dans les mains françaises les plus valeureuses et les plus dignes, et toute l'Europe les a bien reconnues et saluées comme telles; toute l'Europe a reconnu en elles ces qualités chevaleresques et généreuses qui s'appellent avant tout, pardessus tout, les qualités françaises; personne n'y a pris le change, hormis l'honorable orateur auquel je succède à cette tribune. »

Plus loin, remplaçant les faits sur le terrain de la vérité, il ajouta :

« Je dis que Rome a béni sa délivrance, et je me serais étonné prodigieusement qu'il en fût autrement. Car voulez-vous me permettre de vous dire la différence qu'il y a entre la situation que vous vouliez lui faire et la situation que nous lui faisons? Vous vouliez en faire la république romaine isolée au milieu de populations ou qui ne l'adoptent pas ou qui la repoussent formellement. Vous vouliez mettre cette république entre toutes les pressions italiennes, entre la Toscane, le Piémont et Naples; vous vouliez laisser dans son isolement, en face de l'Autriche elle-même, une république isolée, menacée de toutes parts, à peine comparable aux plus vulgaires États que l'on puisse énumérer en Europe. Voilà le grand rôle que vous destiniez à Rome.

« Et quel est le rôle que nous lui donnons, nous, et qu'elle a voulu de tous les temps? Ce n'est pas celui de république romaine dont elle connait bien la chimère, le

péril, l'inanité, c'est le rôle qu'elle occupe dans le monde depuis dix-huit siècles et que nous voulons lui restituer, c'est celui de capitale de la république universelle, chrétienne, c'est celui d'être la première ville du monde. »

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Après avoir victorieusement suivi pas à pas les antagonistes de l'expédition française, l'orateur termine ainsi: Cependant, messieurs, et je conclue par cette considération, je ne voudrais pas être monté à cette tribune pour ne faire que l'apologie sans réserve et du ministère et de l'expédition: oui, nous avons fait une faute et je ne crains pas de l'avouer à cette tribune: cette faute, c'est de n'avoir pas pris au 20 décembre l'expédition du général Cavaignac en la doublant. C'est alors qu'il fallait réclamer notre part d'action. Nous aurions empêché les malheurs qui sont arrivés à Rome, nous aurions empêché le malheur plus grand qui est arrivé à Novare. Nous ne l'avons pas fait: pour moi, je le déclare, nous avons eu tort; il fallait nous occuper de l'action de la France préparée par le général Cavaignac. Pourquoi ne l'avons-nous pas fait? Nous ne l'avons pas fait, parce que nous avons cédé à cet esprit que M. Jules Favre représente ici et qui n'est que trop représenté dans l'Assemblée constituante. »

Le triomphe de l'orateur qui, dans le cabinet avait si puissamment contribué à l'expédition française, fut immense; les divers ordres du jour de la montagne furent repoussés par 428 voix contre 176.

Dès que le gouvernement pontifical, représenté par lá commission des trois cardinaux, eut repris à Rome un cours régulier, le commandant en chef partit pour Gaëte, afin de présenter au souverain Pontife les hommages de l'armée française, et lui démontrer la nécessité de son retour immédiat à Rome. Accompagné du général Le Barbier de Tinan, il se rendit par le Tibre à Fiumicino où l'attendait le contre-amiral Trehouart. Il donna passage

sur le Labrador à plusieurs officiers de terre et de mer, ainsi qu'à plusieurs dames françaises avides de s'incliner devant la majesté du souverain Pontife exilé.

Le beau ciel de l'Italie méridional, le calme de la mer, le silence du soir interrompu seulement par l'excellente musique du 36e régiment de ligne, le but du voyage donnait à cette traversée nocturne un caractère imposant et merveilleux.

Plusieurs frégates espagnoles, françaises et napolitaines se tenaient dans la baie de Gaëte prêtes à obéir aux ordres du successeur de Saint-Pierre. La ville était en fête, l'artillerie des forts mêlait ses salves de réjouissance aux joyeuses détonnations des bâtiments en rade. Les édifices publics et les maisons particulières, ainsi que les mats et les ponts des vaisseaux, étaient illuminés.

Un jour de bonheur brillait sur la terre de l'exil, la reine des Deux-Siciles venait de mettre au jour la princesse Pia, du nom de son auguste parrain, le souverain Pontife. Conduit aussitôt par le comte de Rayneval au milieu d'une grande partie de la garnison napolitaine sous les armes, le duc de Reggio, accompagné seulement de l'amiral, fut immédiatement admis en présence de Sa Sainteté qui se plut tout d'abord à le qualifier du titre de li bérateur de Rome.

Après une demi-heure d'audience Pie IX autorisa le duc de Reggio à lui présenter tous les officiers réunis avec lui à Gaëte; le saint Pontife les reçut avec une noble émotion, leur parlant de ses sympathies pour la France et de son admiration pour la valeur et la discipline de nos soldats.

Le général en chef et les officiers de sa suite se rendirent ensuite chez le roi des Deux-Siciles. Ferdinand II les entretint avec un intérêt aussi bienveillant qu'é 'éclairé des épisodes d'un siége dont il avait suivi toutes les

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