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Deux jours avant le départ de cet officier supérieur, le ministre de la guerre avait expédié au général Oudinot des dépêches portant que la question militaire de Rome étant résolue, l'effectif du corps expéditionnaire allait recevoir une notable réduction. Alors le commandement n'était plus à la hauteur de la position du duc de Reggio, il se trouvait autorisé à rentrer en France.

A son arrivée à Rome, M. Edgar Ney se rendit le soir même chez le général Rostolan, appelé par son ancienneté au commandement en chef. Dans cette première entrevue, le général se montra très-surpris du rôle agressif qu'on voulait lui assigner. Il comprit de suite les difficultés que le gouvernement français allait se créer en répudiant si brusquement une conduite empreinte d'autant de fermeté que de conciliation et qui honorait à la fois son prédécesseur et notre diplomatie.

Le duc de Reggio avait appris indirectement l'arrivée du colonel Ney, il n'en reçut que le lendemain vers midi la confirmation par la visite de cet officier. Le général en chef lui reprocha, en termes sévères, un retard qui était à la fois un manque de déférence et l'oubli d'un devoir militaire. M. Edgar Ney chercha à s'excuser, disant qu'il croyait avoir été devancé par le courrier chargé des ordres ministériels; il supposait d'ailleurs que le général était déjà parti de Rome.

Le général répliqua, dit-on, que ce n'était pas la première fois qu'une position analogue se présentait. « Un jour, dit-il, c'était en mars 1811, sur les frontières du Portugal et de l'Espagne, un homme de guerre illustre, après avoir rendu d'immenses services, avait commis des actes sérieux de désobéissance: le général en chef Masséna se vit dans l'obligation de faire un grand exemple; il lui retira le commandement du corps d'armée qui marchait sous ses ordres. Un jeune aide-de-camp reçut la

pénible mission de lui porter, avec la nouvelle de son remplacement, l'ordre d'aller attendre en Espagne les volontés de l'Empereur. Ce fut, les larmes dans les yeux et avec les marques de la plus profonde affliction, que le porteur de ce message se présenta devant le glorieux capitaine. Le premier mouvement de celui-ci fut une explosion de colère, le second fut le sentiment d'une énergique résignation. La douleur du jeune aide-de-camp l'avait tellement attendri, qu'oubliant la sienne propre, il se plut à le consoler par les paroles les plus affectueuses. " "Mon enfant, lui dit-il, en le pressant avec force sur sa poitrine, je quitterai demain les braves que j'ai tant de fois conduits à la victoire: en attendant, restez près de moi, nous partagerons cette nuit une botte de paille et mon manteau.» Depuis lors le vaillant capitaine et l'aide-de-camp n'ont jamais perdu le souvenir de cet épisode, le premier surtout qui ne cessa de répondre par une sollicitude toute paternelle aux sympathies respectueuses de celui qu'il se plaisait en toute circonstance à appeler son camarade de lit. L'illustre guerrier était le maréchal Ney, votre père, le jeune officier c'était moi. »

Le général Oudinot ne se faisait pas illusion sur le motif de son remplacement, mais, fier d'avoir été l'instrument providentiel d'une grande œuvre, il savait que l'ingratitude est impuissante à obscurcir les services dont l'importance et l'éclat ont l'opinion publique pour juge. Le libérateur de Rome, le général qui avait étouffé le principal foyer de l'anarchie en Europe, mettait avec raison toute sa confiance dans l'impartialité de l'histoire; mais il s'affligeait de voir substituer à des idées généreuses et dignes d'une grande nation, une politique aventureuse, menaçante et oppressive.>

Dès ce moment, il était facile de prévoir que si cette politique n'était promptement désavouée, elle serait sui

vie d'une guerre générale. Elle remit tout en question, alors que les plus graves difficultés semblaient aplanies, que le prompt retour du Saint Père dans sa capitale était décidé, et que les affaires de Rome, enfin, paraissaient assurées d'une heureuse et prochaine solution.

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La seconde entrevue du colonel Edgar Ney avec le général Rostolan fut également grave. N'écoutant que les conseils de sa conscience et ceux de l'intérêt de son pays, le général dit à l'envoyé qu'il ne pouvait décidément pas livrer à la publicité la lettre qu'il lui avait remise de la part du président de la république. « Ce document ajoutat-il, ne me présente aucun caractère officiel, il n'a d'autre valeur à mes yeux que celui d'une lettre particulière, intime; je ne puis et ne dois la rendre publique par deux raisons; la première parce qu'elle ne m'est point remise par une voie constitutionnelle, la seconde parce que dans mon ame et conscience je suis certain qu'elle entraverait les négociations diplomatiques, indépendamment des embarras multiples qu'elle susciterait. Croyez-moi, colonel, ne montrez point cette lettre et surtout gardez-vous de lui donner la moindre publicité.

Nullement convaincu par ces paroles dictées cependant par un sentiment de prudence et de sagesse, le lieutenant-colonel s'abandonnant à un mouvement de vivacité répréhensible au point de vue de la hiérarchie militaire, s'écria qu'il rendait le général responsable des conséquences de son refus et des événements que ce refus pourrait provoquer à Rome aussi bien qu'à Paris.

❝ Colonel, répliqua avec dignité le général Rostolan, permettez-moi de vous le rappeler, personne autre que moi ne possède ici le droit de la menace. Quant aux conséquences de mon refus, elles ne m'effrayent point, je compte sur le général Changarnier pour réprimer l'émeute à Paris, comme je compte sur moi pour la vaincre à Rome sous quel drapeau qu'elle se présente.

Vainement le colonel fit de nouvelles instances, le général fut inébranlable dans sa résolution.

Tandis qu'un grand nombre de copies faites à la main répandaient la lettre présidentielle dans les cafés et autres lieux publics, le général Rostolan écrivit au ministre de la guerre pour lui expliquer les motifs de son refus et lui donner en même temps sa démission de commandant en chef.

Sa dignité personnelle, d'accord avec des intérêts de l'ordre le plus élevé, prescrivait au duc de Reggio, de ne quitter l'Italie qu'après avoir pris toutes les dispositions relatives à l'affermissement de notre influence dans la Péninsule italique.

Ces devoirs accomplis, il adressa à l'armée l'ordre du jour suivant:

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Déjà plus de quatre mois se sont écoulés depuis que nous avons quitté ensemble le sol de notre patrie.

"La grande et sainte cause de la chrétienté dans l'Italie centrale réclamait l'intervention de la France.

Des obstacles de toute nature nous étaient opposés: vos éminentes qualités militaires et le puissant concours de la marine vous ont permis de les surmonter.

« A force de valeur et de persévérance vous avez accompli une œuvre dont l'histoire perpétuera le glorieux souvenir.

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L'armée fortement établie aujourd'hui dans Rome et les cantonnements, va éprouver des réductions d'effectif.

«Ma mission est terminée.

« Je remets le commandement en chef à M. le général de division Rostolan. Cet officier général est à juste

titre en possession de toute votre confiance; elle ne lui fera jamais défaut.

Les exemples d'ordre et de discipline que vous donnez incessamment ici, ne seront point perdus pour l'Italie.

« Fidèles à votre passé, vous continuerez à y porter d'une main digne et ferme le drapeau sur lequel vous avez jeté un nouvel éclat.

"En me séparant de mes compagnons d'armes, j'éprouve le besoin de leur déclarer que ni le temps, ni les distances ne pourront affaiblir ma sollicitude pour leurs intérêts.

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J'appellerai l'attention particulière du gouvernement sur les militaires, de divers grades, qui ont été proposés pour des récompenses et qui ne les ont point encore obtenues.

« J'aimerai à répéter que tous, officiers et soldats, ont constamment fait preuve de patriotisme dans cette belle contrée de l'Italie, où nos pères ont laissé de si imposantes traditions et de si profondes sympathies. "

Le même jour, le général Oudinot adressa aux Romains une proclamation qui mit dans une nouvelle évidence l'inopportunité de son rappel. Trois jours avant, la commission provisoire municipale avait décrété que Rome, devant à son libérateur une récompense proportionnée à l'importance de ses services, il lui serait offert une médaille portant d'un côté son effigie et de l'autre une inscription rappelant le rétablissement de la paix et la conservation des monuments antiques; en outre elle avait décidé que ce décret serait gravé sur une pierre que l'on placerait au Capitole, au-dessus de son buste, dans la salle des grands capitaines. Enfin, un troisième décret conférait au général la qualité de citoyen romain, transmissible à sa descendance. La commission munici

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