Images de page
PDF
ePub

"Depuis ce temps, l'armée de la France n'a pas cessé de donner l'exemple de la modération, de la justice et de la générosité.

"Cette conduite de nos soldats sera pour vous l'expression la moins équivoque des sentiments et des sympathies de la France pour le souverain Pontife et pour le peuple des États romains.

Appelé aujourd'hui au commandement en chef de l'armée, je me glorifie d'avoir à continuer la noble tâche si bien commencée par elle.

Pendant la durée de mes fonctions comme gouverneur de Rome, j'ai pu apprécier l'amour que vous portez à votre souverain, le respect que vous avez pour ses vertus; j'ai pu connaître vos désirs, vos espérances. Mes efforts tendront sans cesse à la réalisation de vos vœux. Mon plus beau titre de gloire sera d'avoir été choisi pour poursuivre l'œuvre de bienveillance que le gouvernement français a entreprise pour votre bonheur et votre prospérité. »

Quelques jours après le général reçut une lettre du président du conseil par laquelle M. Odilon-Barrot refusait d'accepter sa démission et l'engageait en même temps à publier la lettre du président apportée par M. Edgar Ney. Le commandant en chef répondit aussitôt au ministre que les motifs qui l'avaient obligé de se démettre du commandement existant toujours, il persistait à demander son rappel. Puis abordant loyalement, en soldat qui n'a jamais transigé avec l'accomplissement d'un devoir, la question politique, il déclara qu'il ne s'associerait jamais à un acte qui, outre l'inconvénient d'être injuste, aurait le danger de mettre le feu aux quatre coins de l'Europe. A son point de vue, la guerre générale se trouvait dans la publication officielle de la lettre du 18 août, et la guerre générale ne pouvant qu'être fatale aux idées

d'ordre qui commençaient à reprendre leur empire, il aimait trop son pays pour le jeter dans une voie aven

tureuse.

Le commandant en chef avait raison. Du jour où le programme du président de la république française, perdant son caractère privé, aurait voulu dominer la question romaine, il se serait traduit inévitablement par une guerre terrible. Le départ de Rome de la commission gouvernementale en eût été la conséquence immédiate; la noble et courageuse persistance du général Rostolan donnant à de meilleures réflexions le temps de prévaloir a préservé la France et l'Europe d'événements dont la portée est incalculable: l'histoire lui en tiendra compte.

Des officiers de l'armée expéditionnaire informés de la résolution définitive de leur commandant en chef se rendirent en grand nombre auprès de lui pour le prier de ne point donner sa démission. Le général, touché de leur démarche, répondit qu'il n'avait jamais fait de concession à un sentiment d'honneur et il considérait son honneur comme engagé dans cette question. « Je n'ai qu'une conscience, messieurs, leur dit-il, je la garde. Si j'en avais deux nous verrions. Il faut que cette conscience parle bien impérieusement pour que je me décide à quitter une armée si belle et des officiers si braves que vous! En demandant mon rappel, j'ai fait le plus grand sacrifice qu'un soldat pût faire. »

Sur ces entrefaites, le souverain Pontife se disposait à se rendre au château royal de Portici où le roi des DeuxSiciles, continuant son œuvre admirable d'hospitalité, avait fait préparer des appartements somptueux. Pie IX quitta Gaëte le 4 décembre, à huit heures et demie du matin, après y avoir séjourné neuf mois, neuf jours et neuf heures. Accompagné des cardinaux Antonelli, Riario

Sforza camerlingue, Asquini, Piccolomini, Riario Sforza, archevêque de Naples, et de monseigneur Garibaldi, son nonce à Naples, Sa Sainteté monta dans une chaloupe avec le roi Ferdinand II et S. A. R. le comte de Trapani. Les autres membres du Sacré-Collége suivirent dans plusieurs embarcations. Dès que la chaloupe royale eut quitté le rivage, tous les vaisseaux napolitains, français et espagnols arborèrent l'étendard papal aux acclamations des marins qui, montant dans les cordages, firent retentir les airs, d'énergiques vivats. Pie IX, le premier pape qui montait sur un bâtiment à vapeur, devait s'embarquer à bord de la frégate napolitaine le Tancrède. Les officiers le reçurent la tête découverte et le genou en terre. Un instant après le signal du départ fut donné et l'artillerie de la place salua le pontife par cent et un coups de canon. L'escadrille catholique marchait dans l'ordre suivant: Le Tancrède.

Le vapeur de guerre espagnol le Colomb. Il portait à son bord le général en chef Cordova, le vice-amiral Bustillos, et les autres officiers de l'armée expéditionnaire espagnole.

Le vapeur français le Vauban, le vapeur espagnol la Castille, le vapeur napolitain il Delfino. La reine des Deux-Siciles, les princes et les princesses montaient la frégate à vapeur le Guiscardo.

bénir

Après avoir admis l'équipage au baisement du pied, Pie IX descendit dans l'oratoire du bâtiment pour y et indulgencier l'image de la Vierge.

En traversant le canal de Procida, le Tancrède se vit tout à coup entouré d'une centaine de barques chargées d'hommes agilant des bannières aux couleurs de Pie IX, et poussant les cris les plus enthousiastes. Une larme brilla dans les yeux du Saint-Père, lorsqu'il leva la main pour bénir ces marins au front bronzé. Plus loin, au mo

ment où le Tancrède parut dans les eaux de Chiaja, le vaisseau anglais qui s'y trouvait à l'ancre arbora le pavillon pontifical et salua de vingt-un coups de canon. Il était deux heures, tous les vaisseaux en rade arborèrent la même bannière et firent le même salut. De leur côté, les forts et toutes les batteries de la capitale saluèrent de vingt-un coups de canons. Le Tancrède, marchand à demi-vapeur, rasait la rade, afin que Sa Sainteté pût saisir dans son ensemble et ses détails le magnifique panorama de Naples. L'immense population groupée sur le rivage pouvait apercevoir, sur le pont de la frégate, au milieu de leur cortége, la soutane blanche du chef de l'Église et la haute taille du roi des Deux-Siciles. De même, le pape et le monarque pouvaient entendre les vivats qui partaient de tous les points de la rade, mêlés, sans se confondre, aux bruyantes détonnations de l'artillerie.

L'escadrille étant arrivée à Granutello, tous les bâtiments se pavoisèrent et exécutèrent de nouvelles salves. L'endroit choisi pour le débarquement était richement orné. LL. AA. RR. le comte d'Aquila, le prince de Salerne et l'Infant d'Espagne don Sébastien y attendaient le Saint Père. Les voitures de la cour étaient là, entourées de nombreux détachements de gardes royaux à cheval et à pied; les grenadiers de la garde formaient une double haie sur la route qui conduit au château de Portici; tous les habitants de la ville en habits de fête faisaient retentir les airs de leurs acclamations; les cloches des églises sonnaient à toute volée, tandis que la voix du canon, dominant tous ces bruits, confondait en un seul tous ces transports d'amour et de réjouissance.

En descendant de voiture, Pie IX se rendit à la chapelle où se trouvaient réunis tous les cardinaux pour chanter un Te Deum, et recevoir la bénédiction du SaintSacrement.

Sa Sainteté admit ensuite à sa table le roi et son auguste famille, pendant que le cardinal Antonelli recevait à la sienne les cardinaux et les autres personnages de distinction. Le repas terminé, Ferdinand II prit congé du Saint Pontife, et repartit pour Naples.

Pendant ce temps, les troupes françaises continuaient à donner à Rome l'exemple de toutes les vertus militaires; leur discipline faisait l'admiration du monde entier. Chaque jour les indigents assiégeaient, au moment des repas, les casernes et recevaient une part de leur ration. La charité de tout temps fut la compagne du courage. La même main qui durant les combats donnait la mort, distribuait pendant la paix le pain de la fraternité chrétienne. Chaque jour de pieux ecclésiastiques français, à la tête desquels on voyait monseigneur Luquet, évêque d'Hezebon, les abbés Masson, Bastide, Villiers de l'IsleAdam et tant d'autres, les initiaient à la connaissance de l'histoire de Rome par l'histoire des monuments antiques. Chaque jour nos soldats, invincibles sur les champs de bataille, se montraient fervents chrétiens dans les temples sacrés. Chaque jour des retours inouis signalaient d'éclatantes conversions.

Cependant ces exemples, loin de toucher les cœurs des ennemis de la religion et de la société, ne faisaient que redoubler leur haine, et cette haine se manifestait périodiquement par des actes d'une nature déplorable. La répression immédiate toujours était néanmoins impuissante à prévenir la récidive. Les démagogues, persistant dans leurs rancunes systématiques, ne laissaient échapper aucune occasion de manifester leurs antipathies contre les Français. Trop faibles pour agir ouvertement, ils procédaient par voies d'intimidations. Il ne se passait pas de jour que le commandant en chef ne reçût des lettres anonymes, dans lesquelles on lui disait que le poignard

« PrécédentContinuer »