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qui avait assassiné le comte Rossi s'aiguisait pour luimême. Les Romains connus pour leur attachement à la France étaient l'objet d'incessantes menaces. Des listes de proscription, rédigées dans l'ombre, se dressaient contre eux. Leurs personnes, déclarées traîtres à la patrie, devaient un jour servir d'holocaustes à la république romaine.

En attendant, encouragés par l'indulgence, les démagogues recouraient aux moyens les plus puérils pour faire de la fantasia patriotique. Les uns portaient à leur chapeau de paille des rubans aux couleurs italiennes, les autres des rubans de velours noir ou des crêpes étroits, en signe de deuil de la défunte république romaine. Ceuxci rabattaient l'aile droite de ce même chapeau, pour donner à leur physionomie le caractère formidable qui manquait à leur cœur; ceux-là enfin se distinguaient en portant au cou d'énormes cravates rouges. Une méprisante pitié faisait justice de ces démonstrations partout où elles se manifestaient.

Des tentatives d'une nature provocatrice n'avaient pas un meilleur succès.

Un soir, un officier demande à un jeune homme qui fumait au Corso la permission d'allumer son cigare au feu du sien. Celui-ci, sans daigner formuler une seule parole, tire de sa bouche le cigare éclairé, puis, après que le Français s'en fût servi, le jette à terre et le foule aux pieds avec mépris. Cette action lui valut deux soufflets dont il ne songea pas à demander réparation.

Un autre soir, dans un café du Corso, fréquenté par les Romains démocrates, se trouvaient réunis une vingtaine de jeunes gens enrubannés de rouge; l'un d'eux, le verbe haut, le poing sur la hanche, pérorait:

« Les Français, disait-il, sont comme les brochets de nos rivières, ils n'ont que la gueule. Ils ne sont braves

que lorsqu'ils sont trois contre un; quant à moi, je ne serai satisfait que lorsque j'en aurai vu un en face de moi comme ceci. » A ces mots il se fendit et prit la position d'un bretteur qui se met en garde; mais au même instant un jeune homme, revêtu d'une redingote noire boutonnée, se levant rapidement d'une table éloignée, se précipite devant lui en disant: «Soyez satisfait, monsieur, en voici un.

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« Un de ces officiers que vous désirez voir en face; regardez-moi et marchons. "

Mais comme le Romain cravaté de rouge avait repris sans répondre une position moins belliqueuse, l'officier ajouta:

« Vous avez dit, monsieur, que les Français n'étaient braves que lorsqu'ils se trouvaient trois contre un, Vous en avez menti, car je suis seul contre vous tous el je vous défie. »

Pas un seul n'osa relever le gant.

"Vous refusez, reprit le Français en s'adressant à l'orateur, cela ne me suffit pas, vous allez sur-le-champ rétracter les paroles insultantes que vous avez tenues contre notre uniforme. »

Le démocrate s'exécuta, confessant pour sa justification qu'il ignorait parler en présence d'un Français.

Cependant, les antipathies des républicains italiens contre nos troupes ne se bornaient pas toujours à des scènes de café et de théâtre, elles se manifestaient parfois avec du poignard et du sang. Un jour, deux chasseurs à pied sont assaillis dans un cabaret de la rue Giulia; les agresseurs étaient dix contre un: malgré leur infériorité numérique, nos deux braves se défendirent avec courage jusqu'à ce que l'un d'eux tomba mortellement frappé par un artilleur romain. En cette

circonstance, M. Mangin, secrétaire général de la préfecture de police, fit preuve d'une rare intrépidité. Le chef des vélites, refusant par peur de livrer le coupable aux mains de la justice, M. Mangin alla le saisir lui-même dans son quartier, où ses camarades, disaiton, devaient le défendre. Là comme toujours, les Français forts de leurs droits, prouvaient leur incontestable supériorité.

Un assez grand nombre de victimes avaient déjà succombé dans d'indignes guet-à-pens. Les révolutionnaires abusant de notre mansuétude, avaient organisé l'assassinat. Une répression énergique devenait indispensable. A cet effet, le général Rostolan publia un arrêté sévère contre les assassins détenteurs d'armes prohibées.

Quelques jours avant, un motu proprio fort important du Saint Père avait été publié à Rome dans la soirée du 19 septembre.

La commission gouvernementale, se conformant aux intentions qu'il exprimait, accorda immédiatement l'amnistie. Les bénéfices de cet acte important ne s'appliquaient point aux membres du gouvernement provisoire, aux députés qui avaient pris part aux délibérations de l'Assemblée constituante, aux membres du triumvirat et du gouvernement de la république, aux chefs de corps. militaires. Tous ceux qui ayant joui du bénéfice de l'amnistie antérieurement accordée par Pie IX, avaient, manquant à la parole d'honneur qu'ils avaient donnée, participé aux soulèvements survenus dans les États du Saint-Siége; tous ceux enfin qui, indépendamment des délits politiques, s'étaient rendus coupables des délits atteints par la loi pénale existante, étaient également exclus de cette mesure miséricordieuse.

Tandis que la sagesse du gouvernement pontifical, appuyée sur la victoire de l'armée française, poursuivait

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lentement, mais avec prudence, son œuvre de restauration, la question de Rome soulevait des flots de colère et d'éloquence à la tribune de l'Assemblée législative de France. Développée le 15 octobre par l'admirable rapport de M. Thiers, elle se débattait dans les séances des 18 et 19, entre les mauvais instincts de la passion et les irrésistibles arguments de la raison. Depuis la mission du lieutenant-colonel Edgar Ney, la plus grande incertitude régnait dans les esprits; chacun se demandait le parti que prendrait le ministère entre les exigences de la lettre du président et les concessions du motu proprio de Pie IX. S'il acceptait l'esprit de la lettre du 18 août pour la base de la politique française, il se séparait brusquement de la majorité; s'il admettait, au contraire, les concessions du motu proprio, il rompait avec les volontés du président.

Par un de ces mouvements habiles, qui dans les époques transitoires, suppléent aux résolutions héroïques, M. de Tocqueville, ministre des affaires étrangères en remplacement de M. Drouin de Lhuys, parut aplanir toutes les difficultés en acceptant et la lettre présidentielle et le motu proprio pontifical. La déclaration ministérielle laissant au Saint Père toute sa liberté d'action, provoqua les colères de la montagne, surtout au moment où, résumant en peu de mots toute l'histoire de la ré volution romaine, il s'écria: « La république romaine a commencé par la violence et par l'assassinat: la restaution pontificale s'est accomplie sans coûter à un seul homme, pour cause politique, ni sa vie, ni ses biens, ni sa liberté. "

C'était préluder avec bonheur à cette mémorable séance, où M. de Montalembert s'éleva à la hauteur des plus grands orateurs de l'antiquité. L'illustre représentant fut superbe d'indignation lorsque remplaçant à la tribune un ancien

pair de Louis-Philippe, il jeta le châtiment de sa parole brûlante à la face du poëte:

Le discours que vous venez d'entendre, messieurs, a déjà reçu la récompense qu'il mérite, dans les applaudissements qui l'ont accueilli. »

Il fut sublime lorsque comparant ceux qui outragent l'Église à ceux qui frappent une femme, il s'écria: « L'Église n'est pas une femme, c'est bien plus encore, c'est une mère. »

La voix de l'orateur, étouffée par instant dans un tourbillon d'injures, retentissait toute chargée de tonnerres. L'Assemblée, frémissante d'enthousiasme, éclatait en cris d'admiration, sous la puissance de ses paroles. Après avoir noblement vengé la religion et son auguste chef, après avoir fait justice, par son irrésistible argumentation, de toutes les clameurs mensongères et calomnieuses de la montagne, le défenseur des libertés catholiques termina par une péroraison digne du discours entier.

« Je termine, dit-il, en relevant un mot qui m'a été sensible comme à vous tous sans doute: On a dit que l'honneur de notre drapeau avait été compromis dans l'expédition entreprise contre Rome pour détruire la république romaine et rétablir l'autorité du pape. A ce reproche tous dans cette enceinte doivent être sensibles et le repousser comme je viens le faire en ce moment. Non, l'honneur de notre drapeau n'a pas été compromis: non, jamais ce noble drapeau n'a ombragé de ses plis une plus noble entreprise. L'histoire le dira: j'invoque avec confiance son témoignage et son jugement. L'histoire jettera un voile sur toutes ces ambiguïtés, sur toutes ces tergiversations, sur toutes ces contestations que vous avez signalées avec tant d'amertume et une sollicitude si active pour faire régner la désunion parmi nous. Elle jet

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